Dušan Kovačević

ATELIER D'HISTOIRES THÉÂTRALES

 

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Dušan Kovačević
 
Préhistoire d'une représentation

Un jour, une nuit, il y a de cela trente-six mille ans, trois chasseurs revenaient dans leur caverne. C'était l'hiver, et les flammes d'un feu, recueilli et emporté à l'abri après un incendie de forêt provoqué par la foudre, illuminaient la grotte.

Une vingtaine de parents, pour la plupart vieillards, femmes et enfants, attendaient les chasseurs. En guise du gibier espéré, ils écoutèrent une terrible histoire – un drame sur la mort de deux jeunes chasseurs. Les trois rescapés gardèrent le silence un certain temps, en se réchauffant, puis ils commencèrent à danser et à mimer l'histoire – ils montraient ce qu'il s'était passé aux abords du lac gelé de la montagne. L'un mimait la bête sauvage qu'ils traquaient : il se déplaçait sur la pointe des pieds, les bras levés au-dessus de sa tête, tandis que les deux autres ne cessaient de s'approcher de lui et de s'en éloigner, l'attaquant avec leurs lances en poussant des cris, jusqu'à ce que la "bête sauvage" se retourne subitement et, dans un hurlement, avec ses énormes pattes, tue les deux jeunes gens.    

La tribu écoutait et regardait la scène, horrifiée ; les vieillards étaient silencieux, les femmes pleuraient sans bruit et calmaient leurs enfants effrayés par les gestes du chasseur qui mimait la bête sauvage et les cris que poussaient ses deux compagnons, montrant avec quel courage les jeunes gens s'étaient battu contre l'animal, mais la bête était la plus forte.

Quand ils eurent terminé leur danse, les chasseurs s'assirent près du feu, fixant les flammes, restant silencieux pendant de longs moments. Toute la tribu restait muette devant le drame horrible qui s'était produit aux abords du lac gelé, à un jour de marche de la grotte.

Pour que cette chasse tragique ne soit pas oubliée, et pour que perdure à jamais la mémoire des deux jeunes chasseurs massacrés, le chef de la tribu dessina sur une paroi de la caverne tout ce qu'il avait vu et entendu dans la danse. Les jours suivants, le dessin prit vie grâce aux couleurs de jus de plantes mélangés à des minéraux broyés dans les creux des rochers qui entouraient la grotte.

C'est ainsi que naquit l'une des premières images scéniques – l'AFFICHE, sur un évènement tragique,  un drame – la REPRÉSENTATION, jouée devant le public – la TRIBU, dans un théâtre préhistorique – la GROTTE, sous des projecteurs – le FEU, avec un cinquième acte – la CATHARSIS quand la majorité des "spectateurs" a fondu en larmes et essuyé ses larmes à la dérobée.

Cependant, tout n'était pas toujours aussi triste, terrible et tragique que ce jour-là. Lors d'une autre circonstance, quelques mois auparavant, la tribu avait assisté à une représentation avec une fin joyeuse – ces deux jeunes chasseurs avaient fui devant le grizzly pour l'attendre plus tard dans un défilé où ils l'avaient tué en précipitant des rochers sur lui. Tous les membres de la tribu s'esclaffaient et riaient aux larmes pendant qu'ils regardaient les deux jeunes gens qui montraient par leur danse comment ils fuyaient et hurlaient de peur, grimpant le long de la paroi abrupte devant les griffes de la bête sauvage qui tentait de leur attraper les pieds.

Depuis cet événement lointain, dessiné sur le mur de la grotte, depuis la mort dramatique des jeunes chasseurs mimée et jouée devant la tribu qu'illuminait le feu, jusqu'à une représentation d'hier dans l'un de nos théâtres d'aujourd'hui, il s'est écoulé, à la mesure de nos existences, des milliers et des milliers d'années...

Mais en réalité, c'était il y a quelques jours, c'était hier, la veille au soir, selon l'horloge des étoiles.

Qu'est-ce qui a changé pendant ces milliers d'années de "représentations" d'un fait réel, ou – nous le verrons – d'un fait peut-être inventé ?

Au fond – rien.

Dans l'essence même des choses, dans la manière de jouer l'histoire, le drame – rien. Dans la forme – à la fois beaucoup et quasiment – rien.

L'histoire du théâtre divise la forme en périodes, époques, temps, orientations, en souverains qui portent la couronne ou la plume. Une forme qui "atomise" le drame de notre peur de la vie, si souvent interprété comme peur de la mort.

Notre drame est de tout temps le même : prévisible et difficilement guérissable. Il se guérit par la catharsis, comme la morsure d'un serpent se guérit par le venin du serpent.

Dans l'histoire malheureuse des deux jeunes chasseurs, il y a quelque chose qui relève déjà de "l'art".

Qu'est-ce qui a changé, au fond, dans l'histoire de la "représentation" d'un fait réel ou INVENTÉ, depuis trente-six mille ans jusqu'à aujourd'hui ? À quel moment la "représentation" a-t-elle commencé "à quitter la réalité", à se séparer de la vérité et à revêtir seulement l'apparence d'un évènement véridique, d'une "réalité artistique" ?

Revenons à l'histoire tragique des deux jeunes gens. Il est tout à fait vrai que trois chasseurs sont revenus de la chasse et ont raconté et joué le drame de la mort de deux jeunes membres de la tribu, leurs proches cousins. Il en est de même pour le compte rendu – le dessin sur la paroi de la caverne. Cependant, n'est-il pas possible de mettre en doute leur histoire et leur jeu "scénique", et de supposer – en chargeant son âme d'un lourd péché – que les trois chasseurs, dans un état de fureur, ont tué leurs deux jeunes parents indociles qui n'en faisaient qu'à leur tête ? 

Si cette supposition est fausse et uniquement le fait de notre mauvais esprit, leur "représentation" a été jouée comme un "drame documentaire", dans l'affliction des trois chasseurs soucieux de se justifier d'avoir survécu et enterré les jeunes gens dans la montagne, près du lac. Mais si l'histoire était "inventée", si elle était le fruit d'un accord passé entre eux, sur le chemin du retour depuis le lac – lieu du meurtre – jusqu'à la grotte familiale – le "public", si un tel accord était possible en dépit des sentiments d'honneur et de moralité de nos ancêtres, alors ce drame oral improvisé marque le début de la séparation entre le récit véridique et celui qui, plus tard, sera "inventé et écrit " en imitant les faits réels – les drames et comédies des vies humaines.

Ainsi, ce jour-là, jour de péché, quand les trois chasseurs jouèrent pour la première fois une scène qui n'était pas la vérité mais un simulacre de la vérité, est née l'illusion – L'ART. Tout était convaincant, tragique jusqu'à l'ébranlement, comme si cela avait vraiment eu lieu.

Depuis ce jour, l'art revêt mille vérités, mille et un visages. Il peut être cruel, plus terrible et plus convaincant que le fait réel, il peut n'être qu'une imitation de la vérité, il peut jouer avec la vérité, l'inventer, créer l'illusion de la vérité, nous persuader que notre vie est un songe, que nous ne sommes que poussière et bref instant dans un monde infini, que tout ce qui est autour de nous est une grande représentation cosmique dans laquelle nous jouons des rôles comiques et tragiques.

L'art peut tout, il a un pouvoir que ne possède aucune autre forme d'activité humaine. Quand quelque chose de "révolutionnaire" apparaît, il s'avère qu'un Léonard de Vinci l'avait déjà dessiné en esquisse, par distraction, pour se reposer de travaux plus sérieux. Souvent l'art précède la science qui parfois en fait mauvais usage. Leonard dessine un aéroplane, la science le réalise puis, avec cet aéroplane, bombarde l'art.

Presque tous les livres de l'histoire de l'art s'ouvrent sur une scène de chasse dessinée sur la paroi d'une grotte, il y a "trente-six mille ans". Comment on a calculé cette "durée", cela restera un éternel mystère, tout comme l'histoire elle-même. Les deux chasseurs ont-ils réellement péri, ou, cette nuit-là, a-t-il été joué une des premières "représentations préconçues et mises en scène" ?

Et qu'est-ce qui a changé depuis ce jour lointain jusqu'à l'époque d'aujourd'hui ?

Dans l'essence des choses – rien.

Nous vivons de plus en plus comme des hommes préhistoriques – la pauvreté nous pousse dans des manifestations de masse, semblables aux hordes tribales, nous partons à la chasse d'où nous rapportons une prise interdite, avec des histoires troubles, nous jouons avec la vérité comme si nous n'avions jamais rencontré le péché, n'avions jamais fait sa connaissance ni entendu parler de lui, nous exécutons nos représentations dans des théâtres miséreux comme des cavernes, avec un éclairage à peine meilleur qu'un feu de bois, devant les membres d'une tribu, apeurés par la vie hors de leurs tanières en béton.

La crise de la vie. La grande crise de la petite vie.

Mais "la crise de l'art" n'a jamais existé, car notre vie, notre existence, est le seul art véritable. Même si jamais personne n'avait rien écrit, ni peint, ni construit, la marche de l'être humain en ce monde demeurerait l'art le plus beau, le plus grand, le plus élevé.

L'apprentissage du monologue, du dialogue et de la conversation

Dans les maisons et les cours de mon enfance et de ma prime jeunesse, les gens sérieux s'asseyaient et racontaient des histoires sérieuses sur la vie : sur l'adversité, les malheurs, les peines, les souffrances, les maladies fréquentes et les rares jours de bonheur, sur le chronique manque d'argent et les douleurs partout dans le corps, sur les blessures reçues durant la dernière guerre mondiale, les meurtrissures lors des assauts héroïques ; tous avaient fait partie de "l'armée de libération", et tous avaient combattu contre "l'ennemi extérieur et l'ennemi intérieur"... Et parfois, l'un d'eux – comme le père de mon ami – disparaissait, une nuit, emmené "quelque part" pour ne plus jamais revenir.

"Les gens âgés", que j'écoutais et observais avec attention, accompagnaient les mots importants d'un geste particulier de la main ou de la tête, c'étaient des maîtres dans l'art de raconter des histoires en les rendant aussi passionnantes que les aventures des célèbres héros des grands livres.

Les monologues duraient habituellement une demi-heure, jusqu'à la cigarette qu'on roule et allume, ou au raclement de la gorge après un silence douloureux, quand l'un des participants poussait un soupir et ponctuait le récit, par un vague : "Oui, oui... que veux-tu... c'est comme ça... "

C'était pendant la nuit, dans les longs soirs d'hiver, quand la neige recouvrait la ville déjà petite et à peine visible, qu'on racontait les histoires les plus excitantes. Nous, les enfants, n'avions pas le droit d'écouter ce que les adultes se disaient, alors nous jouions dans les coins de la pièce, faisant semblant de ne pas les entendre ni même de les voir.

Dans mon enfance, je me suis rempli les oreilles et les yeux tant d'histoires et de gens incroyables que de tout ce que je lisais dans des livres passionnants.

Chaque vendredi, un cousin du village voisin venait en ville pour un procès ou un examen médical. Après avoir déposé ses produits au marché, il venait nous rendre visite, pour prendre un café et "un petit verre de conversation". Quand il arrivait de l'hôpital, il brandissait face au soleil les radiographies de ses poumons, de sa tête, de ses jambes, de sa colonne vertébrale... Il s'était fait radiographier de la tête aux pieds, et pour chaque cliché il détaillait longuement comment telle maladie, blessure, fracture, chute ou coup, était advenu... Une partie datait d'avant la guerre, il en avait "gagné" une autre pendant le conflit, quand les éclats d'obus l'avaient atteint à la tête et aux poumons, et le reste il le devait aux pénibles travaux effectués pour la reconstruction du pays détruit. Année après année, il essayait de nous convaincre qu'il avait depuis longtemps mérité une retraite d'invalidité comme celle dont avaient bénéficié "certains d'en haut" sans un seul jour de combat et avec des blessures imaginaires... En arrivant chez nous, il boitait, et quand il repartait, après la conversation et quelques verres, il marchait mieux que la plupart de ceux qui l'avaient écouté.

J'ai gardé en mémoire tous ces personnages et leurs histoires comme des confessions testamentaires d'une génération malade de la terrible guerre et de la paix qui s'en suivit en instituant de nouveaux mœurs.

J'ai écouté les confidences sur les naissances et les morts, sur des maladies inconnues de la médecine moderne, sur les apparitions surnaturelles dans les cimetières, les villages et aux carrefours des chemins de montagne, sur les souffrances des femmes abandonnées avec leurs cinq enfants à cause de "la chanteuse du café Šaran" qui, à elle seule ruina plusieurs villages – les maîtres de maison vendaient tout ce qu'ils possédaient rien que pour la regarder et l'écouter –, sur le règlement de compte entre le directeur de la fabrique de sucre, jaloux, et le couturier de l'artiste aux yeux bleus, qui périrent mortellement blessés l'un par l'autre, sur l'ordre donné "d'en haut" pour qu'on éloigne de la ville "la personne en question", et comment cette même "personne" épousa, à Belgrade, l'un des hommes les plus puissants de la police secrète, qui fit d'elle une telle dame que sa propre mère lui demanda comment elle s'appelait.

La tragédie aurait pu être évitée quand elle fit son apparition et se mit à chanter dans le célèbre café, le 1er mai 1958. 

– La première fois que je la vis et l'entendis, je sus tout de suite que rien de bon n'en sortirait, qu'un tel miracle de femme ne pouvait être que le fruit du diable et d'une sorcière. Là-bas, tous les hommes riaient, faisaient la fête, jusqu'à ce qu'un sous-officier tue l'un des musiciens de la chanteuse et blesse gravement les deux policiers venus l'arrêter, avant de se faire exploser la tête enveloppée dans l'affiche qui annonçait la représentation – à ce que racontait, des années plus tard, notre voisin invalide dont on disait que, dans ce même café et pour cette même "sorcière", il avait dilapidé sa boulangerie et ruiné son mariage, avait poussé ses fils à la rue, et de la rue aux travaux forcés, parce qu'ils l'avaient roué de coups, une nuit, au point de le condamner à passer le reste de sa vie en fauteuil roulant.

Ruines et malheurs ne connaissaient pas de fin – la tragédie rattrapait la tragédie ; les enterrements passaient et se succédaient devant son café à elle et à cause d'elle – jusqu'au jour où la voiture du maire vint la chercher pour la conduire dans le bureau du colonel de la police, chargé de la sécurité du chef de l'État, dont les yeux également bleus avait contemplé cette beauté alors qu'elle lui chantait "Sa Ovčara i Kablara"[1] pour son anniversaire, le 25 mai[2] 1963.

– Elle a endeuillé la moitié de la Serbie – murmuraient les veuves, se remémorant leurs maris précocement décédés à cause de la "maudite".

Mais son pouvoir diabolique ne s'était pas arrêté là. Un jour, elle apparut à la Une des journaux, en compagnie de l'empereur Haïlé Sélassié, lors du premier sommet des pays non alignés à Belgrade. On la reconnut à son sourire et sa taille ; elle dépassait l'empereur de deux bonnes têtes. À cause de son "sourire diabolique" – disaient les veuves,  dans tous les cimetières de la Serbie – notre pays est l'un des pays agricoles les plus arriérés d'Europe. Des générations ont dû payer ce sourire par le ventre creux. Et pour empirer les choses, plusieurs chansons furent composées en son honneur, qu'il fallait chanter jusque dans les écoles primaires, et qui étaient plus populaires que les chansons à la gloire des héros tombés pour ce pays.

Quand elle fut d'un âge plus avancé, toujours belle et diaboliquement souriante, elle se mit à discourir à la télévision sur "notre chemin vers l'Europe", vantant le nouveau gouvernement pour ses "décisions courageuses et viriles ".

Peu de femmes ont été et sont restées femmes.

Dans tout cela qu'y a-t-il de vrai? Tout. Et rien.

La vérité est qu'aujourd'hui encore, l'un des murs du célèbre café est illustré d'une fresque de la chanteuse entourée de ses clients qui la contemplent comme une déesse. Il est vrai également que cet établissement a été protégé en tant que "maison du patrimoine historique", comme étant l'un des premiers établissements de restauration ouvert au milieu du dix-neuvième siècle, semblable à ceux de l'Europe occidentale. Et il est tout aussi vrai que plus tard, au public de la belle artiste, on ajouta des portraits de poètes et écrivains célèbres du coin, afin de sauver tant bien que mal l'honneur de la ville, nonobstant le fait que ces grands noms de la plume avaient vécu un siècle auparavant.

La vérité est que les temps historiques s'interpénètrent, et qu'il est possible d'interpréter cette "peinture rupestre" comme un vestige nostalgique des années de l'après-guerre, quand on chantait, dansait, jouissait de la vie sans retenue, en dépit de la misère, des souffrances et des maladies transmises de l'enfer de la guerre au paradis du communisme.

Qu'est-ce qui a fondamentalement changé en trente-six mille ans, depuis le dessin dans la grotte jusqu'au dessin dans le café ?

Bien des choses – sans importance. Dans l'essence de l'existence humaine, dans notre besoin d'aimer, de rire et de pleurer, de nous réjouir, de célébrer quelqu'un, de vivre la vie au jour le jour, rien de vraiment important n'a changé.

Il n'existe que deux vérités : la vérité et la vérité qui ressemble à la vérité. Toutes les deux se valent, dans la mesure où elles intéressent l'homme qui les lit, qui les regarde sur un écran de cinéma ou sur une scène de théâtre... La vérité en soi n'a d'importance que dans les affaires juridiques. En dehors du tribunal, elle intéresse peu de monde si elle est ennuyeuse.

L'être humain, dans son enfance et sa première jeunesse, se prépare à une vie foisonnante, qui durera éternellement. Avec impatience, nous attendons que passent les longues et lentes années, ennuyeuses et paresseuses, jusqu'au jour où, un automne, nous nous prenons le pied dans l'une de ces "années jubilaires", nous trébuchons et commençons à nous précipiter au-devant de la chute, sur laquelle nous avons écouté tant d'histoires en croyant qu'elle n'arrivait qu'aux autres.

Les livres, les drames radiophoniques, quelques représentations théâtrales et un cinéma dans la ville de ma jeunesse  

Les hivers étaient longs, et la neige montait jusqu'au toit. J'allais emprunter des livres dans une bibliothèque, non loin de la maison où je vivais dans les années cinquante du vingtième siècle. Aller à la bibliothèque, c'était comme se rendre dans une agence touristique organisatrice de voyages vers des contrées lointaines et inconnues.

Lire un livre en un jour et une nuit, écouter des drames radiophoniques comme si on regardait un film sans images, regarder un film avec images une fois par mois, quand arrivait une nouveauté au cinéma "Le Petit Paris", et assister au théâtre à cinq ou six représentations pour la jeunesse – telle fut mon initiation à un métier dont j'ignorais tout, et pour lequel je ne soupçonnais pas que je lui consacrerais quasiment toute ma vie.

Depuis la "première" de ma première représentation d'amateur à Novi Sad en 1968, jusqu'au noircissement de ces pages en juillet 2013, quarante-cinq années de travail se sont écoulées dans le théâtre et pour le théâtre : l'écriture des drames, l'adaptation et mise en scène cinématographique d'une dizaine de mes pièces, la fonction de directeur de théâtre et, bien sûr, les conversations avec des gens qui m'ont appris des choses bien plus utiles sur le métier – sur le film, le théâtre et la politique – que toute ma scolarité.

Jamais, étant enfant, je n'avais imaginé ni désiré m'occuper d'écriture, ni – pensez donc – devenir écrivain. Jamais. Pas même par plaisanterie, pensée fugace, ou rêve. Jamais !

J'étais persuadé que les écrivains étaient des gens de l'ancien temps, pour la plupart des messieurs d'âge avancé avec une barbe et des moustaches, voués à l'écriture comme le sont les moines à leurs prières, des ermites enfermés dans leurs chambres avec de vieux meubles et  des fenêtres disposées de telle sorte qu'à travers leurs vitres on voyait la ville et les rues, dans la vallée, tout cela bien arrangé pour la description et la transcription de la vie. Et bien sûr, les écrivains ne pouvaient pas être des gens vivants, car ils n'étaient pas des êtres ordinaires, ils n'étaient pas de ce monde.

L'écrivain est mort, ou il n'est pas un écrivain.

On racontait pourtant que dans notre petite ville vivait un écrivain qui écrivait des livres "pour enfants". On le racontait comme on racontait beaucoup d'autres histoires incroyables, pour que dans notre petite localité il se passe quelque chose comme il s'en passait à Belgrade, où vivait  encore mon cher écrivain, Branko Ćopić. Mais ce n'était qu'illusion ; Ćopić, le père de Nikoletina[3], avait été "tué" immédiatement après la guerre, par les accusations et les menaces de ses camarades de combat. Il avait juste continué à marcher dans ce monde pour lequel il se battait comme "un homme apparemment vivant", jusqu'au jour où il avait enjambé ce pont qui porte son nom. Il était l'auteur d'un des premiers "livres sérieux" que j'ai lus et aimés, autant que les pigeons que j'élevais au fond de notre jardin, et le football auquel je m'adonnais comme je respirais.

Je ne savais pas, et cela ne m'intéressait guère de savoir s'il était le Mark Twain serbe ou un écrivain étranger, quand il décrivait avec tant de beauté ma vie sur la rivière, les barques et la pêche sur les rives de la Sava.

Un jour, mais peut-être était-ce une nuit, apparut soudainement dans ma vie, sans crier gare, l'auteur des étranges aventures de Gargantua et Pantagruel – François Rabelais. Ce moine et médecin de la Renaissance bouleversa pour moi les lois de la gravitation et de la lecture "normale", confirmant ma vision du monde comme un immense spectacle de cirque, avec tous les tours de magie possibles et imaginables, avec l'absurdité de l'existence qui ne peut se tolérer que par une luxuriante surenchère, le grotesque et le rire.

Bien des années plus tard apparut le cousin de Rabelais, Gabriel Garcia Marquez, avec un roman sur une Serbie dans les jungles de l'Amérique latine. Nous, au moins, nous savons ce que veut dire "Cent ans de solitude".

Le sentiment de la finitude vous donne le droit d'éclater de rire alors que vous n'avez pas envie de rire. Je n'aime pas les livres dépressifs, lourds, catastrophiques, ni les gens qui vous parlent de la vie comme d'une souffrance, d'un malheur et d'une tragédie inévitable. Comme le dit un héros du très cher écrivain et noble médecin Anton Pavlovitch Tchekhov, dans l'histoire du sage du village qui parlait rarement mais dont on se rappelait longtemps les paroles lorsqu'il disait quelque chose : "Quand l'hiver est rude et froid, il est bon de mettre sur soi un vêtement chaud". Il se pourrait bien que cette "sagesse" soit la somme de toutes les intelligences de ce monde, la phrase la plus simple et la plus vraie qui ait été prononcée depuis cette nuit de la caverne, il y a trente-six mille ans, jusqu'à ce jour. Brève, claire, exacte, et inutile.

La ville de ma jeunesse est restée quelque part dans le lointain. Aujourd'hui, elle n'existe pour moi que dans le souvenir ; elle s'est effacée du monde réel et aucune voie ordinaire n'y mène ; je n'arrive à ma maison, dans la rue Masarikova, que par la réminiscence des gens que j'ai aimés et qui ne sont plus depuis longtemps.

Dans ma mémoire, j'ai gardé les livres, les films, les drames radiophoniques du jeudi soir à neuf heures et demie.               

On dit que les meilleurs drames radiophoniques ont été écrits en Allemagne, et qu'ils étaient très populaires parmi toutes les personnes devenues aveugles lors des intenses bombardements de l'Allemagne vers la fin de la guerre – qu'elle a aujourd'hui gagnée.

Souvenirs de gens étranges aux destins incroyables, souvenirs des projections au cinéma "Le petit Paris" avec la silhouette imperturbable de Buster Keaton et la dignité offusquée de Laurel et Hardy,  à cause desquels on dut me faire sortir du cinéma, un soir, tant j'étais pris de fou rire.

J'aimais rire, et pleurer en riant.

Quand je me remémore les gens qui ne sont plus, ce sont ceux qui souriaient à tout le monde, qui traversaient la vie avec le sourire comme avec une décoration sur le revers d'un costume solennel. Les gens d'humeur chagrine, lourds, amers et dépressifs, je n'ai aucun désir de les rencontrer, pas même en souvenir.

Ce que je viens d'évoquer, et plus encore ce qui n'a pas été dit, est archivé sur les étagères de ma mémoire, dans mon atelier de fabrication des pièces de théâtre que j'ai écrites depuis le jour où le destin, comme on dit, m'a poussé jusqu'à une table et une chaise pour y passer quasiment la moitié d'un siècle à user des crayons, de l'encre, du papier et de la vie.

Pour les crayons, l'encre et le papier, je n'ai pas de regrets, il y en a en abondance.

Mais – comment ai-je pu dépenser tant d'années d'une unique vie à fréquenter des gens qui n'étaient pas réels, qui n'existaient pas avant que nous ne fassions connaissance et devenions amis au fil de l'écriture ?! Des centaines et centaines de gens, et des familles entières de Topalović, de Radovan, de Čvorović[4]...

Élève, et professeur d'écriture d'histoires théâtrales

J'ai intégré l'école où on apprend à écrire des histoires théâtrales avec un manuscrit qui ressemblait plutôt à une longue nouvelle ou à un court roman. Ça n'entrait pas dans les règles du concours d'admission, mais je fus reçu car l'histoire se déroulait dans le compartiment d'un train roulant vers la mer, avec des personnages qui se racontaient leur vie, jour après jour, pendant toute la durée du voyage dans ce train qui s'arrêtait à chaque fois que le conducteur de la locomotive éprouvait l'envie de se dégourdir les jambes. L'atmosphère intimiste de l'histoire pouvait facilement faire l'objet d'une mise en scène, une transposition théâtrale – m'ont dit mes futurs professeurs, lors de cet examen, m'apprenant, en fait, ce qu'est "l'adaptation" d'une œuvre littéraire.

Bien que je n'aie jamais envisagé de faire profession de mon écriture – j'écrivais par ci par là pour épancher mon âme, lorsque je reçus ce "billet" pour un voyage singulier dans le monde des histoires théâtrales. Je décidai de faire ce travail le mieux que je pouvais, avec un entêtement tenace, à l'instar de mes personnages – les gens que je faisais revivre à partir de mes souvenirs.

Qu'ai-je appris pendant mes études à "l'école d'écriture", la fameuse Académie pour le théâtre, le cinéma, la radio et la télévision ? Que pouvaient m'apprendre les professeurs – des noms célèbres du monde du théâtre, du cinéma et de la théorie de l'art – durant quatre années d'étude, de camaraderie, d'amitié et de travail à la Section Dramaturgie, domaine pour lequel un policier qui vérifiait, un jour, mon permis de conduire, crut qu'il s'agissait de dermatologie ?

– Où travaillez-vous ?
– À la télévision.
– À la télévision... Et... qu'est-ce que vous faites à la télévision ? – me demanda-t-il en scrutant mon visage ; il tentait de se rappeler s'il ne m'avait pas déjà vu sur le petit  écran.
– Je travaille comme dramaturge.
– Ah oui... à l'infirmerie...

Je ne lui ai rien répondu car expliquer de quel genre de travail il s'agissait n'aurait pas eu beaucoup de sens. Il n'était pas le seul à être "troublé" ; certaines personnes pourvues d'un sérieux "bagage scolaire" se contentaient de hocher la tête pour montrer qu'elles savaient de quoi il était question.

Pour être tout à fait sincère, moi non plus je ne voyais pas très clairement (au début de mes études) comment on pouvait devenir écrivain en étudiant les tragédies antiques et en écoutant les cours d'histoire du théâtre, du cinéma, et d'art en général.

En tant que nouveau venu, arrivant de l'intérieur du pays dans une capitale qui faisait peur aux gens de la province où couraient des histoires sur les vices dangereux de la ville dont on ne connaissait que quelques endroits célèbres, une forteresse et un jardin zoologique, je n'avais pas le choix : je devais "réussir" pour survivre. Je devais travailler plus et mieux que les " natifs Belgradois ", pour lesquels ce "titre" représentait souvent la plus grande réussite de leur vie.

Grâce au concours du meilleur drame radiophonique, je réussis à obtenir pour la cession des droits une somme qui représentait à l'époque l'équivalent d'une bourse d'étudiant d'un an, et qui me permit de vivre, avant que la politique ne fasse son entrée dans ma vie et ne supprime cette mince ressource.

Tout ce que je "devais" faire serait resté lettre morte si je n'avais emporté avec moi, comme un avertissement, une valise qui contenait tout ce que je possédais, et une tête bourrée d'anecdotes et confidences de gens de la périphérie auxquels l'État ne s'intéressait guère. Je croyais que j'arriverais à écrire quelques histoires au destin fort, comme un drame ou un scénario de film, les deux matières les plus importantes à la Section Dramaturgie. Celles qui comptaient le plus pour moi également.

Me remémorant la ville et les rues de mon enfance que je traversais en courant les yeux levés vers le ciel où volaient mes pigeons, avec un sourire mélancolique pour les "terribles" évènements, et la tristesse de voir détruit et effacé ce qui était beau et précieux, j'ai écrit mon premier drame pour le théâtre – Les Marathoniens font leur tour d'honneur. J'ai écrit pendant deux ans, dans les mansardes et les chambres louées, la tragédie d'un jeune homme contraint d'exercer un métier dans les pompes funèbres, dans sa famille de mathusalems. Je l'écrivais avec mon propre sentiment d'impuissance et mon désir de quitter cet "État funèbre". Quand je l'ai lu, une fois terminé, à la troisième années d'études, il s'avéra qu'il s'agissait d'une comédie, que je m'étais défendu de l'horreur par le rire, l'ironie, le cynisme et l'humour noir ; noir comme les sentiments que j’éprouvais ces années-là, dans cet État.

Durant cette même année calendaire, en tant qu'étudiant de l'Académie, j'ai pu vivre la représentation de deux de mes drames sur la scène du célèbre théâtre Atelier 212. J'ai regardé Les Marathoniens et Radovan III dans une brillante interprétation d'acteurs qui aujourd'hui sont des noms mythiques du théâtre serbe.

Deux ans plus tôt, plongé dans le dénuement déjà mentionné, la misère et la dépression, je réfléchissais au moyen de quitter mes études plus qu'incertaines et de me tourner vers un métier plus sûr et plus sérieux. Un cousin m'avait appelé à le rejoindre à Chicago où il travaillait déjà à plein régime vingt heures par jour. Travail dont il tirait de substantiels profits.

Je ne suis pas allé à Chicago, mais j'y ai envoyé Georges – le héros de la série télévisée de Radovan III – que le nommé Radovan "idolâtrait" jusqu'à en devenir idiot. Georges représentait pour Radovan tout ce que les "immigrés de l'intérieur" n'avaient pu réaliser au milieu des gratte-ciel ; ils étaient arrivés dans la grande ville depuis leur Serbie profonde par le train de minuit, mais leur cœur, encore "coiffé" d'une membrane de l'âme, était resté à la maison, avec la mère sur le pas de la porte, semblable à la vieille femme du poème de Vojislav Ilić, Dans l'automne avancé.

Tout ce que j'écris ici aidera peut-être quelque étudiant à répondre à l'inévitable question : cela vaut-il la peine de dépenser sa vie à "recycler ses souvenirs", à se consacrer à un métier risqué pour la simple survie, risqué comme le sont les sports extrêmes.

Et que serait-il advenu du malheureux Radovan - puisque je l'ai déjà cité- si des milliers de policiers de la ville de Chicago avaient arrêté ou tué Georges dans le café "Le Rouge et le Noir", au coin de la rue Stendhal ? Radovan aurait-il survécu à ce malheur, bien que son héros ne fût qu'un personnage de série télévisée ?

L'homme a besoin d'admirer et d'aimer quelqu'un, même si ce quelqu'un n'existe pas.

Georges était mon voisin d'enfance, un sérieux mythomane, un criminel à la petite semaine, qui racontait des histoires invraisemblables sur son "travail" à l'étranger. Il était entré dans le "milieu" en soulevant une plaque d'égouts dans une rue sombre de Munich ; il avait descendu les échelles métalliques jusqu'à une galerie souterraine qui l'avait amené dans le bureau du chef de la mafia. Après une courte et rocambolesque course-poursuite, il était devenu le chauffeur du "parrain". Il conduisait la voiture la plus rapide du monde. Souvent, dans les tournants – quand il avait la police "boche" aux trousses et faisait un brusque virage pour lui échapper – il voyait la plaque arrière de sa propre voiture.

Georges – Djordje S. – était plus âgé que nous, juste assez pour que personne n'ose mettre en doute ses histoires, racontées et mimées dans la cour de l'internat de l'École d'Instituteur, habituellement l'été, dans les heures tardives des grandes vacances. Quelqu'un a-t-il jamais ri pendant qu'il les racontait et mimait ? C'eut été son dernier rire dans notre ville déjà passablement morose. Et il est plus pénible à l'homme de ne pas oser rire, que de ne pas oser pleurer.

Je me suis vengé de Georges en l'introduisant dans mon Radovan III qui, avec Les Marathoniens, m'a grand ouvert les portes du théâtre dans un pays déjà oublié, la Yougoslavie, que j'ai dépeint dans mon roman Il était une fois un pays, écrit sur la base des deux mille pages de mon scénario pour le film et la série télévisée Underground. Et le cercle se referma sur le drame Printemps en janvier, écrit en 1975/76, expression d'un sentiment  de claustrophobie dans un pays semblable à la cave d'une vieille maison, des années et des années après la Deuxième Guerre mondiale. C'est une histoire sur le grand mensonge qu'est l'art de régner et de se mentir à soi-même, comme art de survivre.

Après le succès des Marathoniens et de Radovan III sur la scène du théâtre "le plus avant-gardiste de l'Europe de l'Est"[5], je n'étais plus obligé, pour assurer mon existence matérielle, de partir à l'étranger. Je vivais de mon écriture avec le sentiment d'être un étranger dans mon propre pays. C'était un pays propice à l'inspiration et l'écriture, mais fort incommode à vivre pour un homme un tant soit peu pensant. Les hommes d'un certain âge s'en souviennent : À chaque fois que nous franchissions la frontière du pays de "l'Unité et de la Fraternité", nous avions le sentiment d'être en liberté ; nous sortions de la prison pour quelques jours pour acheter des babioles et discuter entre nous librement, sans craindre d'avoir pour voisin de table un Ilija Čvorović ou son frère jumeau, Djura Čvorović.

Je haïssais Tito et tout ce qui avait trait à son "règne d'opérette" dans ses années de vieillesse. Au début de sa prise de pouvoir, il était devant ce célèbre dilemme : tuer ou être tué. Et il a envoyé à la mort des milliers et des milliers de personnes innocentes. Voilà pourquoi aujourd'hui nous sommes, en tant que peuple, là où nous sommes : nulle part, selon la "loi" des tragédies antiques qui veut que les enfants expient les péchés des pères. Grâce au Parti unique et au règne policier, militaire et atavique des communistes, nous n'avons jamais connu et vécu la catharsis, le seul remède pour le repentir et le pardon des péchés individuels et collectifs.

Étudiant, qu'ai-je appris à l'Académie ? Beaucoup de choses fondamentales sur l'histoire de la littérature dramatique, beaucoup de théories sur la fabrication de pièces "bien ficelées".

Je désirais faire de l'écriture mon métier, ouvrir un atelier de fabrication d'histoires théâtrales, à l'instar d'un atelier de jouets ou de montres qui fonctionnent bien et se vendent bien – cela sonne brutal mais juste –, tout en m'assurant sur leur vente un tantième qui m'entretienne le temps d'écrire une nouvelle pièce, en moyenne une tous les deux ans.

J'appris à travailler le samedi et le dimanche, les jours fériés, la nuit et le jour, et à me "reposer" en m'occupant de mises en scène cinématographiques, mais en refusant que ce travail secondaire l'emporte sur celui qui consistait à rester assis à une table devant une machine à écrire.

J'appris qu'il me fallait écrire des pièces de qualité compte tenu de la concurrence des différents ateliers, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. (En quarante-cinq ans de travail j'ai écrit vingt drames. Ni trop, ni trop peu ; j'ai toujours préféré avoir une petite boutique au centre-ville qu'un supermarché en banlieue.)

À l'Académie, j'étais et suis resté ami avec la plupart des professeurs jusqu'à leur précoce retraite, pendant les années de guerre 1990, au "temps de la colère" et du règne des époux Slobodan et Mira Milošević – enfants idéologiques du "souverain" déjà mentionné, dignes des "drames sanglants" de Shakespeare. J'appris à venir à la plupart de mes cours comme à des rendez-vous avec mes camarades ; à rire avec eux en évoquant l'imbécillité du monde politique, la vulgarité des politiciens et la misère de certains "artistes" au service du pouvoir – la censure de la presse, de l'édition, du cinéma, de la peinture...

J'appris à lire ce que mon œil n'aurait jamais effleuré si on ne m'y avait contraint, et à écouter des cours "indignes" des ambitions et désirs d'un amoureux de la Renaissance. J'appris à être pour moi-même un maître, un chef, un directeur, l'intraitable patron d'un atelier de renom qui garantit que "l'objet artistique" sera de qualité et livré à temps, afin de poursuivre ma tâche dans le théâtre ou le cinéma. J'appris à être un monsieur quand je dois négocier la réalisation d'un de mes drames, et aussitôt après être un serviteur de moi-même.

J'appris que personne ne pouvait m'apprendre à écrire, que l'écriture est une manière de vivre, et qu'une telle vie sous-entend que vous soyez dans le "processus" de travail et au service de l'atelier pendant que vous marchez, voyagez, lisez, discutez, écoutez, regardez. Sans temps mort, vous entassez des "matériaux de construction" qui un jour vous serviront pour qui sait quoi, ou que vous rejetterez comme superflus, car ils ne correspondent pas à la construction de votre maison.

Tout ce qui vient d'être dit peut s'expliquer par un seul mot, par le désir d'aboutir grâce à ce labeur qu'on appelle écriture, à la – CATHARSIS – la récompense pour les décennies passées à noircir le papier, à écrire les mots, les phrases, les didascalies, les monologues, les dialogues, avec l'espoir qu'une fois le travail terminé vous penserez que cela valait la peine de s'asseoir et de travailler, de ne pas renoncer quand tout vous semblait vain. Vous devez croire que votre travail réjouira quelqu'un, et que quelqu'un, en sortant du théâtre, se sentira mieux que lorsqu'il y est entré pour voir votre pièce. Et si ce quelqu'un, à propos des histoires sorties de votre atelier, pense ou confie à son voisin : "Mon Dieu, c'était drôlement bien !" – alors vous avez accompli un miracle, pour un instant vous avez créé un "homme nouveau" qui a ressenti un peu de joie dans le marasme de sa dépression et dans celui de la planète. Peut-être qu'il parlera de vous dans ses récits à lui, et aura envie de revenir dans le lieu où il aura fait l'expérience – sans le savoir – de la catharsis.

J'ai appris à devenir dans une grande ville un professionnel comme Luka Laban[6], à passer ma vie à traquer la bonne intrigue, en dépit de la nausée et de la haine insoutenables que provoque en moi la seule mention de la chasse et des chasseurs.

Combien de fois j'ai répété – en la faisant mienne – la fameuse réplique : Mon royaume pour une histoire !

J'ai appris aussi que mon diplôme serait le souvenir de mes années de migration dans les quartiers de Belgrade et ses banlieues, dans les multiples chambres de location, avec des propriétaires qui ressemblaient aux personnages du cinéma néoréaliste italien.

J'ai appris à lutter et à gagner ma vie en travaillant dans la ville que j'aime, et qui me sera toujours un peu étrangère... Une fois que vous avez quitté votre ville natale, toutes les rues du monde vous sembleront identiques, et vous aurez toujours le sentiment d'être "de passage" avec le désir de revenir un jour là où vous n'êtes plus, et où plus personne ne vous attend.

Ce que j'ai essayé "d'apprendre" à mes étudiants pendant mon court séjour à l'Académie rebaptisée Faculté des arts dramatiques

J'ai essayé, dans la mesure du possible, de les aider à abréger le processus de l'écriture dans la conduite d'une histoire qui, dès le début, ne serait pas bien posée ; qui aurait une douleur dans la jambe droite et irait de l'avant juste assez pour ne pas tomber.

Je leur faisais part des difficultés et des tracas qu'on rencontre quand on est le seul employé de l'atelier : vous n'avez personne à qui demander ce que vous devez faire devant une horloge bien montée, qui indique une heure erronée. À première vue, l'horloge est belle, sauf que ses aiguilles tournent en sens contraire.

Je leur parlais de ce métier qu'il est impossible d'apprendre à partir de théories, des préparatifs longs et obsessionnels pour se mettre à écrire, de l'écriture elle-même, des ratures, de la poubelle remplie de papiers froissés, puis à nouveau de l'écriture, et même de la colère et de la table qu'on repousse, de l'emportement contre soi-même pour avoir décidé, parmi tant de métiers normaux, de s'occuper d'obscène impudeur et de passer sa vie en état de schizophrénie, en compagnie de personnages que seul on voit et on entend. Je leur parlais du  retour à la table où l'on se remet à écrire depuis le début, une fois calmé l'accès de fureur, quand vous vous résignez à reconnaître que le destin vous a condamné à des travaux forcés volontaires à perpétuité, qui vous tiennent à cœur.

Je leur conseillais (comme je le faisais moi-même) d'écrire leur futur drame ou de se le raconter à eux-mêmes en une phrase, une phrase qui doit être l'essence du drame – une charge explosive avec un mécanisme qui ira en s'accélérant de scène en scène.

Dessinez un plan architectonique – leur disais-je – avec une porte d'entrée et une porte de sortie, avec la pièce principale où l'histoire se déroulera et où les personnages s'affronteront autour de problèmes compréhensibles et familiers aux gens venus voir la pièce. (Si l'histoire est uniquement "vôtre" et n'est compréhensible que de vous-même, alors ne perdez pas votre temps à l'écrire – racontez-la à quelqu'un qui aura la patience de vous écouter.) Il est bien plus facile, leur disais-je, de voir et d'enlever les "erreurs architectoniques" sur une feuille de papier que de construire une maison qui s'écroulera dès que vous l'aurez terminée, ou, pire encore, qui s'effondrera au beau milieu de la représentation, avec le risque de faire mourir d'ennui le public.

Enfin, après tous les préparatifs et le temps passé à connaître les personnages, comme s'ils étaient des relations proches ou des amis, le drame ne peut être écrit du "premier jet" ; chaque version nouvelle est meilleure, plus pure, plus précise, plus captivante, capable d'empêcher de dormir le spectateur fatigué bien installé dans un siège confortable au centre d'une salle bien chauffée, dans le silence dramatique d'un art inutile... Oh ! comme on dort bien quand la représentation est longue, lente, ennuyeuse, et sans coups de feu !

L'intrigue doit commencer cinq à dix minutes après le début de la pièce, au plus tard. Quelque chose doit se passer qui va arracher le spectateur à sa vie quotidienne et l'emporter dans le monde de "l'illusion théâtrale". Quelque chose d'important doit se passer pour empêcher le spectateur de jeter un œil sur sa montre et de se dire : Mon Dieu, comment est-ce que je vais tenir jusqu'à la fin ! Pourvu qu'il y ait un entracte !

Les spectateurs deviennent sérieusement indisposés quand ils comprennent qu'il s'agit d'une mauvaise pièce ou d'une mauvaise représentation. Ils sont mécontents pour plusieurs raisons – ils ont payé l'entrée pour regarder une stupidité, ils ont perdu leur temps, ils se font du souci  en craignant qu'on ne leur enlève leur voiture mal garée, ils s'angoissent à l'idée que leurs enfants pourraient mettre le feu à l'appartement alors que la baby-sitter dort devant la télévision... "Je suis allé au théâtre ce soir, mais je n'y mettrai plus jamais les pieds !" dira le mari à sa femme à la sortie, dépité d'être venu voir, selon ce qu'elle avait entendu dire, "une bonne pièce avec des acteurs formidables".

Une mauvaise représentation, bâtie sur un mauvais drame, déshabitue les gens du théâtre ; l'habitude se crée pendant des générations, et se perd en deux ou trois saisons de sérieux ratages.        

Comme c'est triste une salle de théâtre vide !

Je conseillais aux futurs écrivains d'œuvres dramatiques d'écrire leur œuvre assis au dixième rang du parterre, là où l'on voit le mieux la scène ; de visualiser leur pièce pendant qu'ils l'écrivent, qu'ils voient à quoi ressemble la scène avant l'apparition du premier acteur – peut-être est-elle encombrée de choses inutiles et superflues pour le jeu des acteurs – qu'ils écoutent les répliques et coupent aussitôt tout ce qui s'apparente à de la logorrhée, tout ce qui est descriptif et sentencieux, prétentieux, offensant pour un homme un tant soit peu intelligent. Qu'au bout de dix minutes maximum, entre sur la scène le personnage principal qui a tué le défunt, à l'enterrement duquel il a prononcé un discours émouvant.

D'accord, il n'est pas nécessaire que cela soit si "noir", mais il faut que quelque chose ait lieu et fasse démarrer le train avec ses voyageurs qui se sont embarqués pour une aventure de deux heures.

Assis au dixième rang, vous regardez et percevez le rythme de la représentation ; vous décelez les endroits creux et ennuyeux, vous voyez quand la chaîne tombe du vélo alors que vous continuez à pédaler dans le vide ; vous constatez que vous n'avez pas besoin de tant de pénombre ni de tous ces machinistes qui emportent et apportent le mobilier, comme s'il s'agissait d'une nouvelle pièce, ou d'un partage de biens après divorce.

Les écrivains de prose écrivent "de la scène vers le public", du haut de la colline ou de la montagne, ils décrivent le monde, les villes, les villages et les êtres humains, sans craindre que le temps ne leur échappe et que le récit de leur "grande histoire"  ne dépasse deux ou trois heures.

Les écrivains de prose ont tout le temps du monde, le théâtre, lui, est circoncis et limité par le temps et la scène – par la "boîte", le lieu le plus fréquent de la représentation du drame, semblable à un ring sur lequel entrent des gens prêts à se battre jusqu'à la mort pour défendre leurs convictions.

Une représentation théâtrale peut être bonne même sans un seul mot prononcé, elle peut être jouée sur un pré, sur une place, par un seul homme ou par une centaine d'acteurs, elle peut être l'adaptation d'un grand roman d'un auteur qui n'a jamais eu envie d'écrire une pièce de théâtre – car il savait que c'était un autre monde, un monde claustrophobe où trop d'obscurité enveloppe des personnages qui prononcent des phrases brèves et menaçantes...

Il est peu de bons prosateurs qui aient aussi écrit de bons drames ; quasiment pas, de même que dans la longue histoire de la littérature dramatique il manque une grande "plume féminine". Le drame, dans son processus de création est un genre littéraire difficile, semblable à la sculpture ; vous êtes confronté à un "bloc de matière" à partir duquel vous allez sculpter un ou plusieurs personnages par un long travail de taille, dans la crainte permanente de détruire ce que vous avez en tête de réaliser en faisant un simple geste de travers. Des mois, des années, vous tournez autour de ce bloc de marbre – l'histoire – à observer la façon dont vous allez le maîtriser.

Le drame peut être tout ce qu'on veut, seulement il ne doit pas être ennuyeux, et il vaudrait mieux qu'il ne soit pas stupide, dans la mesure du possible.

Le texte d'une œuvre dramatique ressemble à la partition d'un opéra pour des "chanteurs" qui l'interprèteront pendant des années, à moins que la pièce ne soit représentée qu'une demi-fois, comme Bata Stojković[7] le racontait en riant, au sujet d'une pièce dans laquelle il avait joué :

La Première a été épouvantable, nous avons tous vu que c'était la catastrophe, mais nous ne nous attendions pas à ce que, après l'entracte et le premier acte, la salle soit vide. Djuza est sorti sur la scène, au début du deuxième acte, et au lieu de prononcer sa réplique il s'est exclamé : "Qu'est-ce que c'est que ça, mes amis ? Qu'est-ce qu'il se passe, bon Dieu ?"... Et il a lancé un juron bien juteux. Nous sommes sortis à notre tour sur le plateau – pas une âme, personne. Pas un seul spectateur... De honte, même les ouvreuses s'étaient cachées. Nous nous tenions immobiles sur la scène, fixant la salle vide jusqu'à ce que quelqu'un lance en blaguant : "Je crois bien que la représentation est terminée !"

Voilà comment Bata, en s'essuyant des larmes de rire, racontait l'histoire de la pièce qui n'avait été jouée qu'une demi-fois. Il en parlait comme d'un avertissement de ce qui peut arriver si le drame est tellement mauvais que rien ne peut le sauver, même après des mois de répétitions. On pourrait dire – indéfectiblement mauvais.

J'ai mentionné Bata Stojković, l'ami cher et le plus grand professionnel avec qui j'aie jamais travaillé. Le théâtre était sa maison, son amour, et une joie sans borne ; tout ce qui disparaît peu à peu du théâtre d'aujourd'hui.

Alors que je me promenais un jour de fin du second  semestre au bord du Danube, j'ai vu que mes étudiants avaient des "choses plus intelligentes à faire" que de rester assis à écrire des histoires de théâtre ou de cinéma. J'étais furieux contre eux et contre moi-même de constater que nous perdions notre temps à "bavarder sur l'art" ; je ne voulais pas avoir recours aux "mesures administratives" qui leur auraient interdit de se présenter à l’examen, alors je suis retourné à la faculté, et j'ai donné ma démission. Je me suis retiré de cette activité, las et fatigué de répéter en vain qu'un travail même moyen vaut mieux qu'une bonne inactivité. (Honneur à deux étudiants sur la vingtaine qui suivait le cours.)

Quelques mois avant mon départ de la faculté, j'ai demandé à ces jeunes gens intelligents, beaux et charmants, pour quelle raison ils étaient venus étudier la dramaturgie. Pourquoi avaient-ils eu le désir de se consacrer à l'écriture, de devenir des écrivains dramatiques – de bons écrivains dramatiques ? Je mettais l'accent sur BONS, pour leur faire comprendre que les mauvais pouvaient l'être sans études. (Avec les études aussi, malheureusement.)

Leurs réponses furent plus intéressantes que leurs écrits ; ils aimaient et savaient parler et raconter. Je leur dis qu'il serait bon qu'ils mettent par écrit une partie de ce qu'ils m'avaient confié, qu'ils s'imposent à eux-mêmes un sévère "temps de travail" et une discipline germanique pour s'obliger à rester devant leur table et lutter avec la feuille blanche qui refuse d'accepter le moindre jet d'écriture.

Le cours approchait de sa fin lorsqu'ils me demandèrent à leur tour : "Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire des drames, des comédies, des tragi-comédies ?"

Je leur ai répondu que depuis ma plus tendre enfance j'éprouvais la peur du temps qui passe. De cette enfance, je gardais en mémoire des évènements, des gens, des histoires, des images, des scènes de notre maison, de notre cour, de la rue, de la ville, toujours avec la peur que les beaux jours et les jours heureux peu fréquents s'en aillent, comme s'ils n'avaient jamais existé... C'est ainsi, dans ce sentiment de l'éphémère, de la disparition des choses, que je me suis "agrippé" à l'écriture comme à une bouée de sauvetage.

L'écriture – leur disais-je, en soulignant que c'était le fruit de mon expérience après de longues années de travail – est une tentative de l'homme pour se soigner et guérir de toutes ses peurs, de tous les traumatismes, brisures intimes, souffrances et questionnements dont il a souffert sans pouvoir s'aliter, et pour lesquels il n'a jamais obtenu de réponse sensée ; un désir panique d'arrêter le temps qui passe à la vitesse des voyages interstellaires – à la vitesse de la lumière.

L'éphémère est pire que la mort. La mort vient et s'en va, mais l'éphémère reste pour nous torturer et nous poursuivre même quand nous ne sommes plus là.

Je reviens tout de suite

C'est ce qui était écrit sur des bouts de papiers ou des morceaux de carton collés sur les portes des boutiques de denrées exotiques, des échoppes et des ateliers de confection et retouche de vêtements, et de chaussures.

Le patron était parti au tribunal, à la mairie, au café, ou chez la voisine dans la cour d'à côté, ou encore à la pharmacie chercher un médicament qui un jour ne pourrait plus rien pour lui. La pancarte, s'il ne revenait pas, restait ainsi affichée un certain temps, même si tout le monde savait que le propriétaire au nom écrit en grosses lettres était parti pour "un long voyage", et que la promesse ne serait pas tenue. Mais il était de bon ton d'attendre, au moins  quarante jours. C'est ainsi que cela se passait, au milieu des années cinquante du vingtième siècle, dans les magasins, les ateliers et les échoppes qui sentaient la cannelle, la vanille, le citron, la pierre bleue, la colle, la ferraille, les pots de peinture et les étoffes... Tout baignait dans le parfum d'un monde qui, pensiez-vous, durerait éternellement, pour toujours, et bien sûr, avec vous.

Je n'ai même pas eu le temps de me retourner qu'un demi-siècle est déjà passé. Aujourd'hui, nous sommes le 29 juillet 2013. La journée est caniculaire, la température en centre-ville atteint 43 degrés celsius. Sous la chaleur tout fond et tout va brûler, s'il reste encore quelque chose de valable à "brûler".

Je n'aurai même pas eu le temps de me retourner, que quelqu'un, par une journée de l'an 2113, lira ces pages. Cent ans auront passé depuis ce jour torride, à la vitesse dont sont passés trente-six mille ans depuis cette nuit où a été "jouée" la première représentation, le drame sur la mort (ou le meurtre) de deux jeunes chasseurs, aux abords d'un lac de montagne gelé.

Tout cela, vu à travers le temps, n'est rien par rapport aux découvertes des hommes de science, des anthropologues mondialement connus, qui ont démontré que le rire humain est l'une des raisons essentielles pour laquelle on écrit cinq tomes de pièces de théâtre, le rire qui est né dans un acte d'autodéfense en montrant les dents à l'ennemi, et qui s'est transformé en une complaisante grimace de soumission à la volonté d'autrui, jusqu'à ce que cette mimique faciale prenne aujourd'hui la forme du rire bien connu hahaha ! qui, comme l'affirment ces hommes de science – résonnait dans les savanes d'Afrique au temps de nos lointains ancêtres hominidés – il y a de cela deux ou trois millions d'années.           

À un million d'années près !

Et moi qui parle de trente-six mille ans, je crains de m'être trompé de quelques milliers d'années, comme si cela était capital pour l'essence de l'histoire, quand il est question de l'éphémérité humaine et historique dont je parle.

À travers la fenêtre de ma chambre – l'atelier de confection d'histoires théâtrales – je m'imagine en train de balayer la neige depuis le portail de la cour jusqu'à ma porte, et je me souviens d'un de mes condisciples de lycée qui nous avait dit, alors que nous rentrions de la ville dans une nuit glaciale par moins quinze degrés : "Le premier qui, cet été, me dit de me mettre à l'ombre, je le tue !".

Je vais devoir fermer mon atelier jusqu'à la mi-août. Je crains que mon manuscrit ne parte en fumée. À la télévision on ne cesse de nous répéter l'avertissement de faire attention à tout objet inflammable ; des incendies éclatent de tous côtés.

Ce que je n'ai pas dit sur l'écriture d'histoires théâtrales – il y en aurait pour un livre volumineux qui ferait fuir jusqu'au plus bienveillant des lecteurs – je l'ai écrit dans les vingt drames réunis dans ces cinq livres. Ils contiennent pratiquement tout ce qui m'étonnait, me torturait, me terrorisait, m'horrifiait, me faisait rire, m'enthousiasmait et me plongeait l'instant d'après dans la dépression et le questionnement : pourquoi sommes-nous parfois si misérables, et pourquoi ai-je été obligé, parmi tant de métiers sur notre belle planète, de "choisir" précisément celui-ci, où je reste assis à me torturer moi-même.

Je pourrais, sur l'écriture, les écrivains, les acteurs, le théâtre et les représentations... écrire encore un millier de pages, mais il me semble que ceci est suffisant en guise de prologue à ces cinq volumes.

Je terminerai par une phrase qui illustre  mon "sentiment exact" de ce qui a été accompli dans mon travail appelé écriture :

Dans la vie, j'ai fait plus que ce à quoi je m'attendais, et moins que ce que je pouvais.

JE REVIENS TOUT DE SUITE

 

Traduit du serbe par Vladimir André Čejović et Anne Renoue

*Texte d’introduction aux Œuvres complètes, I-V [Sabrana dela, I-V] de Dušan Kovačević, Belgrade, Zavod za izdavanje udžbenika, 2013.

 


NOTES

[1] "Sa Ovčara i Kablara", chanson folklorique très populaire de nos jours encore.

[2] Le 25 mai, date de naissance (officielle) du président Josip Broz dit Tito (1892-1980), fut célébré en Yougoslavie communiste, et jusqu’à la disparition du président, en tant que fête nationale.

[3] Nikoletina Bursać est l’un des héros les plus célèbres de  Branko Ćopić ; on le retrouve dans plusieurs livres – romans et recueils de nouvelles – de cet écrivain adoré par les enfants aujourd’hui encore.

[4] Les Topalović, Radovan, et Čvorović sont les personnages des pièces dramatiques de Dušan Kovačević, respectivement des Marathoniens…, de Radovan III et de L’Espion des Balkans.

[5] Il s’agit du théâtre belgradois  Atelier 212 évoqué plus haut.

[6] Luka Laban, ex-policier de la sécurité d’État, personnage du Professionnel, comédie de Dušan Kovačević.

[7] Danilo "Bata" Stojković (1934-2002) est considéré comme l’un des comédiens serbes les plus talentueux de la seconde moitié du XXe siècle. Il a joué dans plusieurs comédies de Dušan Kovačević qui furent mises en scène dans les théâtres belgradois.

 

Date de publication : avril 2014

> Dušan Kovačević

> DOSSIER SPÉCIAL consacré à Dušan Kovačević

 

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