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NOUVELLES DE SERBIE

Avant-propos

par

VESNA CAKELJIĆ

 Nouvelles de Serbie
Un choix des nouvelles serbes préparé et préfacé par Vesna Cakeljić*
Magellan & Cie, Collection Miniatures, Paris, 2012.
 

Au cœur des Balkans, la Serbie fut longtemps le carrefour de plusieurs civilisations et cultures, le pont entre l’Occident et l’Orient, entre l’Europe centrale et la Méditerranée, mais aussi un espace stratégique convoité par les plus grands empires de l’époque. Sa capitale, Belgrade, qui s’étend au confluent de la Sava et du Danube, est dominée par une vieille forteresse où se mêlent les architectures celte, romaine, slave, turque et autrichienne, résumant à elle seule cette stratification historique.

L’histoire de ce pays est parmi les plus tragiques qui soient en Europe. Au Moyen Âge, les Serbes avaient constitué un puissant État qui connut son apogée au XIVe siècle sous le règne du tsar Dušan, avant que les Ottomans conquièrent le pays et le gardent sous leur joug jusqu’au XIXe siècle, lorsque la Serbie devint indépendante. Après la Première Guerre mondiale, les Serbes, les Croates et les Slovènes se rassemblèrent autour d’une monarchie qui en 1929 prit le nom de Royaume de Yougoslavie. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, la Serbie antifasciste devint l’une des six républiques (Serbie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Monténégro et Macédoine) de la Yougoslavie de Josip Broz, dit Tito, fédération dont l’éclatement dans les années 1990 engendra une guerre meurtrière et destructrice, qui conduisit à l’indépendance de la Serbie en 2006.

Avec un tel passé et de telles influences, il n’est pas surprenant que les créateurs fassent preuve d’une imagination débridée, dont le trait essentiel serait le métissage des diverses expressions de l’âme des Slaves du sud, une certaine métaphysique des Balkans et la cohabitation voulue des genres. Goran Bregović, compositeur d’inoubliables musiques des films oniriques d’Emir Kusturica et génial synthétiseur du folklore balkanique avec son Orchestre des mariages et enterrements, en est la parfaite illustration. Bregović et Kusturica sont tous deux nés à Sarajevo et vivent à Belgrade.

Il y a une vingtaine d’années, il eût été plus facile de parler de la littérature de cette région dont la vraie patrie était le serbo-croate, langue officielle de la Yougoslavie, creuset de plusieurs langues. L’exercice est plus délicat aujourd’hui quand la Serbie est l’un des six pays de cette aire géographique. Le cas le plus extraordinaire de ce « melting pot » yougoslave est sans doute l’un de ses plus grands écrivains, Ivo Andrić, prix Nobel de littérature en 1961. Ses romans Le Pont sur la Drina, La Chronique de Travnik ou ses nouvelles, dont L’éléphant du vizir, sont considérés comme des chefs-d’œuvre. À la manière d’un conteur oriental, Andrić scrute autant les profondeurs opaques de la Bosnie ottomane et autrichienne que les ruelles et les faubourgs de Belgrade, évoquant ainsi la prodigieuse diversité de cet endroit du monde. Aujourd’hui, on récompense le meilleur recueil de nouvelles écrites en serbe par un prix qui porte son nom. D'autres auteurs tout aussi fameux tels Miloš Crnjanski, Borislav Pekić et Danilo Kiš, ou bien Goran Petrović, Radoslav Petković, Vladislav Bajac, Mihajlo Pantić, et al., peuvent aujourd’hui être lus en français.

La forme courte, qui a son festival international Kikinda Short, est un genre très pratiqué et apprécié en Serbie. Ce « Miniatures Serbie » propose des textes de David Albahari, chef de file de toute une génération de la post-modernité; de Svetislav Basara, « un fou, un génie, un libertaire, un amuseur, un effronté, un sentimental » (Télérama; de Vladimir Pištalo, qui évoque les multiples déchirures de son pays ; de Ljubica Arsić, qui explore les recoins de l’âme chargés d’érotisme et de violence imprévisible ; de Jelena Lengold, chez qui l’écriture se fait intime ; et de Srdjan Tešin, fantaisiste, ludique et drolatique. Tous disent cette réalité, cette vitalité de la Serbie, qui a pu pâtir de l’effet des a priori réducteurs, que la littérature, fort heureusement, vient atténuer.

 

*Nouvelles publiées dans ce recueil : Srdjan Tešin, « Les touloumbas et la mort » ; David Albahari, « La femme de sa vie » ; Vladimir Pištalo, « Mostar » ; Ljubica Arsić, « Le bout du monde » ; Svetislav Basara, « Les aventures d’Omar Khayyame » ; Jelena Lengold, « Vagabondages ».

Toutes les nouvelles incluses dans ce volume sont traduites du serbe par Gojko Lukić sauf « Vagabondages » traduite par Jacqueline Busseron.

 

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