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SOUVENIRS DE LYON

par

MIHAILO B. MILOŠEVIĆ


JS-Mourgue

Affiche pour "Journée serbe", 25 juin 1916
par Mourgue, lithographie

A la ville de Lyon, au Lycée St-Rambert - Ile barbe (actuellement Lycée Jean Perrin) et aux professeurs qui, au cours de l'année 1916, se dévouèrent aux jeunes écoliers serbes : proviseur  M. Lamy ; professeurs : Mme Kiemlé, Melles Clément, Savoye et Lamy ; MM. Mathieu, Chollet, Rotchild, Jacquet, Montagné, Gremillot, Spinetta, Buatois. 

A la mémoire de M. et Mme Joanny Braillon, instituteurs à Monsols (Rhône) en 1916, et de Mme Marie-Louise Guerin, institutrice, Lyon.

Le 28 janvier 1916, un groupe de 84 élèves serbes et leurs professeurs, qui avaient débarqué à Marseille, après la triste retraite d'Albanie, furent chaleureusement accueillis au petit lycée de Saint-Rambert, annexe du Lycée du Parc, à Lyon, actuellement Lycée Jean Perrin.

Le professeur Ljubomir Hadžić a laissé une image fidèle de la vie de ces jeunes réfugiés recueillis par la ville de Lyon. Dans une revue de l'époque*, après avoir décrit la beauté du paysage et le confort dont ils jouissaient, leur « chef de groupe » rendait hommage au Lycée et aux résultats que les dévoués professeurs obtenaient :

Sans retard on songea à leur instruction. Trois cours furent créés : un cours supérieur où l'enseignement fut donné par MM. Mathieu, Rotchild, Jacquet, Montagné et Melles Clément et Savoye ; un cours moyen confié à MM. Chollet, Jacquet, Rotchild, Gremillot, Spinetta ; un cours élémentaire dirigé par Mme Kiemlé, Melles Clément, Lamy et M. Buatois. Dans ces différentes sections, nos écoliers étudièrent avec le plus grand soin le français, les mathématiques, l’histoire et la géographie de la France. La chimie, les sciences naturelles, l'histoire et la littérature serbes continuèrent à leur être enseignées par leurs professeurs serbes.

Les distingués maîtres qui, à titre gracieux, consacrèrent tous leurs loisirs à cette instruction, firent preuve d'une patience et d'un dévouement dont nous leur gardons une profonde reconnaissance.

Nos élèves se montrèrent dociles et studieux et gagnèrent bien vite l'estime de leurs maîtres comme en témoignent plusieurs articles parus, à cette époque, dans divers journaux de la région lyonnaise, et, en particulier, l'appréciation de M. Chollet : « La conduite et l'application des Serbes, écrit leur dévoué professeur, sont très satisfaisantes, et si, à ce point de vue, nous établissions un parallèle entre ces élèves et nos ‘potaches’, ces derniers ne gagneraient peut-être pas. Venus à Saint-Rambert presque tous ignorants de la langue française, nos jeunes hôtes se sont mis au travail avec une telle ardeur qu'en moins de trois mois, ils sont parvenus à composer correctement de petites narrations où ils racontent avec une touchante simplicité leur odyssée à travers l'Albanie. Ces compositions, empreintes d'une certaine mélancolie bien compréhensible après tant de deuils et de souffrances, ne sont cependant dépourvues ni de vivacité ni d'humour. Pour se délasser des fatigues de l'étude, nos jeunes Serbes pratiquent volontiers les exercices physiques et les arts d'agrément. Ils jouent avec ardeur au football, dansent avec charme leur ‘kolo’ et chantent des rapsodies de leur pays avec un sens musical très développé. Dans leurs relations, comme dans leur langage, ils se montrent d'une familiarité de bon aloi ; ils s'assimilent si aisément nos usages qu'on les croirait nos élèves depuis de longues années... Ils s'intéressent beaucoup à ce nouvel enseignement et témoignent à leurs maîtres autant de respect que de gratitude. »

M. Hadžić fait ressortir ensuite que les jeunes élèves serbes ont remporté, à la fin de l'année scolaire, « de brillants succès ». Trente d'entre eux reçurent des prix ; plusieurs autres obtinrent des accessits et des mentions. M. Baratin, consul de Serbie à Lyon, ajouta aux récompenses décernées par le lycée trois superbes montres destinées aux trois élèves qui, dans leur langue nationale, auraient le mieux décrit la retraite serbe à travers l'Albanie.

Après la distribution des prix, nos écoliers les plus âgés quittèrent St-Rambert pour aller préparer leur baccalauréat à Voreppe et à Nice. Les autres furent envoyés au Lycée de St-Etienne pour y continuer leurs études au milieu de leurs camarades français. Ils se séparèrent avec peine des blessés français de l'hôpital qui occupe une partie du Lycée St-Rambert et avec qui ils s'étaient liés intimement. Chaque dimanche, en effet, ils se trouvaient réunis à la chapelle du lycée et là, Français et Serbes, chantaient en chœur aux offices. Souvent aussi, l'après-midi, nos élèves assistaient et prenaient part aux concerts donnés dans la grande salle des fêtes en l'honneur des glorieux soldats.

Par l'intermédiaire de M. Lamy, directeur du petit lycée et ami dévoué, de Mme Lamy que nos enfants appelaient « leur mère«, de M. Mathieu, professeur de mathématiques spéciales au lycée de jeunes filles, et de Mme la Directrice de ce dernier établissement, chaque dimanche et même durant les grandes vacances, beaucoup de nos élèves furent reçus dans des familles lyonnaises, qui les traitèrent comme leurs propres enfants, ne négligeant rien pour les distraire ou les instruire, leur faisant visiter ce que la ville possède de plus rare et de plus curieux dans les arts, le commerce et l'industrie.

Aussi nos jeunes gens conserveront-ils un souvenir ineffaçable de la cité lyonnaise, qui s'efforce d'adoucir leur triste sort d'exilés et de leur faire oublier leurs angoisses et leurs misères passées…

Nous avons cru devoir citer presque intégralement l'article de notre maître, M. Hadžić, parce que c'est un tableau pris sur le vif, il y a plus d'un demi-siècle. II avait raison de dire que nous n'oublierons ni Lyon ni la France. Notre maître Hadžić est décédé, nos maîtres français dont il cite les noms eux aussi sont morts presque tous, de même que nos correspondants, tous ces hommes admirables, chers à notre cœur, à travers lesquels nous avons connu et aimé la France. Mais leurs noms et leurs figures nous sont sacrés. L'immense fleuve d'oubli emporte tout, mais nous y opposons la force de notre fidèle et affectueux souvenir.

II est difficile de décrire toute l'étendue de cette hospitalité cordiale que nous avons trouvée à Lyon et dans la région lyonnaise. Les souvenirs et les témoignages sur ce sujet sont innombrables et il faudrait évoquer des milliers de noms de nos amis et bienfaiteurs et des milliers de leurs beaux gestes à notre égard pour donner une idée, même incomplète, de cette grande amitié. Nous ne pouvons pas cependant ne pas mentionner quelques exemples au moins, pris dans le cercle des enseignants français. Comme il s'agissait d'élèves, ce furent d'abord et surtout les membres du corps enseignant français – professeurs d'universités, d'écoles secondaires, instituteurs – qui, répondant à l'appel de leurs chefs éminents tels que MM. A. Sarraut et A. Honorat, ministres de l'Instruction publique à cette époque, nous témoignèrent cette délicate sollicitude dont ils entourent traditionnellement la jeunesse française en s'attachant non seulement à orner son esprit mais aussi à ennoblir son cœur.

Un de ces anciens pensionnaires de St-Rambert, actuellement avocat à Belgrade, garde un pieux souvenir de ses correspondants lyonnais. Le premier fut M. Vachey, proviseur au Lycée du Parc, qui fit un accueil paternel dans sa maison à ce jeune Serbe, puis le recommanda à M. Cledat, éminent philologue, doyen de la Faculté des Lettres de l'Université de Lyon. Ces hommes distingués recommandèrent ensuite leur petit protégé à d'autres amis et parents qui le reçurent avec la même cordialité, l'emmenant avec eux au cours de tous leurs déplacements pendant les grandes vacances et en d'autres occasions. C'est ainsi qu'il fut reçu également dans la maison de M. E. Jusserand, le frère de l'Ambassadeur, pour un temps assez long.

Ces savants maîtres avaient une façon charmante d'instruire en divertissant et, en pédagogues accomplis, se montraient toujours compréhensifs, patients, larges. Pour faciliter à leur pupille l'étude du français, ils l'invitaient le dimanche à entendre à l'église le sermon de quelque bon prédicateur, en faisant observer, par exemple : « Cela est indépendant de vos idées sur la religion. Cet orateur sacré est recommandable en raison de sa diction et de son style qui sont excellents ... » Pour l'initier à l'histoire, à l'architecture, à la peinture, ils lui faisaient visiter les châteaux de la Loire, les Musées, les monuments, etc. Pour lui faire oublier ses chagrins d'exil, ils avaient des gestes charmants. C'est ainsi qu'un matin, en se réveillant dans la maison de ses hôtes, il aperçut sur son bras un bracelet-montre, don de la famille, qu'on lui avait mis au bras pendant qu'il dormait. Cependant, quand en remerciant avec confusion, il voulut en savoir plus long, il trouva des visages souriants et ravis de sa joie, mais personne ne voulut avouer y être pour quelque chose...

Un autre ancien élève du Lycée St-Rambert a gardé un souvenir affectueux et reconnaissant de ses correspondants, une charmante famille d'instituteurs, M. et Mme Braillon, qui l'avaient hébergé pendant les grandes vacances de l'année 1916 dans le beau petit village de Monsols (Rhône, arrondissement de Villefranche). Cette excellente famille a exercé une forte influence sur sa formation intellectuelle et morale en lui offrant un beau spectacle des qualités françaises : du bon sens, de l'harmonie familiale, du patriotisme, de l'esprit civique, de l'esprit humanitaire... Quand ce petit garçon tomba malade, Mme Braillon, qui avait deux enfants du même âge que ce petit Serbe, le soigna avec un dévouement maternel. Le père Braillon, alors mobilisé, était un instituteur d'élite qui remplissait volontairement plusieurs fonctions sociales et culturelles avec un profond sens du devoir. Tant par son aspect physique que par sa verve, mais avec plus de bonhomie, il rappelait beaucoup Anatole France. Dans sa façon d'enseigner le français à son pupille et de corriger ses fautes, il avait d'excellents procédés où le sérieux se mêlait aux boutades spirituelles. Pour rectifier, par exemple l'emploi inadéquat d'un adjectif de la part de son hôte, qui lui disait : « Cher Maître, vous avez une barbe argentine », le Maître Braillon répliquait : « Je l'ai plutôt brésilienne, mon petit, mais il vaudrait mieux dire l’argentée » ... Les Braillon faisaient tout pour rendre à leur hôte le séjour aussi agréable et utile que possible et le traitaient comme leurs propres enfants.

Nos camarades français ne se montrèrent pas moins prévenants envers nous que leurs parents et les rapports d'amitié, qui se nouèrent entre nous, ont subsisté et pourraient faire l'objet d'un chapitre particulier.

Nos relations épistolaires avec nos amis français de cette époque se sont maintenues jusqu'à ce jour. Le genre épistolaire a, sans doute, beaucoup changé tant par la forme que par le fond depuis Madame de Sévigné, mais il demeure l'un des beaux aspects de la culture française et la lecture de lettres d'un correspondant français, à quelque couche sociale qu'il appartienne, procure toujours bien du plaisir... [...]

* La Patrie Serbe, fondée à Paris, en 1916, par Dragomir Ikonić, docteur en philosophie, et Jaša Prodanović, ancien ministre, comme « revue de la jeunesse serbe en exil ».  L'historique de cette revue est à faire ; elle est une source de renseignements sur les liens intellectuels et politiques des Français et des Yougoslaves.

In Mihailo B. Milošević (dir.), Amitié franco-yougoslave, Belgrade, 1969, p. 97-102. 

> S. Petrović : Le sauvetage de la jeunesse serbe
> M. Ibrovac : Les élèves serbes en France
> Dossier spécial : la Grande Guerre

 

Le poème titré "Salut à la Serbie", écrit en janvier 1916, fut lu par son auteur Jean Richepin (1849-1926) lors de la manifestation pro-serbe des alliés, organisée le 27 janvier 1916 (jour de la Fête nationale serbe de Saint-Sava), dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. A cette manifestation assistèrent, â côté de 3000 personnes, Raymond Poincaré et des ambassadeurs et/ou représentants des pays alliés.

Grace à l’amabilité de Mme Sigolène Franchet d’Espèrey-Vujić, propriétaire de l’original manuscrit de ce poème faisant partie de sa collection personnelle, Serbica est en mesure de présenter à ses lecteurs également la photographie de la première page du manuscrit du "Salut à la Serbie".

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