De l’héritage littéraire de Svetlana Velmar-Janković

Avant-propos

par Alain Cappon

 

Cappon portrait

Alain Cappon

Velmar Jankovic portrait 2

Svetlana Velmar-Jankovic

 

La traduction littéraire a ceci de merveilleux : quelle que soit la connaissance que l’on a / que l’on pense avoir / d’un écrivain, quelle que soit la proximité que l’on se sent / que l’on se sentait /avec lui, voire le sentiment d’affection ou d’amitié qui vous unit / qui vous unissait à lui, cet homme ou cette femme de lettres réserve/réservera toujours des surprises et, très fréquemment, là où on ne l’attendait pas. « Les grands esprits suivent un parcours cyclique à travers le temps, ils nous quittent et nous reviennent éclairés de nouvelles lumières » disait Svetlana Velmar-Janković qui nous a quittés en 2014, nous laissant une œuvre immense, très éclectique où la fiction le dispute aux romans autobiographiques, aux pièces de théâtre, aux recueils de nouvelles et romans historiques où elle redonne vie à la Belgrade d’antan, aux livres pour enfants, et même… à un recueil de prières.

Sur l’initiative de Žarko Rošulj son second mari – qu’il en soit sincèrement remercié – ont paru plusieurs livres posthumes dont un surprenant recueil de poésie Euridika traži Orfeja [Eurydice cherche Orphée] dont, personnellement, j’ignorais tout, mais j’ajouterai, pour ma défense (!), que je n’étais pas le seul, comme on le verra. Outre le poème éponyme, ce recueil réunit des poèmes écrits entre 1974 et 1976 au nombre desquels Zapisi sa Korinta [Écrits de Corinthe], lesdits Rane pesme [Poèmes de jeunesse] qui datent des années 1940, ainsi que des poèmes que la jeune Svetlana offrit à sa mère à l’occasion de son anniversaire.

On lira également la préface que Žarko Rošulj a écrite pour Euridice ainsi qu’un texte que Svetlana Velmar-Janković elle-même a consacré à la poésie.

Autre initiative de Žarko Rošulj, la publication en 2016 de Zapisi sa dunavskog peska [Écrits du sable danubien]. Et une nouvelle belle surprise ! Vingt-et-un textes (relativement) courts sur Belgrade où la romancière et nouvelliste endosse un autre habit qui, également, lui sied à merveille : celui d’historienne. Opérer un choix n’a pas été chose facile pour moi car ces textes sont de véritables livres d’Histoire qui, s’ajoutant à Dorćol, Vračar, recueils de textes sur ces quartiers de Belgrade, et Kapija Balkana [La Porte des Balkans], narrent le passé de la capitale serbe à travers ses rues, ses quartiers, et ses personnages qui ont fait date. Mais là où les manuels d’Histoire sont parfois pour le moins… ennuyeux, jamais Svetlana Velmar-Janković ne lasse car elle possédait cette faculté – hélas, rare – de raconter l’Histoire tout en narrant une histoire, d’offrir un texte magistralement écrit mais solidement documenté, un beau récit qui, peut-être incitera son lecteur à s’ouvrir aux aspects pour lui encore méconnus de sa ville ou de son pays. Ainsi, chemin faisant, « Où était Nebojša ? » explique l’étymologie du nom de cette tour, ainsi se découvre dans « Ada Ciganlija » le passé (plutôt) trouble jusqu’à une période relativement récente de ce qui est aujourd’hui l’un des hauts lieux de promenade et de détente des Belgradois et des touristes.

Velmar Jankovic Zapisi sa dunavskog peska

Zapisi sa dunavskog peska
Écrits du sable danubien

Nombre de critiques ont qualifié Svetlana Velmar-Janković d’écrivain de Belgrade. Certes, à juste titre. Mais pas au sens restrictif de l’expression, d’écrivain « à œillères », focalisé à l’extrême sur son sujet de prédilection. Outre sa passion pour sa ville natale, Svetlana a révélé dès les années 1950 une belle ardeur dans le combat mené avec d’autres jeunes, et moins jeunes, hommes et femmes de lettres, « modernes » ou « modernistes » pour l’avènement de la liberté artistique en matière de création, pour l’affranchissement des contraintes imposées par l’art dit « engagé » et de la soumission de la littérature au dit « réalisme socialiste ».

« [Tandis que nous traversions Terazije] j’aperçois Petar Džadžić, Sveta Lukić, et mon premier mari Miodrag Mimi Protić, mais aussi Zoran Mišić et Vasko Popa qui, eux, représentent la génération précédente, déjà reconnue. Ils parlent du premier numéro de Delo qui doit sortir, le magazine de ceux qui s’estiment en mesure de se battre pour l’art vrai, c’est-à-dire moderne, exempt d’idéologie, qui ne connaît l’interdiction ni de pensée, ni dans la perception des sentiments ni dans leur expression. Quand ces interdictions sont édictées de l’extérieur. »

Ce court fragment est extrait de « Ivan V. Lalić », texte qui n’est pas présenté ici, mais la même combativité se perçoit dans « Zoran Mišić » qui explique plus clairement encore la lutte qui mit aux prises les « Anciens » (politiquement alignés) et les « Modernes » de la littérature serbe/yougoslave qui prônaient la liberté en matière d’art sous toutes ses formes. Publié en 1997 dans le magazine Književne novine [Le Journal littéraire], « Zoran Mišić » illustre un autre pan assez méconnu du lectorat français, les prises de position politiques de Svetlana Velmar-Janković même si son engagement ne s’inscrivit jamais dans le cadre d’un parti ni ne fut frontal. Écrit durant l’été 1999, soit peu de temps après la guerre dite « du Kosovo » et le bombardement de la Serbie, « À la louange de Belgrade » combine habilement l’« historique » et le « politique », invite à ne pas perdre espoir, cet espoir « sur lequel la poussière ne doit pas se déposer ». « Où était Nebojša ? » écrit en 2011 raconte le passé pour mieux insuffler du courage et la volonté de résister en ces temps à tout le moins difficiles que vit la Serbie. « Rêve d’Europe », écrit un an plus tard, établit un parallèle saisissant entre la Serbie « repoussée à la marge de l’Europe » après la mort du despote Stefan et celle, en « ce présent qui nous échappe » visiblement honnie, abandonnée par les Grandes Puissances. N’oublions pas « Kosovo », écrit deux jours après la proclamation de l’indépendance de cette province, berceau de l’Histoire et de la conscience nationale serbe. Malgré sa virulence, ce n’est pas là un tract politique, Svetlana Velmar-Janković incrimine tous les gouvernements successifs qui ont « permis » la perte du Kosovo, mais aussi l’apathie du peuple serbe qui, dans son ensemble, n’a pas su défendre « sa » province et se défendre lui-même. Là encore le texte se clôt sur un message d’espoir.

Autre facette de l’œuvre littéraire de Svetlana Velmar-Janković, les portraits qu’elle a brossés de grands noms de la littérature serbe. Les Écrits du sable danubien en présente seize, écrits entre 1975 et 2010. Celui consacré à Slobodan Selenić est en réalité un discours prononcé à l’occasion de l’ouverture de l’adaptation scénique de l’œuvre de Selenić dans les théâtres de Belgrade.        

Répétons-le : opérer un choix dans le recueil Eurydice cherche Orphée ou dans Les Écrits n’a pas été chose aisée. Les textes « historiques » proposés ont pour moitié paru dans le magazine NIN en 2011-2012 ; l’autre moitié est constituée d’inédits. En plus de « Kosovo », trois autres de ces inédits méritent une attention spéciale : « Chilandar » qui illustre la foi religieuse qui animait Svetlana Velmar-Janković, « Best-seller » qui propose une subtile réflexion sur le métier et l’art de l’écrivain, et « Zlatna ribica » [Le Petit Poisson d’or], écrit en 1999  mais jamais publié, où elle se penche sur le monde de l’enfance qui lui inspira Knjiga za Marka [Un Livre pour Marko], Očarane naočare [Les Lunettes enchantées] et Sedam mojih drugova [Sept de mes copains] tous deux publiés en 2007.

 

DOSSIER SPÉCIAL : SVETLANA VELMAR-JANKOVIĆ

 

Date de publication : juillet 2014

 

> DOSSIER SPÉCIAL : la Grande Guerre
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Le poème titré "Salut à la Serbie", écrit en janvier 1916, fut lu par son auteur Jean Richepin (1849-1926) lors de la manifestation pro-serbe des alliés, organisée le 27 janvier 1916 (jour de la Fête nationale serbe de Saint-Sava), dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. A cette manifestation assistèrent, â côté de 3000 personnes, Raymond Poincaré et des ambassadeurs et/ou représentants des pays alliés.

Grace à l’amabilité de Mme Sigolène Franchet d’Espèrey-Vujić, propriétaire de l’original manuscrit de ce poème faisant partie de sa collection personnelle, Serbica est en mesure de présenter à ses lecteurs également la photographie de la première page du manuscrit du "Salut à la Serbie".

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