Milivoj Srebro
Université Bordeaux Montaigne

 

Une lecture sous la loupe de la guerre

Réception de la littérature serbe en France durant la guerre civile yougoslave :  les cas de Mirko Kovač et Vidosav Stevanović

 

Kovac portrait Stevanovic Vidosav
Mirko Kovač
(1938-2013)
Vidosav Stevanović
(1942)

Résumé : L’important écho médiatique en France de la guerre civile en ex-Yougoslavie a non seulement créé un nouvel « horizon d’attente » auprès du public mais aussi imposé un nouveau prisme de lecture des écrivains serbes et yougoslaves. Quittant le domaine strictement littéraire, la critique française a le plus souvent basé son interprétation sur des critères relevant davantage de la politique au jour le jour que de l’esthétique tout en s’efforçant de chercher les analogies entre fiction et réalité, démarche qui ne pouvait que mener à des impasses.

Partant de ce constat, la présente étude se propose d’examiner à la loupe l’accueil réservé en France à Mirko Kovač et Vidosav Stevanović, écrivains qui – contrairement à leur confrères Milorad Pavić et Dobrica Ćosić, par exemple – furent reçus avec sympathie, voire enthousiasme. L’objectif visé consiste en premier lieu à trouver une réponse argumentée à la question suivante : comment et pourquoi la majorité des critiques ont lu les livres de ces auteurs moins comme des textes littéraires et d’avantage comme des prétextes – comme une occasion offerte pour exprimer à la fois leur solidarité avec les écrivains perçus comme « dissidents » et leur désarroi, voire leur protestation devant une guerre « insensée », « incompréhensible », et perçue souvent d’une manière manichéenne ?

Mots-clé: guerre civile en ex-Yougoslavie, réception de la littérature serbe, critique française, politique et esthétique, Mirko Kovač, Vidosav Stevanović.


1. Un nouveau prisme de lecture

S’il est évident que l’écho médiatique de la guerre civile dans les Balkans a augmenté l’intérêt en France pour les écrivains serbes et yougoslaves tout en créant un nouvel « horizon d’attente » auprès du public, il est tout aussi vrai qu’il a en même temps imposé un nouveau prisme de lecture qui ne reposait plus seulement, le plus souvent, sur des critères d'ordre esthétique. En effet, soucieuse de répondre à cette nouvelle attente du lectorat, contrainte de rester à l’écoute de l’évolution dramatique de l’actualité yougoslave et d’agir parfois en urgence, forcée enfin de faire face à la pression permanente des médias, la critique se vit obligée d’adapter sa lecture des livres traduits du serbe aux nouvelles circonstances. Et même si certains chroniqueurs tentèrent toujours de « s’accrocher » aux qualités esthétiques de l’œuvre, la majorité d’entre eux prêta plus volontiers l’attention au contexte extralittéraire, à tout ce qui pouvait aider, de leur point de vue, à comprendre « l’incompréhensible » : une guerre « au cœur de l’Europe » aux aspects irrationnels, insaisissables. Quittant le domaine strictement littéraire et pratiquant une critique engagée, ces derniers appuyèrent toujours plus leur lecture sur des critères relevant davantage de la politique au jour le jour que de l’esthétique. Faut-il préciser qu’une telle lecture ne pouvait être l’exemple d’un raisonnement argumenté, impartial, et qu’elle risquait de pousser ceux qui la pratiquaient à la dérive ?

À travers ce nouveau prisme furent ainsi lus quasiment tous les écrivains serbes, y compris naturellement ceux qui attirèrent une attention toute particulière de la critique française durant les dramatiques années 1990 : Ivo Andrić, Dobrica Ćosić, Milorad Pavić, Mirko Kovač et Vidosav Stevanović. Nous avons déjà analysé ailleurs l’acueil des trois premiers[1] tout en essayant de démontrer, entre autres, comment ce nouveau prisme de lecture a conduit certains critiques à la dérive. Dans cette étude nous allons tenter de compléter notre réflexion en mettant sous la loupe l’accueil qui fut réservé en France à deux autres écrivains – Mirko Kovač et Vidosav Stevanović – dont les cas se ressemblent sur bien des points. Avec quelques autres prosateurs et poètes, ces deux nouvellistes et romanciers furent en effet les principaux promoteurs de nouvelles tendances dans la littérature serbe contemporaine. Tous deux s’étaient également déclarés, dès le début de la guerre, de farouches opposants au régime serbe, quittant leur pays en guise de protestation, Kovač pour la Croatie et Stevanović dans un premier temps pour la Grèce puis pour la France. Enfin, l’un et l’autre furent accueillis en France dans des conditions quasi semblables et bénéficièrent d’une attitude favorable de la part des éditeurs et des médias.

2. Plaidoyers pour un écrivain « pacifiste » : 
Mirko Kovač


Malgré ses qualités littéraires indiscutables[2], Mirko Kovač est resté longtemps inconnu en France. Et l’on peut supposer à bon droit qu’il serait ignoré aujourd’hui encore dans l’Hexagone, comme d’ailleurs le sont quelques autres écrivains de qualité, si son engagement politique et la guerre civile yougoslave n’avaient pas sorti de l’ombre ses livres, devenus soudainement, aux yeux de la critique, actuels et même « prophétiques ». À l’arrivée de la guerre, qui a bouleversé le milieu intellectuel serbe en provoquant une véritable fracture entre les écrivains, Mirko Kovač a clairement choisi son camp : en se déclarant pacifiste et opposant farouche au régime serbe, il a décidé, à la fin de l’année 1991, de quitter Belgrade pour s’installer en Croatie, à Rovinj, une petite ville touristique sur la côte de la Mer adriatique. Ce choix radical a suscité, au-delà d’un simple étonnement, une vive réaction dans le milieu des écrivains belgradois. Pour certains d’entre eux,
par ce départ en Croatie, Mirko Kovač a perdu la crédibilité de l’intellectuel et du pacifiste, car tout en fustigeant un régime autocratique, celui de Slobodan Milošević, il a cautionné un autre régime non moins autoritaire, celui du président croate Franjo Tudjman.[3] Quoi qu’il en soit, il est clair que son choix politique, qui a trouvé un large écho dans la presse française, a profondément marqué l’accueil de ses œuvres, en particulier celui réservé à son roman La vie de Malvina Trifkovic[4], dont « l’ardente réussite littéraire », comme le constate La NRF[5], a couru le risque d’être complètement escamotée par une interprétation trop politisée.

Nous sommes au début de l’année 1992, en pleine guerre croato-serbe. C’est précisément à ce moment-là qu’une « petite bombe d’horreur froide (éclate) en librairie »[6]; une « bombe » en forme de roman court mais « bien vénéneux, bien terrible dont la centaine de pages recèle davantage de sucs redoutables qu’une pharmacopée infernale ou qu’un précis de toxicologie » [7]. D’où vient donc la particularité de ce roman, intitulé La vie de Malvina Trifkovic ? Elle réside dans sa forme insolite et, surtout, dans son thème principal qui l’a rendu si actuel et si attrayant. En bref, c’est un livre qui – à travers la vie d’une jeune femme serbe mariée à un Croate, vie tumultueuse confrontée sans cesse à l’interdit et conditionnée par les rapports souvent pervers entretenus par les deux communautés ethniques et religieuses – met en lumière le phénomène de la haine. Ce phénomène destructeur est traité ici sous tous ses aspects, mais c’est bien sûr la haine ethnique, mystérieuse, quasi incompréhensible, cause majeure de la tragédie serbo-croate, qui a, en l’occurrence, suscité le plus d’intérêt.

En même temps, sollicité par la presse, Mirko Kovač s’explique avec fougue et conviction.[8] Mais au lieu d’évoquer davantage Malvina pour faciliter la compréhension de sa structure complexe, il s’exprime exclusivement sur la guerre et sur la politique. Il se présente comme un pacifiste convaincu et, en tant que tel, victime des nationalistes. « Sur la scène politique serbe, tout le monde est extrémiste », martèle Kovač renvoyant dos à dos le régime en Serbie et les opposants à ce régime. Les cibles de ses attaques sont également l’Église orthodoxe, l’Union des écrivains et surtout, le romancier Dobrica Ćosić. Les interventions de Kovač dans la presse française – parfois touchantes, parfois exaltées et mordantes – révèlent bien un homme blessé qui supporte mal la destruction de son pays et le réveil national des intellectuels serbes. Surprenante, cependant, est la virulence avec laquelle il s’acharne contre ses confrères d’hier devenus, avec l’arrivée de la guerre, ses adversaires. Sa rage d’opposant et son discours exprimé sans trop de nuances, ressemblent à ceux d’un militant qui, tout en défendant la « juste cause », règle ses comptes avec tout le monde.

Attentifs aux paroles de l’écrivain entré en rébellion ouverte contre un régime considéré par tous comme dictatorial, et touchés par la force intérieure de son roman, la plupart des critiques ont repris, dans leurs articles, le ton et le point de vue de Kovač, sans y mettre aucune réserve, sans cacher non plus leurs sympathies pour son courage d’opposant. À titre d’exemple, citons André Clavel qui le présente comme une victime du fanatisme nationaliste serbe, comme un juste persécuté et contraint, à cause de « ses positions pacifistes et antinationalistes », « à s’exiler [...], afin de fuir les fanatiques ».[9] Nicole Zand va plus loin encore : elle affirme, sur un ton qui frôle le sensationnalisme, que cet « opposant, dissident, ennemi de tout nationalisme comme de toute idéologie », a dû prendre la route de l’exil « pour ne pas être assassiné comme traître à sa tribu serbe » (!)[10].

L’intérêt accru pour la personnalité et les positions politiques de Mirko Kovač, les prises de position des critiques en sa faveur, ne sont – du fait du contexte créé par le débat autour de la guerre civile yougoslave – nullement surprenants. On pourrait, en revanche, et dans un tout autre registre, reprocher aux mêmes l’absence de raisonnement plus mesuré, plus nuancé ou, encore, un certain manichéisme dans leur perception des rapports entre les différents protagonistes de la vie intellectuelle et politique serbe, manichéisme qui les a poussés, par exemple, à se faire les avocats du « pacifiste Kovac » et, simultanément, à fustiger sans aucun respect ni arguments son « adversaire » Dobrica Ćosić devenu, à leurs yeux, l’incarnation de l’écrivain politiquement compromis et moralement discrédité.[11] D’autre part, il est évident qu’une telle attitude de la critique aura conditionné, d’une manière ou d’une autre, l’interprétation des livres et des idées de Kovač écrivain. Plus précisément, cet intérêt porté à son engagement politique a inspiré aux critiques quelques réflexions lucides mais leur a fait parfois tirer des conclusions rapides et réductrices. En partant de ses positions politiques ou, plutôt, de ses déclarations sur la guerre civile yougoslave, certains sont allés chercher une  résonance directe dans La vie de Malvina Trifkovic, roman écrit vingt ans auparavant. C’est le cas, par exemple, de Philippe Petit, d’après qui ce livre « n’avait d’autre ambition que de vouloir aider les lecteurs à se ‘libérer de leur propres passions nationales’ »[12]. C’est aussi le cas du chroniqueur de LExpress qui considère ce roman « fiévreux » comme le cri de protestation d’un pacifiste, « un cri de révolte contre la perversion des esprits » qui rendait inévitable le conflit yougoslave.[13]

Le nouveau prisme de lecture conditionné par la guerre dans les Balkans a également incité certains à chercher dans La vie de Malvina Trifkovic, une fiction littéraire, les explications d’une réalité qui leur échappait. En ce sens les propos d’André Clavel sont très significatifs : « Il faut lire [ce] roman pour mesurer l’ampleur de la tragédie yougoslave : on la dirait inscrite dans le sang, dans les gènes de peuples devenus fous, de peuples que quelques régiments de Casques bleus ne parviendront certainement pas à réconcilier »[14]. Cette tendance qui consiste à chercher à tout prix des analogies entre fiction et réalité a souvent mené à des impasses. Elle a semé une confusion et poussé certains critiques imprudents à des commentaires erronés voire illogiques. Citons ainsi la démarche du chroniqueur de Télérama qui, tout en oubliant que ce livre a été écrit bien avant la décomposition de la Yougoslavie, établit la comparaison entre le « pays déchiré » et la structure « écartelée » du roman de Kovač[15]. Cette erreur, qui peut être la conséquence d’un simple manque de vigilance, montre surtout à quel point la lourde présence de la guerre dans la conscience des critiques a pu peser sur la lecture de La vie de Malvina Trifkovic.

Moins enclins à une lecture engagée et circonstancielle, et plus fidèles au texte et à ses significations romanesques, un certain nombre de critiques est pourtant parvenu à éviter les pièges tendus par ce contexte trop politisé. Sans négliger l’importance du sujet de Malvina, sans nier qu’il trouve un écho particulier dans des événements de l’actualité, ces chroniqueurs ont favorisé les critères esthétiques dans leurs interprétations. Ce faisant, ils ont montré que cette œuvre, malgré ses apparences, ne doit pas être lue comme une simple allégorie, et qu’elle possède un riche champ sémantique qui ne peut en aucun cas être réduit à une quelconque dimension politique. Et même s’ils reconnaissent que la particularité de La vie de Malvina Trifkovic provient aussi de son sujet et de la vision de l’homme porteur et victime à la fois des forces maléfiques de la haine, ces critiques s’attachent surtout à prouver que son originalité et ses qualités littéraires résident surtout dans la mise en forme de ce sujet et de cette vision.

Selon Laurand Kovacs, La vie de Malvina Trifkovic rappelle, d’une certaine manière, La Demoiselle d’Ivo Andrić : « Dans les deux cas un drame inexpliqué provoque l’interrogation fertile d’un narrateur… Chez Ivo Andric, il impose un récit ; chez Mirko Kovac, il le propose avec toutes les précautions d’un enquêteur – policier ou romancier. »[16] Composé de quinze manuscrits, numérotés de A à O, ce roman ressemble effectivement à un dossier de police ou à un puzzle, dont chaque pièce apporte sa touche au portrait de Malvina, au mystère de sa tragique existence. Ainsi, comme le montre Anne Pourrillou-Journiac[17], ce personnage complexe, « cette caricature vaillante surgit peu à peu du néant, dans une gloire de malédiction, comme une image pieuse vouée à la déesse de la férocité ». Précisons ici, cependant, que cette longue émergence de la figure du personnage principal qui se construit à travers une véritable mosaïque narrative, entretient quelques doutes chez le lecteur et, à la fin du roman, lui laisse même l’impression que le portrait de Malvina demeure incomplet, voire inachevé. Pourquoi ?

Il ne s’agit pas ici d’un quelconque défaut du roman, bien au contraire, nous rassurent les critiques. Si Kovač laisse « inachevé » le portrait de son héroïne, s’il laisse vacants des pans entiers de son histoire, c’est pour inciter le lecteur à entreprendre une recherche personnelle et le faire participer activement à la création littéraire. En d’autres termes, La vie de Malvina Trifkovic est conçue comme une œuvre ouverte, pour reprendre le terme d’Umberto Eco, qui fait appel au lecteur en le contraignant, selon l’expression de J.-B. Harang, « comme en cour d’assises, à se construire une intime conviction qui remplit les blancs du puzzle ». D’ailleurs, conclut-il, « ce sont les pages manquantes, claires, celles qu’on imagine, qui donnent leur beauté aux cent pages noires arrivées jusqu’à nous »[18].

En choisissant de présenter l’histoire de Malvina sous forme de puzzle « dont il n’aurait gardé que les pièces essentielles »[19], et en léguant ses attributs d’auteur aux différents narrateurs qui se complètent pour créer une sorte d’hypothétique narrateur omniscient, les critiques constatent que Kovač a réussi à mettre en œuvre son « art d’aller à l’essentiel »[20], un art qui consiste à ne pas en dire trop et, surtout, à se garder de prendre parti dans une histoire qui se veut « objective ». D’autre part, en traitant le destin de son héroïne à travers les regards extérieurs, froids et « objectifs » – comme si devant l’avalanche de la haine, « devant ce maelström qu’engendre l’animosité, il était nécessaire de s’éloigner quasiment jusqu’à perdre de vue le visage à scruter »[21] – l’écrivain a fait d’une pierre deux coups. Primo, par cette forme mosaïque, il évite « le piège de l’horreur cumulative »[22], car « le poison qui nourrit et consolide la haine est disséqué sous divers éclairages »[23]. Et secundo, à travers cette multitude de points de vue, son récit se dépersonnalise et, « par sa froide objectivation, rend palpable la mécanique du destin »[24] du personnage principal.

Citons pour terminer deux observations qui mettent en lumière les réactions potentielles du lecteur de ce roman. Choqué par « la violence passionnelle » des héros de Kovač, Antoine Spire constate qu’un « terrible désespoir » doit pénétrer « la tête du lecteur de ce livre »[25] alors qu’Anne Pourrillou-Journiac conclut : « Percutant et nerveux, ce roman fouette le cœur et s’impose avec la force et l’évidence d’un ex-voto déposé au pied de l’autel du fanatisme qui est une facette de la détestation de soi. »[26] Ces deux jugements qui témoignent de la puissance exemplaire de ce roman « extrêmement violent et exaltant »[27] peuvent sans doute expliquer en partie les réactions très émotives de certains mais elles ne peuvent nullement justifier les simplifications auxquelles se sont livrés d’autres, en particulier ceux qui, en négligeant la dimension esthétique de La vie de Malvina Trifkovic, ont privilégié une interprétation au premier degré.

L’approche superficielle, simplificatrice, souvent présente dans l’interprétation du roman de Kovač, fut parfois pratiquée également dans la lecture de son second ouvrage publié en France, un recueil de nouvelles présenté sous le titre Le Corps transparent[28]. C’est d’autant plus surprenant quand on sait qu’il s’agit d’un livre aux « antipodes » de la forme provocatrice et du sujet brûlant de Malvina, comme le souligne Norbert Czarny[29], d’un livre qui, ayant pour toile de fond la rupture entre Tito et Staline en 1948, précise de son côté J.-B. Harang, « [ne cherche] pas explicitement d’écho dans les guerres d’aujourd’hui »[30]. D’ailleurs, le seul récit qui aurait pu, de la même manière que Malvina, inciter à une interprétation circonstancielle et politisée de cet ouvrage ne fut pas inclus dans sa version française : il s’agit d’une des meilleures nouvelles de ce recueil, l’un des plus percutants récits de Kovač en général, « Dan i noć » [Jour et nuit]. En effet, à l’instar de Malvina, ce récit jette, d’une façon rétroactive, une lumière toute particulière sur la récente guerre croato-serbe en mettant l’accent sur un événement historique qui marquera pour toujours les rapports entre les deux peuples : la nouvelle évoque le génocide des Serbes par l’État indépendant de Croatie durant la Seconde Guerre mondiale à travers l’histoire obscure d’un prêtre croate, d’un Satan à visage d’ange qui incarne un mal atavique, démoniaque[31].

Malgré les « ajustements » et les « améliorations » que comporte la version française de ce recueil de nouvelles de Kovač, et bien que ce livre ne cherche pas « d’écho » dans la guerre civile yougoslave, Le Corps transparent n’aura pas non plus échappé aux commentaires circonstanciels. En profitant de la sortie de ce recueil de nouvelles, certains chroniqueurs ont voulu rafraîchir la mémoire des lecteurs, et relancer le débat suscité par le premier livre de Kovač. C’est sans doute le cas de deux journalistes qui ont rendu visite à l’écrivain, à son domicile de Rovinj, avant de publier leurs reportages ou interviews où il est plutôt question de politique que de littérature[32]. Leur démarche n’a bien entendu rien de mauvais en soi mais force est de constater que leurs articles, en se voulant d’actualité, ont négligé l’œuvre littéraire de Kovač au profit de son engagement politique. L’écrivain est ainsi de nouveau présenté d’une façon quelque peu manichéenne : comme un « chevalier-prophète du malheur nationaliste qu’il combat »[33], comme un innocent contraint à l’exil par le verdict de Dobrica Ćosić contre lequel Kovač lui-même n’a pas de mots assez virulents. L’article de Philippe Petit est écrit dans le même esprit. Après quelques réflexions aiguës sur Le Corps transparent, il tire une conclusion qui rappelle l’esprit et le vocabulaire de la critique dogmatique du « réalisme socialiste ». Selon lui, Mirko Kovač est un écrivain essentiellement pacifiste qui « célèbre l’amitié entre les peuples de l’ancienne fédération yougoslave »[34].

Précisons cependant que Le Corps transparent n’a pas été exclusivement lu, comme d’ailleurs Malvina, dans une optique politique. Conscient que les nouvelles de Kovač sont beaucoup plus que le simple témoignage d’une époque et qu’elles tentent de saisir l’essence d’une expérience particulière, celle des hommes mis au supplice par les aléas de l’Histoire, un certain nombre de critiques a choisi une autre approche, plus appropriée aux livres de fiction.[35] Leurs réflexions aussi bien que celles qui mettent en évidence les valeurs littéraires de La vie de Malvina Trifkovic montrent implicitement que les livres de Mirko Kovač expriment une vision complexe de l’homme, du monde et de l’Histoire des Balkans, tout en permettant, au-delà de l’engagement politique de leur auteur et de l’intérêt suscité par l’actualité, un large champ d’exploration proprement littéraire et esthétique. Malgré le succès de ces livres auprès de la critique française, ce champ d’exploration est, malheureusement, resté négligé. En particulier par ceux qui, trop préoccupés par l’urgence de la situation en ex-Yougoslavie, ont traité les aspects esthétiques de l’œuvre d’une façon superficielle : comme les simples reflets d’une réalité historique permettant de mieux comprendre la guerre civile yougoslave ou, encore, comme l’illustration de l’engagement pacifiste de l’auteur.

3. Une image stéréotypée de l’écrivain « dissident » :
Vidosav Stevanović

À l’instar de Mirko Kovač, Vidosav Stevanović dut lui aussi attendre longtemps avant de capter l’attention de la critique française. Certes, déjà au début des années 1980, il avait publié un recueil de nouvelles intitulé Les Loulous de banlieue[36], mais ce livre, très apprécié par la critique yougoslave de l’époque, avait laissé la critique française complètement indifférente. On pourrait donc considérer à bon droit que la véritable entrée de Stevanović sur la scène littéraire française eut lieu en 1993, avec la publication de sa trilogie romanesque, une œuvre fortement inspirée par la guerre civile en Bosnie.

Comme pour La vie de Malvina Trifkovic, toutes les conditions, hélas peu littéraires, furent réunies pour que ce triptyque romanesque, composé de Neige à Athènes, L’Île des Balkans et Christos et les chiens[37], fût observé attentivement[38]. Publiée au moment où les images choquantes de la guerre civile yougoslave horrifiaient les téléspectateurs français, et annoncée par l’éditeur comme « la première œuvre littéraire suscitée par l’actuel conflit yougoslave » écrite par « un adversaire déclaré » du « régime serbe actuel »[39], cette trilogie fut, dès le début, placée dans un contexte extralittéraire très politisé. Exaspérés par les horreurs de la guerre, saisis par les images fortes et « l’écriture déchiquetée, bombardée »[40] du roman de Stevanović, les critiques se trouvèrent eux aussi dans une situation peu confortable. Sans pouvoir prendre de recul ni disposer de suffisamment de temps et de sérénité pour entrer dans une analyse approfondie de l’œuvre, ils furent contraints de réagir « à chaud ». Ce qui explique, du moins en partie, leurs vives émotions et leurs discours parfois trop exaltés.  

Citons à titre d’exemple quelques commentaires qui illustrent dans quel état d’esprit ils ont lu la trilogie de Stevanović. « Enfin le livre que nous attendions ! » ; un livre « écrit sous le coup de la colère » et qui représente « un cri de rage impuissante contre la ‘puanteur de la haine’ », s’exclame Daniel Walther[41]. Les mêmes sentiments, dominés par l’indignation devant la cruauté insensée des hommes que la guerre a rendus fous, sont partagés par certains autres. Ainsi, profondément bouleversée par la lecture de La neige et les chiens, « rattrapé[e] et fauché[e] par l’enfer, dès le premier chapitre », la chroniqueuse de l’Esprit donne libre cours à ses émotions en s’adressant directement aux lecteurs : « Vous serez contraints de lire son livre, ce chef-d’œuvre insupportable, comme vous avez été contraints de regarder Guernica, ou les tableaux de Goya, de lire le journal d’Anne Frank, ou les récits de Kolyma ! »[42] Quant à Nicole Zand, elle reconnaît volontiers que la structure complexe du roman lui échappe parfois et qu’« on ne comprend pas toujours » ses significations. Mais, ajoute-t-elle aussitôt, sans cacher son émotion : « On ne peut rester insensible à cette éructation délirante qui, si elle est loin d’être limpide, traduit, par l’humour noir et la force poétique du mot, avec des éclats d’une grande beauté, le fond du désespoir ».[43]

Ce qui unit ainsi tous les critiques cités, c’est avant tout le ton particulier de leurs réactions, émouvant et même parfois pathétique, qui fait ressortir leur désarroi devant une guerre incompréhensible, ignoble, insensée. Mais ce n’est pas leur seul point commun. Influencés par les médias, par une approche sensationnaliste du conflit dans les Balkans, poussés à une lecture passionnelle du livre de Stevanović, au lieu de procéder à une analyse argumentée, ils mettent plutôt l’accent sur les aspects qui reflètent l’actualité politique du drame yougoslave. Ce faisant, ils n’hésitent pas non plus à recourir à une sorte de jeu avec les personnages de Stevanović, convaincus que l’écrivain a caché des personnes réelles derrière les noms littéraires, en effet souvent symboliques. A ce propos citons seulement le chroniqueur de 24 heures : bien que la trilogie tienne « à la fois du cauchemar éveillé et du reportage fantastique », souligne-t-il, ses personnages sont « souvent identifiables, tels le sinistre Capitaine (Arkan) et sa bande de tueurs, le Président au double langage (Milosevic), le Maître mystico-guerrier (Izetbegovic), le leader fascisant Vuk (Vojislav Seselj), l’Écrivain (Dobrica Cosic) ou encore un certain Broz (Tito) qui nous parle du royaume des morts ».[44]

Une chose a encore suscité l’intérêt de la critique – la personnalité de l’écrivain et ses idées politiques –, intérêt provoqué, en partie, par l’écrivain lui-même. Déjà annoncé par son éditeur comme « adversaire déclaré » du régime serbe, Stevanović n’a pas hésité, dès son arrivée en France, à focaliser l’intérêt des journalistes sur son cas personnel. Dans plusieurs interviews accordées à la presse, il a ainsi laissé entendre que ses idées pacifistes étaient très mal vues en Serbie, et que c’était la raison pour laquelle ses livres et lui-même étaient souvent l’objet d’attaques infondées.[45] Très sensibles à chaque menace en provenance du régime à l’encontre d’une personnalité publique ou de la liberté d’expression, les critiques se sont tout de suite emparés de ce sujet. Tout en exprimant à la fois leurs protestations contre le régime serbe et leurs sympathies sans réserve pour la rébellion et le courage de Stevanović, ils ont procédé comme pour Mirko Kovač. Ils se sont faits défenseurs d’une « cause juste » et les avocats d’un écrivain proscrit et privé du droit à la liberté d’expression.

Sans vouloir mettre en question leurs bonnes intentions, leur sensibilité et leur esprit démocratique, nous sommes obligés de procéder ici à une mise au point. Bien qu’ils aient raison d’attirer l’attention sur la précarité de la position d’un écrivain dont le pays est en guerre, ces critiques ne trouvent pas toujours, nous semble-t-il, les mots justes pour définir le cas particulier de Stevanović. À partir de ses déclarations parfois très chargées en émotion et de la thèse d’après laquelle son travail « a tout pour déplaire à tout pouvoir »[46], ils ont souvent recours au stéréotype de l’écrivain dissident de l’Europe de l’Est, forgé dans les années de la guerre froide. Ainsi, on peut lire que Stevanović a dû « s’exiler en Grèce, pour conserver la liberté d’écrire »[47]; qu’après être « rentré en Serbie, mais se sentant menacé à Belgrade, il a trouvé refuge dans son village natal »[48] où il vivait « isolé, surveillé »[49] ; que son esprit rebelle « lui vaut d’être interdit de publication »[50] et que, pour cela, son « triptyque n’a pas trouvé d’éditeur à Belgrade »[51].

Cette image stéréotypée de l’écrivain censuré et persécuté, contraint à demander l’asile politique en Occident, ne correspondait complètement ni au cas de Stevanović ni à la situation en Serbie. Primo : s’il est vrai que Stevanović fut l’objet de critiques, parfois très virulentes, à cause de ses idées politiques, il est vrai aussi qu’il aurait pu s’exprimer librement, et donc répliquer aux attaques de ses adversaires, dans les médias d’opposition qui, malgré les pressions que le régime exerçait sur eux, existaient en Serbie. Secundo : son « exil » en Grèce a été « volontaire » et le résultat d’un choix personnel, ce qu’il a d’ailleurs confirmé lui-même[52]. Tertio : aussi extraordinaire que cela puisse paraître, sa trilogie est publiée en Serbie[53] et vendue, donc, sans interdiction[54]. Les raisons pour lesquelles les maisons d’édition sous contrôle de l’État s’en sont désintéressées peuvent effectivement susciter des doutes : elles sont certainement liées à l’hostilité ouvertement affichée du régime vis-à-vis de Stevanović et, par voie de conséquence, à un passage sous silence total pratiqué par certains rédacteurs qui favorisaient la publication des auteurs et des livres favorables au pouvoir. 

Mais si on peut reprocher à ce groupe de critiques d’être plutôt attirés par les aspects politiques que par les aspects littéraires de la trilogie de Stevanović, si on peut observer que leurs interprétations subjectives, voire partiales passent souvent à côté des valeurs esthétiques du roman, si on peut, enfin, les critiquer d’avoir recours aux stéréotypes sur la guerre civile yougoslave et la « dissidence » d’un « écrivain persécuté », on ne peut en revanche douter de leur bonne foi ni de leur volonté de présenter au public un « beau livre » qu’il faut lire « pour comprendre l’inexplicable »[55]. Cette bonne foi est plus douteuse chez certains de leurs confrères qui se sont servis de la trilogie de Stevanović pour illustrer des théories fort critiquables. Parmi ces derniers, citons Paul-Jean Franceschini, à l’époque responsable de la rubrique littéraire de LExpress,[56] et Joseph Limagne qui fut, à la même époque, éditorialiste à Ouest-France[57]. En partant d’une thèse manichéenne, répandue dans les médias et fondée sur « l’opprobre visant ‘les Serbes’, assimilés en bloc au seul méchant de la tragédie yougoslave, voire diabolisés »[58], ces chroniqueurs finissent par dresser un véritable réquisitoire contre un peuple entier !

Afin d’argumenter ses idées et, en particulier, la stratégie de « purification ethnique » pratiquée en Bosnie, Franceschini recourt à plusieurs ouvrages. C’est une démarche légitime qui pourrait assurer à l’auteur une certaine impartialité, pourrait-on dire. En principe, certes, mais tel n’est pas le cas. En effet, les trois livres que Franceschini a choisi de traiter en parallèle avec La neige et les chiens appartiennent au genre du pamphlet politique, et ce qui les rapproche est avant tout un très fort sentiment antiserbe.[59] Ces livres, et surtout Le Nettoyage ethnique[60] que Franceschini qualifie de « Mein Kampf multiséculaire », lui ont fait découvrir, selon ses propres dires, « la vraie identité » des Serbes. Voici d’ailleurs comment il décrit cette « identité » en s’appuyant précisément sur les thèses saugrenues des auteurs du Nettoyage ethnique. Il s’agirait, d’après lui, d’un « peuple frustré », atteint d’une « paranoïa, servie par la passion du terrorisme », d’un peuple obsédé par le sentiment « d’être persécuté, ignoré, méprisé, infiltré de traîtres et d’ennemis, cerné par un monde hostile » bref d’un peuple pour qui, dans son obsession maladive, « la violence devient valeur suprême »… Ce sont donc ces « révélations » mettant à nu la prétendue obscure nature des Serbes qui ont ouvert les yeux de ce chroniqueur lui permettant de voir, dans la trilogie de Stevanović, l’illustration du fonctionnement de la « purification ethnique », le but de « l’agression serbe contre la Bosnie ». C’est une conclusion peu cohérente, puisque c’est Franceschini lui-même qui fait observer, à juste raison d’ailleurs, que ce « beau texte éclaté et déroutant » relève du « réalisme fantastique ».

L’intention et la démarche de Joseph Limagne sont nourries par les mêmes motifs : démasquer la vraie « idée nationale » des Serbes à travers « leur mentalité, leur histoire et leurs fantasmes », et la révéler au public français – tout cela dans un court article de presse. Afin de rendre ses idées convaincantes, l’éditorialiste de Ouest-France s’appuie, entre autres, sur La neige et les chiens, le roman lui servant uniquement à soutenir sa thèse principale annoncée dès le titre : « Les Serbes : une âme d’assiégés » ! Le stratagème de Limagne est simple ou, plus exactement, simpliste : il extrait des citations du roman et, sans faire mention de leur contexte, les fait passer pour des arguments historiques bien qu’elles expriment uniquement les points de vue de personnages fictifs évoluant donc dans le cadre d’une fiction littéraire. Le fait que Stevanović ne précise jamais l’appartenance ethnique de ses héros-narrateurs – démarche par laquelle il évite justement le risque de simplification tout en donnant à ses personnages le caractère de types universels – n’a guère plus d’importance à ses yeux. Par exemple, le discours allumé prononcé par un nationaliste dans le roman exprime bel et bien, selon lui, la vox populi serbe, même si on n’en trouve aucune mention nulle part : « Notre peuple a tout ce que les autres n’ont pas. C’est pour ça qu’ils nous haïssent. Tout autour de nous, il y a des traîtres. » Ce court extrait et quelques autres du même genre, sont donc, pour Joseph Limagne, des preuves crédibles, des arguments auxquels se réfère son réquisitoire contre tout un peuple : à savoir que les Serbes, « peuple malade de son passé », cultivent « depuis des siècles » une « mentalité d’assiégés » et « la paranoïa collective » qu’un Slobodan Milošević « a su porter à son paroxysme ».[61]

Ces interprétations erronées et même malveillantes, qui risquaient d’obstruer la compréhension de son livre, ne pouvaient pas, naturellement, convenir à Stevanović. Certes, les divers procédés littéraires choisis par l’écrivain – une succession de monologues qui ont l’allure et la force de témoignages authentiques ainsi qu’un jeu permanent d’allusions et l’utilisation d’allégories et de symboles dans la présentation des événements réels et identifiables – auront pu « piéger » certains critiques ou les inciter à une lecture réductrice. Cela étant dit, force est de remarquer que l’écrivain ne peut en aucun cas en être tenu pour responsable. En s’apercevant que le climat politique enflammé, suscité en France par la guerre en Bosnie, pourrait favoriser une approche critique manichéenne, Stevanović a lui-même tenté de la contrecarrer dans ses interventions publiques et interviews, expliquant sa vision de la littérature et son point de vue d’opposant. Et s’il est vrai que, dans les médias français, il a entretenu et soigné son image de « dissident », voire de victime d’un régime totalitaire, on ne saurait en revanche lui reprocher de n’avoir pas réagi pour prévenir les malentendus et les erreurs d’interprétations de son roman. Ainsi, il a clairement fait savoir qu’il n’est pas un écrivain engagé, qu’il tient, avant tout, « à défendre l’idée de l’indépendance de la littérature » et que, par conséquent, il emploie son savoir-faire, non pour « transmettre un message » mais « à des fins esthétiques »[62]. De ce fait, sa trilogie ne peut, en aucun cas, être considérée comme une preuve quelconque d’une culpabilité collective des Serbes.[63] D’ailleurs, a-t-il souligné sans ambiguïté, dans la tragédie yougoslave « toutes les parties sont coupables », d’où son refus de nommer dans le roman les camps ou les lieux où se déroule l’action. « Le mal arrive partout, dans les trois parties, toutes les victimes sont dans les peuples, dans tous les peuples », a-t-il conclu après avoir clairement désigné les vrais fauteurs de la guerre : « les élites ».[64]

Les explications de Stevanović, trop nuancées pour satisfaire les esprits manichéens, ne furent pas toujours bien comprises. La preuve en est surtout la démarche simpliste utilisée par Franceschini et Limagne. Mais, au final, ne faut-il pas voir dans la démarche de ces deux chroniqueurs une part de responsabilité des médias dont ils sont à la fois les produits et les victimes, et dont le manichéisme aura poussé Stevanović à dresser ce constat amer : « Les médias occidentaux ne sont pas plus brillants que ceux de mon pays. Là-bas, on falsifie les faits. Ici, les choses sont tantôt grossies à l’extrême et tantôt réduites à rien, ce qui aboutit au même résultat. »[65]

L’honneur de la critique, compromis surtout par les articles irresponsables de Franceschini et Limagne, a été, au moins en partie, sauvé par un autre groupe de chroniqueurs qui ont su résister, d’un côté, aux discours pathétiques et, de l’autre côté, aux exigences manichéennes des médias. Conscients des pièges qui se cachent dans une interprétation « rapide », fondée sur les critères politiques et idéologiques, ceux-ci se sont attachés à traiter la trilogie de Stevanović comme une œuvre d’art, sans pour autant oublier les rapports complexes qu’elle entretenait avec la tragique réalité yougoslave. Au contraire, ces rapports ont fait l’objet d’une réflexion critique comme, par exemple, dans l’article de Franjo Termačić[66]. En évoquant « sans complaisance » le fratricide yougoslave, note-t-il, Stevanović « n’y porte pas un jugement moral », encore moins un jugement politique. D’ailleurs, le mal dont il parle n’a pas de couleur locale : il atteint, à travers une symbolique complexe, une portée universelle. Autrement dit, conclut Termačić, « pour l’écrivain, la cruauté insensée n’est pas une exclusivité balkanique. [...] S’il parle des Balkans, c’est pour ne pas nommer la Yougoslavie, ou l’ex-Yougoslavie..., pour universaliser en régionalisant ce cortège des souffrances ».

Sur ce sujet, Michel Guilloux[67] est du même avis. Selon lui, Stevanović est effectivement parvenu, d’une manière habile et par le recours à des moyens littéraires, à éviter les embûches tendues par l’actualité politique. « On pouvait s’attendre à une chronique infernale » ou bien à « un pamphlet aux visées édifiantes », mais on ne trouve rien de cela. Le but principal de l’écrivain est, précise-t-il, d’ordre psychologique et esthétique. Il s’agit de montrer de l’intérieur « le fonctionnement mental des protagonistes emblématiques » du conflit yougoslave. Ce faisant, Stevanović s’impose « une discipline drastique », à l’instar d’un « médecin légiste » qui « s’attaque à un cadavre, dans une morgue, scalpel en main ». C’est pourquoi d’ailleurs son écriture « ne laisse place à aucune complaisance ». Dans un autre article[68], consacré à Christos et les chiens, en se référant aux indications de l’écrivain[69], ce même Michel Guilloux met également l’accent sur la dimension symbolique du roman et, en particulier, sur la métaphore du chien qui apparaît comme un leitmotiv tout au long de la trilogie. Cette métaphore, constate-t-il en faisant appel au père de la psychanalyse, « plonge aux tréfonds de l’imaginaire balkanique et rend compte du désir de mort à l’œuvre aussi dans ce conflit », ce qui est, d’après lui, une triste illustration de ce que Freud a écrit dans Malaise dans la civilisation.

Le chroniqueur de La Libre Belgique[70], quant à lui, s’attache à analyser le rapport entre deux réalités, fictive et objective, tout en essayant de cerner ses effets sur la structure narrative du roman. D’après lui, l’écrivain ne donne jamais « à voir une réalité brute », telle qu’elle existe réellement, « mais bien une réalité ‘éclatée’ », ce qui lui permet de montrer que « les choses vécues se décomposent comme la guerre décompose l’être ». La meilleure manière d’exprimer une telle réalité, poursuit-il, est une structure narrative éclatée elle aussi, et qui se présente comme une succession de « monologues cloisonnés », comme « une spirale de l’éclatement à l’image de la guerre elle-même et d’un pays déchiré ».

Enfin, il convient d’évoquer le point de vue d’Alain Bosquet, en particulier ses observations inspirées par la lecture de Christos et les chiens, « une œuvre à la fois douloureuse et inclassable » qui se présente, certes, comme « une poignante histoire », mais aussi, et peut-être davantage, comme « un livre de recherche »[71]. Car, souligne-t-il, dans ce roman fait d’une suite de monologues, la poétique romanesque classique est mise en cause : « la chronologie est réduite » et « l’objectivité n’existe pas, seule régnant une sorte de transe subjective », ce qui fait que le lecteur « doit avoir de l’ensemble du livre une vision simultanéiste ». Cela ne signifie pas pour autant que le lecteur risque de se perdre dans un chaos général. Non, « le chaos est dominé par une étrange musique : le livre est en même temps un requiem et une pavane, un chant funèbre et un poème sur la désintégration de l’âme humaine ». Dans un second article, où Bosquet explique son choix des « dix livres de la saison » parmi lesquels Christos et les chiens[72], ce livre est présenté comme un « roman initiatique, fait d’extase et de répulsion », et « comme le symbole et la synthèse des luttes fratricides en Yougoslavie » alors que Stevanović, quant à lui, est comparé à l’auteur du Voyage au bout de la nuit. « À côté de cet auteur hanté », conclut Bosquet d’une façon poignante, à travers une sorte d’hyperbole, « le roublard Louis-Ferdinand Céline n’est qu’un enfant de chœur » !

En partant du fait que ce livre est une fiction littéraire et non le compte rendu d’une quelconque réalité historique, ces critiques auront donc été plus attentifs aux aspects esthétiques de l’œuvre, essayant d’en montrer la dimension humaniste et la portée universelle. Cependant, sans l’intention de minimiser l’importance de leur contribution, il nous semble que leur effort n’a pas été suffisant pour que l’accueil réservé à la trilogie de Stevanović n’ait pas reposé sur un malentendu.[73]


4. Textes et prétextes


Comme le démontre notre analyse, il est indéniable que les livres traités ici – deux ouvrages de Mirko Kovač et la trilogie romanesque de Vidosav Stevanović – ont suscité plus d’émotions et de commentaires à l’égard de la tragédie yougoslave qu’un réel intérêt d’ordre esthétique habituellement réservé à une œuvre d’art. Contraints d’agir dans un climat surexcité et sous la pression de « notre mauvaise conscience à tous d’être impuissants devant l’apocalypse »[74], la majorité des critiques ont abordé ces livres moins comme des textes littéraires et d’avantage comme des prétextes : comme l’occasion pour eux d’exprimer leur solidarité ou leur désarroi devant une tragédie « au cœur de l’Europe », « à deux heures de vol seulement de Paris ».

Faut-il souligner que ce constat n’a pas pour fin de nier les bonnes intentions de la critique française, ou encore moins de mettre en doute la sincérité de son engagement humaniste ? Il s’agit simplement de faire observer que de telles intentions et un tel engagement ne sont pas toujours les meilleurs « guides » dans l’interprétation des œuvres littéraires. Voulant être du côté du bien et soutenir les écrivains « pacifistes » et « dissidents » dans leurs « justes » combats, les critiques ont ainsi recouru le plus souvent à une lecture circonstancielle, politiquement engagée, par conséquent peu immune à des idées préconçues. Cette attitude comportait évidement un fort risque de pousser à la dérive les plus engagés d’entre eux, certains, nous l’avons vu, allant même au-delà de l’admissible : sans tenir compte du fait que l’ouvrage qu’ils lisaient relevait du domaine de la fiction, ils sont allés chercher dans une œuvre littéraire des « informations », des arguments pour soutenir des théories des plus douteuses. Une telle démarche n’est pas seulement inappropriée mais aussi nuisible car elle entraîne le lecteur sur une fausse piste menant dans l’impasse : dans une lecture réductrice voire erronée.

Afin d’atténuer quelque peu l’impact de ce sombre constat, ajoutons pour conclure une note plus optimiste. Malgré les circonstances difficiles qu’ils devaient affronter, un certain nombre de critiques ne se sont cependant pas laissés piéger par le contexte extérieur tout en réussissant à résister aux pressions médiatiques. Sans céder aux facilités d’une lecture conjoncturelle, ils sont restés fidèles à une approche reposant sur les critères esthétiques : et même s’ils peuvent se compter sur les doigts de la main, ils constituent une preuve de plus qu’il est toujours possible de pratiquer une critique littéraire digne de ce nom en dépit de toutes les circonstances imposées.

Миливој Сребро

ЧИТАЊЕ ПОД ЛУПОМ РАТА

Рецепција српске књижевности у Француској у току југословенског грађанског рата : случај Мирка Ковача и Видосава Стевановића

Сажетак: Грађански рат у бившој Југославији и његов одјек у француским медијима нису створили само нови „хоризонт очекивања“ код читалачке публике него су наметнули и нову призму читања писаца из Србије и Југославије. Излазећи из оквира књижевности и критичког расуђивања заснованог на уметничким мерилима, француска критика је најчешће заснивала своју интерпретацију на критеријумима које је наметала дневна политика а не естетика, уз приметан напор да се успостави аналогија између литерарне фикције и стварности, што је често водило у интерпретативни ћорсокак.

Полазећи од наведеног увида, у овој студији се анализира критичка рецепција дела Мирка Ковача и Видосава Стевановића, писаца који су – за разлику од, на пример, Милорада Павића и Добрице Ћосића – били примљени са ентузијазмом и симпатијама. При томе се такође трага за аргументованим одговором на следеће питање : како су и због чега књиге ових аутора читане у Француској мање као књижевни текст (што оне уистину јесу), а више као претекст – као добра прилика да се изрази, с једне стране, солидарност са писцима перципираним као „дисиденти“ и са њиховом „праведном борбом“, и, с друге стране, ангажовани протест против једног „неразумног“ и „неразумљивог“ рата перципираног често на манихеjски начин ?

Кључне речи : грађански рат у бившој Југославији, рецепција српске књижевности, француска критика, политика и естетика, Мирко Ковач, Видосав Стевановић.


NOTES

[1] Voir : « Entre l’Orient et l’Occident : Ivo Andrić », in M. Srebro (dir.), La Littérature serbe dans le contexte européen, Pessac, MSHA, 2013, p. 215-236 ; « Temps et tempêtes de Dobrica Ćosić », Serbian Studies Research, Association for the Development of Serbian Studies, Novi Sad, vol. 5, n° 1, 2014, p. 225-251 ; « L’esprit cartésien face à un ‘maître de la voltige’ byzantin : réception des œuvres de M. Pavić en France », Serbica, revue électronique, mars 2011 ; « Entre esthétique et politique : un aspect de la réception de la littérature serbe en France à la fin du XXe siècle », Communications de la délégation française au XVIe Congrès international des slavistes, Belgrade, 20-27 août 2018, in Revue des études slaves, tome LXXXIX, fasc. 1-2, Paris, 2018, p. 199-2015.

[2] Nous avons mis en lumière ces qualités dans une analyse approfondie menée dans le cadre d’un ouvrage consacré aux opus romanesques de Bora Ćosić, Danilo Kiš et Mirko Kovač : Roman kao postupak u savremenoj srpskoj književnosti [Le Roman en tant que genre littéraire], Matica srpska, Novi Sad, 1985. Voir en particulier le chapitre consacré à M. Kovač, p. 128-170.

[3] Soulignons ici un détail qui relativise, dans une certaine mesure, le parallèle établi entre Kovač et Stevanović ou, plus exactement, entre leurs choix politiques. Contrairement à Kovač qui a choisi démonstrativement son camp dans le conflit croato-serbe, Stevanović est resté plus nuancé sur ce sujet. Tout en critiquant vigoureusement le régime serbe, ce dernier a également dénoncé à plusieurs reprises les régimes « dictatoriaux » qui se sont instaurés dans d’autres républiques ex-yougoslaves, et en particulier en Croatie. Selon lui, les régimes de Milošević et Tudjman sont deux facettes de la même médaille ou, pour reprendre sa métaphore ironique, « des frères siamois », produits  « d’une espèce nouvelle ». Voir : « Un écrivain serbe juge la guerre : ‘La parole tue plus que les couteaux’ », interview, propos recueillis par Joseph Limagne, Ouest-France, 17-18 avril 1993 ; Vidosav  Stevanovic, « Ex-Yougoslavie, la guerre innommée », Libération, 21 mars 1994.

[4] Traduit par Pascale Delpech, Rivages, 1992. Éd. de poche, chez le même éditeur, 1994.

[5] Laurand Kovacs, « Mirko Kovač : La vie de Malvina Trifkovic », La NRF, n° 473, juin 1992, p. 140.

[6] Laurence Liban, « Jours tranquilles en Istrie », Télérama, 31 mai 1995.

[7] Daniel Walther, « Malvina, la Serbe », Dernières nouvelles d’Alsace, 4 avril 1992.

[8] Voir : « Une guerre d’incendiaires et de vauriens », entretien, Vjesnik (Zagreb), repris par Le Courrier international, 21 novembre 1991 ; Mirko Kovac, « Les champs de la mort », Libération, 28 février 1992 ; « L’ONU reste le seul espoir », entretien, propos recueillis par Laurent Lemire, La Croix, 4 mars 1992.

[9] André Clavel, « Le baume de la haine », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, 11 avril 1992.

[10] « Être ou ne pas être serbo-croate », Le Monde, 28 février 1992.

[11] Voir à ce sujet : Milivoj Srebro, « Temps et tempêtes de Dobrica Ćosić », op. cit.

[12] Philippe Petit, « Yougoslavie : des intellectuels contre la barbarie », L’Événement du jeudi, 2 juillet 1992.

[13] P.-J. F. : « La vie de Malvina Trifkovic par Mirko Kovac », L’Express, 27 janvier 1994.

[14] A. Clavel, op. cit.

[15] M. Gz, « Mirko Kovac / La vie de Malvina Trifkovic », Télérama, 4 avril 1992.

[16] L. Kovacs, op. cit., p. 139.

[17] « La passion de la mémoire », Sud-Ouest, 31 mai 1992.

[18] « Manière brute », Libération, 27 février 1992.

[19] V. H., « La vie de Malvina Trifkovic / Mirko Kovac », Madame Figaro, 27 février 1992.

[20] N. Zand, op. cit.

[21] Hervé Guay, « Anatomie de la haine », Le Devoir, 20 juin 1992.

[22] D. Walther, op. cit.

[23] Georges Steinberg, « Femmes dans la tragédie de l’Histoire », Forum du Conseil de l’Europe, septembre 1992.

[24] A. Pourrillou-Jarniac, op. cit.

[25] Antoine Spire, « Violence Serbo-Croate », Amnesty International, 1992, p. 22.

[26] Op. cit.

[27] J.-F. Boulagnon, « Au cœur des racines », Taktik hebdo, 24 juin 1994.

[28] Traduit par Pascale Delpech, Rivages 1995. Par ailleurs, il s’agit du livre publié à Belgrade en 1987 sous le titre Nebeski zaručnici [Fiancés célestes].

[29] « Du fantastique à la réalité »,  La Quinzaine littéraire, 1er juin 1992.

[30] Jean-Baptiste Harang, « Kovac, ligne de faille », Libération, 11 mai 1995.

[31] Selon une note présentée au début du livre, c’est Mirko Kovač lui-même qui a décidé de ne pas inclure la nouvelle « Jour et nuit » dans la version française du recueil. Cependant, on ne peut qu’être étonné par les explications données à ce sujet par la traductrice et l’éditeur du Corps transparent d’après lesquels ces « ajustements effectués par l’auteur » sont « insignifiants » et faits dans le but d’améliorer (sic !) la version traduite par rapport à l’original. En effet, lorsqu’on connaît le contexte politique du choix de l’écrivain de s’installer en Croatie en pleine guerre croato-serbe, on ne peut pas ne pas voir une toute autre raison de ses « ajustements », ou du moins de sa décision d’exclure « Jour et nuit » de la version française : l’autocensure. Autrement dit, c’était un geste  fait vis-à-vis de l’Église catholique croate mais aussi vis-à-vis des intellectuels et des dirigeants nationalistes du pays qui lui a offert l’hospitalité.

[32] Voir : Laurence Liban, « Jours tranquilles en Istrie », Télérama, 31 mai 1995, p. 52-53 ; Laurence Liban, « On me dit que je suis un prophète de malheur », Lire, été 1995 ; Laurence Chantrieux, « Le Serbe qui dit non », L’Express, juin 1995, p. 114.

[33] L’expression est de L. Liban. In : « Jours tranquilles en Istrie », op. cit.

[34] Philippe Petit, « Souvenirs d’un ex-Yougoslave », L’Événement du jeudi, 10 août 1995.

[35] À ce groupe appartiennent, entre autres, J.-B. Harang, op. cit., N. Czarny, op. cit., Bruno Gendre, « Histoires de fantômes », Les Inrockuptibles, 24 mai 1995.

[36] Traduit par H. et F. Wybrands, L’Âge d’Homme 1981.

[37] Les deux premiers volets, traduits par Mauricette Begić et Christine Chaton sont publiés dans un seul volume, intitulé La neige et les chiens, Belfond, mars 1993, tandis que le troisième, Christos et les chiens, traduit par Mauricette Begić, est sorti, chez le même éditeur, quelques mois plus tard, en octobre 1993.

[38] Voir à ce sujet également : Milivoj Srebro, « Entre esthétique et politique / Un aspect de la réception de la littérature serbe en France à la fin du XXe siècle », Revue des études slaves, Paris, LXXXIX/1-2, 2018, p. 199-215.

[39] Cette remarque se trouve sur la quatrième de couverture.

[40] Nicole Zand, « Où sont les chiens », Le Monde, 23 avril 1993, p. 24.

[41] « La puanteur de la haine », Dernières Nouvelles d’Alsace, 25 avril 1993.

[42] Marie-Françoise Allain, « Vidosav Stevanovic : La neige et les chiens », Esprit, juillet 1993, p. 191-192.

[43] Nicole Zand, « Traduit du serbo-croate », Le Monde, 29 octobre 1993.

[44] J.-L. K(uffer), « Au cœur du mal », 24 heures, 17 février 1994.

[45] « Je suis probablement l’écrivain le plus calomnié à Belgrade », déclare-t-il d’un ton plaintif. « Tous mes livres, ont été retirés de la circulation et je suis régulièrement traîné dans la boue. De l’horreur que mon livre reflète, on se borne à dire que c’est une fantasmagorie personnelle. » (In : Jean Luis Kuffer, « Évangile de la haine ».) Dans une autre interview il ajoute : « Mes derniers romans ont été imprimés et vendus sous le manteau grâce à l’aide d’amis. Les premiers sont introuvables en librairie. Après avoir été épuisés, ils n’ont pas été réédités. » (In : « Une guerre incroyable, sauf pour ses instigateurs », entretien, propos recueillis par Michel Guilloux, avec l’aide de Franjo Termacic, L’Humanité, 28 avril 1993).

[46] Cette remarque est faite par J.-B. Harang, « Vies des chiens de Stevanovic », op. cit.

[47] Claude Fleury, « Yougoslavie, avant et après », Le Républicain Lorrain, 2 janvier 1994.

[48] Jean-Baptiste Michel, « Deux grands figures de l’opposition serbe / Requiem pour les Balkans », Le Nouvel observateur, 13 mai 1993. Dans ce texte, l’auteur parle également du cas de Vuk Drašković et de son roman Le Couteau.

[49] M. Wagner, op. cit.

[50] « Une guerre incroyable... », L’Humanité, 28 avril 1993.

[51] J.-B. Harang, « Vies de chiens de Stevanovic », op. cit.

[52] « Si j’ai choisi cet exil volontaire (souligné par M. S.) d’un an à Athènes », explique Stevanović dans une interview, « c’était pour affirmer mon refus personnel de cautionner la politique du pouvoir serbe actuel ainsi que celle d’autres régimes des Balkans. Je voulais que ce refus apparaisse publiquement. » In : « Une guerre incroyable... », op. cit.

[53] Voici les informations fournies à ce sujet par la Bibliothèque nationale de Serbie : Sneg u Atini [Neige à Athènes], Kragujevac, Nova Svetlost, 1992, tirage : 3000 exemplaires ; Ostrvo Balkan [L’Île des Balkans], Beograd, édition de l’auteur, 1993, 2000 exemplaires ; Hristos i psi [Christos et les chiens], tirage : non précisé ; Beograd, Radio B92, 1994.

[54] Les tirages importants des deux premiers volumes (3000 et 2000 exemplaires), trop importants même pour une vente clandestine en Serbie, mettent clairement en cause, il nous semble, l’affirmation selon laquelle ils étaient « vendus sous le manteau ».

[55] L’expression est de M. Wagner, op. cit.

[56] Paul-Jean Franceschini, « La honte et la pitié », L’Express, 15 avril 1993.

[57] Joseph Limagne, « Les Serbes : une âme d’assiégés », Ouest-France, 15 avril 1993.

[58] Cette constatation qui nous semble juste, est faite par Jean-Louis Kuffer dans son entretien avec Stevanović. Voir : « L’Évangile de la haine », op. cit.

[59] Il s’agit notamment du Nettoyage ethnique publié dans le but de dénoncer « une idéologie serbe » fondée, selon l’éditeur de l’ouvrage, sur « un impérialisme teinté de racisme » ; du Journal de guerre de Zlatko Dizdarević pour lequel les Serbes sont des « barbares fous de leurs gènes, leurs mythes, leur histoire » ; et de Putain de guerre qui est la confession d’un mercenaire, un « volontaire français contre les Serbes », comme cela est mentionné sur la couverture du livre.

[60] Paris, Fayard, 1993 ; il est, par ailleurs, intéressant de noter que les trois auteurs de ce livre – Mirko Grmek, Marc Gjidara et Neven Simac – sont, comme le précise la quatrième de couverture, des « intellectuels français d’origine croate ».

[61] J. Limagne, op. cit.

[62] In : « Un débat entre deux écrivains de l’ex-Yougoslavie : Comment résister », Lire, juin 1993. Il s’agit, en fait, d’un entretien avec Stevanović et Drašković. Propos recueillis par Catherine Argand.

[63] « Je crois que la culpabilité ne peut pas être collective », déclare-t-il avant de préciser : « Ce ne sont pas les peuples qui sont coupables, mais les individus. » In : « Un débat entre deux écrivains de l’ex-Yougoslavie... », op. cit.

[64] In : J.-B. H(arang), « Stevanovic et les chiens », op. cit.

[65] In : J.-L. Kuffer, « L’Évangile de la haine », op. cit.

[66] « Les monstres des Balkans », La Quinzaine littéraire, n° 623, du 1er au 15 mai 1993, p. 1 et 5.

[67] « Autopsie d’une guerre ‘civile’ », L’Humanité, 28 avril 1993.

[68] « La guerre en circuits fermés », L’Humanité, 14 janvier 1994.

[69] En parlant des significations de son roman, Stevanović a souligné surtout l’importance de la symbolique de la figure du chien : « Je me suis servi de ce symbole pour démontrer le mal qui surgit dans l’homme dans les conditions de la guerre. Dans la plupart des mythologies balkaniques, les chiens et les loups appartiennent à la race des êtres maléfiques, des forces souterraines. Je voulais démontrer que surgissent chez ces gens quelque chose de très profond, d’ancestral, d’archaïque, le désir de mort aussi. » (In : « Une guerre incroyable... », op. cit.)

[70] V. P., « Des vies décomposées sous l’effet de la guerre », Libre Belgique, 15 janvier 1994.

[71] Alain Bosquet, « Les guerres civiles de Vidosav Stevanovic », Le Quotidien de Paris, 27 octobre 1993.

[72] « Mes dix livres de la saison », Le Quotidien de Paris, 10 novembre 1993. Sur cette liste, le livre de Stevanović occupe la place n° 7.

[73] Après la publication de la trilogie, quatre nouveaux livres de fiction de Stevanović ont été traduits en français : les romans Prélude à la guerre (titre original : Testament ; 1996), La même chose (1999) et Abel et Lise (2003), et un recueil de « drames » : Jeanne du métro, Purification ethnique, Répétition permanente (2010). Leur accueil en France, beaucoup plus discret que celui réservé à sa trilogie romanesque, fut également conditionné par la conjoncture politique et par les prises de position de leur auteur.

[74] L’expression employée par Nicole Zand, in : « Où sont les chiens », Le Monde, 23 avril 1993.

Date de publication : octobre 2019

 

DOSSIER SPÉCIAL : Les relations littéraires et culturelles franco-serbes dans le contexte européen

 

Date de publication : juillet 2014

 

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