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In memoriam

Radoslav Petković 

(1953-2024)



Romancier, nouvelliste, essayiste et traducteur de l’anglais, Radoslav Petrović (né le 21 juillet à Belgrade) est décédé à Novi Sad le 27 octobre 2024.

Lauréat des prix littéraires les plus prestigieux en Serbie (entre autres, le prix NIN), Radoslav Petković a également attiré l’attention des traducteurs et des éditeurs à l’étranger.

Ses cinq livres, traduits par Alain Cappon, sont publiés en France : Communication sur la peste, 1992 et 1995 ; Des ombres sur le mur, 1996 ; Destin et commentaires, 1998 ; L'Homme qui vivait dans les rêves, 1999 ; Souvenir parfait de la mort, 2010.

 

Ecrivain phare de la génération apparue sur la scène littéraire au début des années 1980, Radoslav Petković est perçu comme l’héritier et le successeur de Borislav Pekić et de Danilo Kiš, maîtres reconnus de la prose serbe contemporaine. Erudit à l’esprit d’explorateur et à l’imagination débordante, toujours en quête de nouveaux modes de narration, il est l’auteur d’une œuvre très variée sur les plans thématique et formel. Sans tenir compte des codes poétiques prescrits, guidé uniquement par son intuition et son talent de l’écrivain, il puise son inspiration à des sources multiples tout en explorant différentes stratégies d’écriture et de réécriture, y compris celles propres à la littérature postmoderne.

Radoslav Petković a publié cinq romans : Voyage à Deuville / Putovanje u Dvigrad (1979), Ecrits de l’année des fraises / Zapisi iz godine jagoda (1983), Des ombres sur le mur / Senke na zidu (1985), Destin et commentaires / Sudbina i komentari (1993) et Souvenir parfait de la mort / Savršeno sećanje na smrt (2008). Parmi ceux-ci, les trois derniers méritent une attention toute particulière car ils démontrent avec brio comment le roman d’aventure – aventure qui repose aussi sur une recherche de l’Histoire « vraie » ou encore sur une quête spirituelle – peut se transformer, grâce au talent de l’auteur, en aventure du roman, en une véritable aventure de l’écriture.

Des ombres sur le mur relate les aventures d’un picaro moderne, d’un vagabond qui, fasciné par la découverte du cinéma et envoûté par son univers d’« images en mouvement », traverse l’Europe avec un cinématographe itinérant, machine à produire des rêves. L’originalité de ce livre – qui retrace, en même temps, l’histoire du cinéma muet – réside surtout dans sa mise en forme peu commune : conçu sur une technique cinématographique propre, le montage, il se présente, en fait, comme une sorte de roman–kaléidoscope où le défilé des scènes narratives donne au lecteur l’impression de suivre justement les images en mouvement.

Destin et commentaires, à la fois roman à énigme et vaste fresque pseudo-historique sur la diaspora serbe et ses fantasmes, évoque deux destinées humaines à travers deux histoires distinctes situées, l’une à l’époque des guerres napoléoniennes, l’autre en 1956 lors de l’intervention soviétique à Budapest. Ces deux histoires, romans d’aventures apparemment sans aucun lien, sont mises en relation de façon énigmatique grâce à la légende sur le despote Djordje Branković, l’un des plus étranges personnages de l’histoire serbe. Construit sur un mélange inattendu de différents genres et procédés narratifs, ce livre insolent est également, d’une certaine manière, un roman sur le roman vu comme un laboratoire à fabriquer des histoires.

Quant à Souvenir parfait de la mort, il se présente comme roman-puzzle composé de diverses formes de récit, qui, une fois toutes les pièces agencées, prend la forme d’un « polar ésotérique », comme l’a qualifié la critique serbe. Au centre de ce roman complexe – où s’entrecroisent plusieurs fils narratifs mais aussi différents enseignements philosophiques, théologiques, ésotériques… – l’auteur a placé l’histoire mouvementée du moine Philarion, protagoniste et unique personnage fictif du livre : en suivant la quête spirituel de ce disciple du philosophe Gemistos, et ses pérégrinations dans le Péloponnèse byzantin du XVe siècle, à l’époque troublante du dernier empereur byzantin Constantin et de la chute de Constantinople en 1453, le lecteur sera confronté à des nombreuses énigmes dans lesquelles l’érudition sert d’appui à une imagination sans bornes.

Les nouvelles de Petković réunies en deux recueils – Communication sur la peste / Izveštaj o kugi (1989) et L’homme qui vivait dans les rêves / Čovek koji je živeo u snovima (1998) – sont, elles aussi, les produits d’un jeu subtil de l’érudition et de l’imagination. Conçues sur les procédés borgésiens ou sur ceux relevant des stratégies narratives postmodernes, elles se réfèrent sans cesse à l’histoire, à la religion et à la mythologie, et introduisent le lecteur dans un univers insolite. Un univers où l’on peut rencontrer, entre autres, l’apôtre Paul et ses disciples dans la Rome incendiée par Néron ; une réincarnation de Charon, le charretier chargé de conduire les âmes des morts dans le monde d’en bas ; un bâtisseur de gibets hanté par l’idée d’atteindre la perfection dans son « art » ; un ingénieur belgradois, fondateur et prophète de la secte des Immortels… Parmi les nouvelles de Petković, les plus originales mais aussi les plus déroutantes et hermétiques sont celles qui relèvent du réalisme magique, celles qui laissent présager l’étrange coexistence de mondes parallèles : le visible et l’invisible, le réel et le fantastique. Ces récits nous déconcertent, nous laissent pantois – parce que l’auteur ne nous offre aucune clef qui nous permettrait de percer le secret de l’intrigue, mais, surtout, parce qu’il bouscule toutes nos certitudes en nous donnant à entendre que la vie et la mort relèvent du mystère, et que ce mystère demeurera à jamais impénétrable.

Une partie non négligeable de l’opus littéraire de Petković est constituée d’essais qui accentuent encore sa dimension érudite et sa diversité thématique. Les plus importants sont sans doute ceux réunis dans les recueils À propos de Michel-Ange / O Mikelandjelu govoreći (2006) et Internet byzantin / Vizantijski internet (2007) où l’auteur fait montre tout à la fois d’une brillante érudition, d’une rare lucidité intellectuelle et d’un talent d’observation hors du commun. Sans hésiter à bousculer les idées reçues, il nous offre un regard original sur l’héritage culturel et spirituel antique et byzantin, sur quelques-uns des grands penseurs et artistes qui ont façonné la culture européenne ainsi que sur nombre de sujets relevant de l’histoire, de la religion, de l’idéologie, de la politique… Il y développe également ses réflexions sur la littérature avant de conclure qu’« ayant perdu son statut dans les stratégies du pouvoir », elle « a  perdu aussi son statut dans la hiérarchie du pouvoir ».

Milivoj Srebro

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