|
L’hagio-biographie dynastique du Moyen Age serbe trouve sa pleine expression dans l’œuvre de codification entreprise par l’archevêque de Serbie Danilo II (1324-1337), contenue dans le recueil intitulé, en abrégé, Les Vies des rois et archevêques serbes. Ce codex hagio-biographique d’historiographie dynastique regroupe les vies (d’une étendue très inégale) des rois et des archevêques depuis la première moitié du XIIIe siècle jusqu’à la deuxième moitié du XIVe siècle. L’édition de l’œuvre de Danilo II et de ses continuateurs anonymes, faite en 1866 par Djura Daničić à partir de trois manuscrits seulement, alors que d’autres manuscrits plus complets et plus anciens ont été trouvés depuis, ne permet pas de régler avec certitude la question de la genèse de cette série de biographies. Il est communément admis actuellement que ce sont deux auteurs principaux, Danilo II et son continuateur anonyme (le troisième auteur serait également un anonyme qui n’aurait écrit que les trois vitæ très brèves, placées à la fin du recueil, celles des trois premiers patriarches de Serbie), qui sont à l’origine de cette œuvre littéraire majeure du XIVe siècle serbe, conçue dès le départ par son auteur initial comme une série de biographies dynastiques et ecclésiastiques. Les Vies des rois, dans le Recueil de Danilo II, ne peuvent cependant pas être toutes classées dans la catégorie des écrits hagiographiques, surtout en ce qui concerne les premiers rois dont il rapporte la biographie : Radoslav (1228-1234), Vladislav (1234-1243), Uroš Ier (1243-1276). Celles de la reine Hélène et du roi Milutin (1282-1321) se rapprochent, en revanche, bien davantage du genre hagiographique, surtout la dernière partie qui décrit le trépas du roi mort en odeur de sainteté. Milutin fut en fait le premier roi dûment canonisé, après le fondateur de la dynastie. Les autres biographies royales sont également conçues dans une perspective de sainteté. Au bout d’un siècle de tradition hagiographique élaborée à partir du culte de Saint Siméon-Nemanja, l’optique de l’historiographie dynastique avait toute raison de voir, dans un cadre hagiographique, l’affirmation de la continuité charismatique de la royauté. Dans l’optique de l’archevêque Danilo II – ce remarquable prélat placé à la tête de l’Église de Serbie, instigateur de la représentation picturale de la Sainte lignée dont des parallèles se trouvent dans l’art plastique en Occident – la sainteté est non seulement la vertu suprême, la confirmation du charisme royal, mais aussi une des conditions de la légitimité dynastique. Les continuateurs anonymes de Danilo II écrivent La Vie de Stefan Dečanski (1321- 1331), la biographie tronquée du roi (et, depuis 1345, empereur) Dušan (1331-1355), ainsi que les hagiographies de cinq archevêques, dont celle de Danilo II lui-même. Quelle qu’ait pu être l’intention initiale de son premier auteur et l’histoire de la formation du Recueil qui porte le nom de son seul auteur connu, ce volumineux codex dynastique est l’ouvrage hagio-biographique et historiographique le plus systématique du Moyen Age serbe. Au-delà des différences notables que l’on observe dans le style de ses auteurs respectifs, il porte l’empreinte d’une continuité de méthode et d’esprit. L’idée maîtresse en est la symphonie des deux pouvoirs, sublimée dans la sainteté de ses meilleurs rois et archevêques, sarments de la Sainte lignée, celle des saints Siméon et Sava, dont la continuité providentielle est incarnée par le charisme de la Sainte lignée némanide. Il est à noter que la plus importante nouveauté qu’apporte ce recueil est liée à sa structure interne. Les biographies royales antérieures à celles de Danilo II étaient plus modestes, s’en tenant davantage au modèle du bios byzantin (destiné à faire partie d’un typikon monastique), contrairement aux biographies développées en épais volume de trois cents feuillets, comme celles de Domentijan et Teodosije. Danilo II conçoit une autre structure de biographie officielle, une entité importante composée de plusieurs textes hagiographiques sensiblement moins longs. Son intention était de créer une sorte de « prologue » serbe. La composition interne des vitae est également modifiée pour la rendre plus complexe en y introduisant une alternance de plusieurs autres genres : prières, lamentations, monologues méditatifs, confessions de pénitence, louanges et enseignements. Ce sont les idées du monachisme érudit athonite, celui-là même qui est à l’origine de la théologie hésychaste palamite, qui se reflètent à travers l’œuvre hagiographique et hymnographique de Danilo II. Cette orientation hésychaste devait amener par ailleurs une évolution de l’expression littéraire vers un expressionnisme plus poussé, non pas dans le sens narratif comme chez Teodosije, mais plutôt dans une application plus docte et plus recherchée des moyens, déjà connus antérieurement, de la spiritualité littéraire médiévale. Les manuscrits Les copies les plus anciennes de cet ouvrage majeur de Danilo II appartiennent à la deuxième partie du XVe et du début du XVIe siècle. Un petit nombre de copies contient le texte intégral de l’ouvrage, alors qu’un assez grand nombre de ms contient les différentes vies issues du recueil original. La plus ancienne copie connue à ce jour de l’ouvrage intégral est celle qui avait été faite en 1553 au monastère de Mileševa, pour être peu de temps après acheminée à Chilandar. Ce ms a fait l’objet de plusieurs copies antérieures, dont une faite en 1763 pour le compte de l’historien Jovan Rajić (BPB, N° 45) ; une autre copie intégrale est faite en 1780 (BPB, 51). Deux copies faites en Moldavie contiennent le texte intégral hormis la vie de Danilo II. L’un de ces ms est daté du milieu du XVIe siècle (Bibliothèque nationale de Varsovie, aks. 10780). Une copie (IX A6, cod. C[Š]), Bibliothèque nationale de Prague, avait été faite pour le compte de Schaffarik. Le deuxième ms, daté de 1567, est conservé dans le monastère de Sučevica en Roumanie. Les autres ms contiennent une ou plusieurs biographies issues du recueil de Danilo II. Le plus ancien, contenant les vies du roi Dragutin et la vie de la reine Hélène, est daté de la fin du XVe siècle. Conservé jusqu’alors à la BN de Belgrade (cod. 378 [21]) il fut détruit lors du bombardement allemand de 1941. Stojanović a démontré qu’il s’agissait d’une version plus ancienne que celle qui avait servi à l’édition de Daničić. Accompagnée de celles de Milutin et d’Hélène, cette version ancienne de La Vie de Dragutin fait aussi partie d’un recueil copié au milieu du XVIIe siècle, conservé à la Bibliothèque nationale de Sofia (cod. 267 [544]). Une version plus tardive de La Vie de Dragutin, avec la vie de la reine Hélène, ainsi qu’avec une version abrégée de l’introduction de l’auteur, datée de 1526, est conservée à la Bibliothèque Saltikov-Ščedrin (cod. Gilf. 55) à Petrograd. La Vie de la reine Hélène est incluse également dans le Recueil du hiéromoine Oreste, daté du 1536 (Hil. 482). Les Vies des archevêques sont incluses dans un recueil de la Bibliothèque nationale et universitaire de Zagreb (cod. R4186). Il s’agit là du ms dit « de Milojević », comprenant, en outre, des parties du Typikon de Studenica, et qui avait longtemps été considéré comme égaré. L’office de l’archevêque Arsène Ier est conservé en 17 copies, et ce nombre n’est sans doute pas définitif. La version longue est connue grâce à l’édition de Sinesije Živanović (Rimnik, 1761), faite d’après une copie (perdue depuis) réalisée dans le monastère de Rakovac en 1714, alors que la version brève est conservée dans les ménées. Les deux versions sont attribuées à Danilo II ; la version brève a été rédigée afin d’être incluse dans l’office aux saints fêtés le 28 octobre. C’est du moins ce qui ressort de la forme particulière de l’office telle qu’elle se présente dans le ms (N° 27) de la Bibliothèque du Patriarcat de Belgrade, daté de 1623. Les stichères de l’office d’Arsenije y sont mélangés avec ceux des autres saints fêtés le même jour. Une copie (XVIe s.) de la version brève a été publiée par Ljubica Štavljanin Djordjević, dans Arheografski prilozi I (1979), p. 109-115, une vita synaxaire du saint correspondant y fait partie. L’office de l’archevêque Eusthate est aujourd’hui conservé en seulement deux copies, dont celle de la BN de Belgrade (code : Rs 18), orthographe slavo-serbe. Absent de l’édition de Živanović (de 1761), rédigé avec une orthographe slavo-russe, cet office est inclus dans l’édition complétée de Srbljak de 1861, faite par Mihailo le métropolite de Belgrade. Les différences entre les deux variantes sont peu importantes, ce qui est en principe l’indice d’une faible diffusion de ce texte. Une dernière édition de Sbrljak a été publiée en 1986, par le patriarche Paul de Serbie. Manuscrits des continuateurs anonymes de Danilo II (1337-1340 & après 1475) Les plus anciens ms des Continuateurs anonymes datent de la fin du XVe et de la première partie du XVIe siècle. Les trois plus anciens de ces ms sont ceux mêmes qui contiennent l’ensemble du recueil des Vies des rois et archevêques dont l’histoire est rappelée plus haut. Les éditions et les traductions en serbe moderne : Danilo II, Arhiepiskop Danilo i drugi, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih. Napisao arh. Danilo (Archevêque Danilo et les autres. Vies des rois et archevêques serbes) éd. Dj. Daničić, Belgrade - Zagreb, 1866 ; (= réimpression Londres, 1972, introduction Dj. Trifunović) ; Arhipiskop Danilo II, Arhiepiskop Danilo, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih (Vies des rois et archevêques serbes), introd. N. Radojčić (p. V-XXIX), trad. L. Mirković, Belgrade, 1935 ; Danilovi nastavljači, Danilov učenik, drugi nastavljači Danilovog zbornika (Les continuateurs de Danilo II, Le disciple de Danilo, les autres continuateurs du recueil de Danilo II), trad. serbe avec une introduction de G. McDaniel, Belgrade, 1989, p. 9-24, 178 p. ♦ Bibliographie. Lj. Stojanović, “Žitija kraljeva i arhiepiskopa srpskih od arhiepiskopa Danila i drugih”, Glas SKA, 106 (1928), p. 97-112 ; S. P. Radojčić, Portreti srpskih vladara u srednjem veku (Les portraits des souverains serbes au Moyen Age), Skoplje, 1934, p. 38-43 ; L. Pavlović, Kultovi lica kod Srbai Makedonaca [Le culte des personnes chez les Serbes et les Macédoniens], Smederevo, 1965, p. 91-97 ; I.-R. Mircea, « “Les vies des rois et archevêques serbes” et leur circulation en Moldavie. Une copie inconnue de 1567 », Revue des Études sudest européennes, 4 (1966), p. 393-412 ; D. Petrović, “Život kralja Milutina od arhiepiskopa Danila II” [La Vie du roi Milutin par l’archevêque Danilo II], Zbornik Filosofskog fakulteta u Prištini, VIII (1971), p. 362-376 ; H. Birnbaum, “Byzantine tradition transformed : the Old serbian Vita”, On Medieval and Renaissance Slavic Writing, Mouton, La Hague, 1974, p. 307-322, S. Hafner, Serbisches Mittelalter. Altserbische Herrscherbiographien, Bd. 2 : Danilo II und sein Schüler, Die Königsbiographien, Slavische Geschichtsschreiber 9, Altserbische Herrscherbiographien 21, Graz-Vienne-Cologne, 1976 ; V. Mošin, “Žitije kralja Milutina prema arhiepiskopu Danilu II i Milutinovoj povelji-autobiografiji” [La vita du roi Milutin par l’archevêque Danilo II et la charte autobiographique de Milutin], Zbornik istorije književnosti odeljenja jezika i književnosti SANU, 10 (1976), p. 109-136 ; Dj. Trifunović, “Proza arhiepiskopa Danila II” [La prose de l’archevêque Danilo II], Književna istorija,IX/33 (1976), p. 3-71 ; D. Bogdanović, “L’évolution des genres dans la littérature serbe du XIIIe siècle”, in Mélanges Ivan Dujčev, Byzance et les Slaves. Études de civilisation, Paris, 1979, p. 49-58 ; G. L. McDaniel, “Prilozi za istoriju “Života kraljeva i arhiepiskopa srpskih” od Danila II” [Contributions à l’histoire des “Vies des rois et archevêques serbes” de Danilo II], Prilozi KJIF, XLVI (1980), p. 42-52 ; I.-R. Mircea, « Sur une édition critique des vies des rois et archevêques serbes », Tekstologija srednjovekovnih južnoslovenskih književnosti, Belgrade, 1981, p. 299-306 ; G. L. McDaniel, The Lives of the Serbian kings and Archbishops by Danilo II, Textual History and Criticism, An Arbor 1984 ; S. Hafner, “Danilo II kao srednjovekovni istoriograf” [Danilo II en tant qu’historiographe médiéval], in L’archevêque Danilo II et son époque, Belgrade, 1991, p. 131-138 ; D. Petrović, “Dela arhiepiskopa Danila II u sopoćanskom zborniku iz 1526 g.” [Les écrits de l’archevêque Danilo II dans le Recueil de Sopoćani de 1526], in L’archevêque Danilo II et son époque, Belgrade 1991, p. 203-209 ; F. J. Thomson, “Archbishop Daniel II of Serbia Hierarch, Hagiographer, Saint. With Some Comments on the Vitae regum et archiepiscoporum Serbiae and the Cults of Medieval Serbian Saints”, Analecta Bollandiana 111 (1993), p. 103-134 ; B. I. Bojović : L’idéologie monarchique dans les hagio-biographies dynastiques du Moyen Age serbe, Pontificio instituto orientale, (Orientalia christiana analecta, 248), Roma, 1995, p ; 164-167 ; G. Podskalsky, Theologichte Literatur des Mittelalters in Bulgarien und Serbien 865-1459, Munich, 2000, p. 387-409; B. I. Bojović, Histoire et eschatologie / Uсторија и есхатологија, De l’histoire et de la littérature du Moyen Age sud-slave / Из историје и књижевности јужнословенског средњег века, Paris - Vrnjačka Banja 2008, p. 224-228 ; P. Guran, « Slavonic Historical Writing in South-Estern Europe, 1200-1600 (Hagiography as Historical Thought : the case of Serbia) », in Sarah Foot, C. F. Robinson, The Oxford History of Historical Writing (400-1400), Oxford University Press, 2012, p. 330-341. Boško I. Bojović |