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Poète symboliste et moderniste, versificateur attentif à la forme et créateur d’un mètre plus à même d’exprimer la pensée spéculative et l’intellectualisme des modernes, Jovan Dučić s’appuie sur l’expérience de son précurseur direct Vojislav Ilić tout en introduisant l’héritage des symbolistes et du Parnasse (français notamment : Baudelaire, Rimbaud, Heredia – dont il partage l’inclination pour les tableaux de genre et l’expression de la grandeur passée). Poète métaphysique, prosateur moraliste, auteur de récits de voyages, de critiques littéraires ou d’art, il excelle aussi dans les portraits de ses contemporains, dans diverses études sociales et politiques. La quintessence de son intérêt pour ces dernières apparait dans l’importante monographie consacrée à la vie et l’œuvre du comte Sava Vladislavić Ragusinski, grande figure de la diplomatie serbe du XVIIIe siècle à la cours du tsar Pierre le Grand. Poète et diplomate de premier ordre Jovan Dučić est né en 1874 en Bosnie-Herzégovine, alors province ottomane. Son éducation, classique, s’effectue d’abord en Autriche-Hongrie puis, de 1899 à 1906, en Suisse. Sa formation intellectuelle et morale gravite autour de l’idée du renouveau de l’État et de la culture serbes, alors en pleine renaissance. Enseignant en Bosnie sous occupation autrichienne, il perd son emploi en raison de ses activités politiques. Il s’exile alors à Genève où, grâce à l’aide financière du gouvernement serbe, il poursuit ses études. C’est à Paris qu’il fait connaissance de Jovan Skerlić, une rencontre déterminante pour son futur. À partir de 1907, et jusqu’à sa mort, il sera au service du ministère des Affaires étrangères du Royaume de Serbie, puis de la Yougoslavie (ambassadeur à Rome, Athènes, Madrid, au Caire, à Genève auprès de la Société des nations, etc.). Il aura vécu assez longtemps pour faire une carrière de diplomate de premier ordre et voir la réalisation de ses aspirations culturelles et politiques : la libération des Serbes de toute tutelle étrangère, leur unification à la Serbie qui, en 1918, précède l’unification des Slaves du sud dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (Yougoslavie). Il vivra, également, à la fin de sa vie et en exil, l’effondrement de cet idéal (sujet de son recueil posthume, Lyrique, 1943). Dučić appartient à l’âge d’or du lyrisme moderne (1890-1918). Soutenu par la critique académique (Jovan Skerlić, Bogdan Popović), il forme à la belle époque, auprès de poètes tels Aleksa Šantić, Milan Rakić, Veljko Petrović, Milutin Bojić, un parnasse littéraire dédié à la poésie descriptive, narrative et souvent hymnique, exaltée, patriotique. À l’encontre de ce courant, Vladislav Petković Dis, Sima Pandurović, Mileta Jakšić, Svetislav Stefanović, Stevan Luković, Dušan Srezojević créent un lyrisme plus onirique, plus psychologique, plongé dans une atmosphère de mélancolie, exprimant le sentiment de l’immensité cosmique et des espaces infinis. Dučić abordera également certains de ces thèmes, notamment dans sa poésie tardive et son recueil posthume. Jovan Dučić développe très tôt son idée d’une littérature, d’une poésie « appliquée », d’un lyrisme uniquement dédié à la métaphysique et à l’expression de la beauté tragique. Il introduit le culte d’un vers qui serait à la fois musical et descriptif, d’une poésie réflexive et intellectuelle, à la beauté formelle et symbolique, aux figures rares et bienvenues, aux motifs parnassiens récurrents tels le paysage en tant qu’expression de l’état d’âme, de l’amour de la femme et de l’amour de Dieu comme expression de la quête du monde et de la réalisation de soi. Il parfait l’expression verbale, excelle dans l’usage d’un lexique moderne, intellectuel, varié, codifie un alexandrin à la fois souple et ample, propre à exprimer l’unité indivisible de l’homme et de l’univers. Aux sommets de la littérature serbe de son temps Auteur cultivé, érudit qui a passé sa vie active dans la diplomatie, il insiste aussi, en tant que formaliste, sur l’idée de la continuité, de l’unité organique de la littérature serbe qui, par nombre de ses métamorphoses (sur le plan des formes et des thèmes), ne fait que confirmer le talent poétique et linguistique des grands prédécesseurs romantiques au premier rang desquels figurerait, selon Dučić, Jovan Jovanović Zmaj (figure tutélaire, fondatrice, d’un lyrisme dédié à l’expression de la transcendance et dont découlerait l’ensemble de la versification contemporaine). Jovan Dučić s’est hissé aux sommets de la littérature serbe de son temps et a rayonné en véritable Prince des poètes dont la renommée sera demeurée pérenne et n’aura été ternie ni par les tenants des avant-gardes ni par les surréalistes, auteurs engagés оu autres tenants du réalisme socialiste de l’après-guerre. Jovan Dučić a publié les ouvrages suivants : Пјесме / Poèmes, 1901 ; Песме / Poèmes, 1908 ; Песме / Poèmes, 1911 ; Песме сунца / Poèmes du soleil, 1929 ; Песме љубави и смрти / Poèmes de l’amour et de la mort, 1929/30 ; Царски сонети / Sonnets impériaux, 1930 ; Плаве легенде / Légendes bleues, 1930 ; Градови и химере / Villes et chimères, 1930 ; Благо цара Радована / Le Trésor du tsar Radovan, 1932 ; Гроф Сава Владиславић / Le Comte Sava Vladislavić, 1942 ; Лирика / Lyrique, 1943 ; Стаза поред пута / Le Chemin auprès de la route, Моји сапоутници / Mes contemporains, Јутра са Леутара / Matinées sur le Leutar, 1951 (posthume). Grand voyageur, Dučić a publié plusieurs récits de voyage. Éloquent et érudit, ces récits (Villes et chimères) renouvellent un genre que modernisait déjà, un demi-siècle auparavant, Ljubomir Nenadović. Diplomate au Caire, ses peintures du présent de l’Egypte et de la Palestine, véritable études sociologiques, renvoient à la grande tradition serbe du récit de voyage en terre sainte et la renouvelle en profondeur. La Méditerranée et l’héritage classique sont également au cœur de ses ouvrages moralistes : Le Trésor du tsar Radovan, Matinées sur le Leutar. En saluant l’idée de Yougoslavie, le diplomate et l’écrivain reconnaissait dans ce nouvel État le syncrétisme méditerranéen, l’antique idéal d’Alexandre. Son effondrement n’en aura été que plus amer. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Dučić effectue ses dernières missions diplomatiques en Espagne et au Portugal avant de gagner les États-Unis peu après l’occupation du Royaume de Yougoslavie par les nazis. Profondément affecté par les évènements tragiques qui ont suivi, en particulier par le génocide commis contre les Serbes par l’État croate indépendant, il mourra en exil, au bord du lac Michigan, en 1943. ♦ Etudes et articles en serbe. Jovan Skerlić, Istorija nove srpske književnosti / Histoire de la nouvelle littérature serbe, 1914 ; Đorđe Anđelić, Istorija jugoslovenske književnosti / Histoire de la littérature yougoslave, 1938 ; Vladeta R. Košutić, Parnasovci i simbolisti u Srba / Serbes parnassiens et symbolistes, 1967 ; Jovan Deretić, Istorija srpske književnosti / Histoire de la littérature serbe, 1983 ; Slavko Leovac, Jovan Dučić, književno delo / Jovan Dučić, œuvre littéraire, 1985 ; Predrag Palavestra, Istorija moderne srpske književnosti - zlatno doba 1892-1918 / Histoire de la littérature serbe moderne - l’âge d’or, 1986. Boris Lazić |