SERBICA | СЕРБИКА |
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♦ SOMMAIRE ♦ |
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1. ♦ SOUS LA LOUPE ♦
MIROSLAV JOSIĆ VIŠNJIĆ |
Miroslav Josić Višnjić (1946)
Miroslav Josić Višnjić – portrait
par Marko Nedić Avec un petit nombre d’autres auteurs serbes, Miroslav Josić Višnjić (1946) se consacre aujourd’hui pleinement à la littérature, à la langue, à la culture, à son pays natal, à la tradition, à la vie immédiate. Sa prose est née d’un esprit de révolte contre les conventions littéraires, qu’elles soient de la pratique réaliste ou de la poétique moderniste instrumentalisée et par trop appuyée. Simultanément, et dès les premiers livres, elle entrait aussi en rébellion contre les conventions, les déformations morales et politiques, le comportement exclusif de tout autre dans la société et la culture à l’époque qui fut celle de la formation de Josić Višnjić en tant que créateur. […]
Auteur d’ouvrages de prose reconnus unanimement et tour à tour consacrés par de prestigieuses récompenses littéraires, Miroslav Josić Višnjić produit dans ses textes les effets esthétiques les plus opérants au niveau du style et de la langue. Comme peu d’autres écrivains serbes de la seconde moitié du XXe siècle, il se révèle dans ses nouvelles et romans un authentique maître de la langue et du style, du rythme, de la tonalité, de la syntaxe, de la référence, de l’allusion, du symbole – un maître de la prose poétique issue de tels fondements, l’égal de celui que fut en son temps son grand prédécesseur Miloš Crnjanski. […]>Texte intégral<
Un étouffement des plaintes
par Đorđije Vuković Il est possible de tenir pour traits marquants de la prose lyrique le ton et le rythme des phrases, les descriptions de paysages et de choses, les récits fragmentaires, voire les états d’esprit que tout cela suscite en nous. Les nouvelles et romans de Josić Višnjić, davantage que d’autres œuvres publiées en Serbie ces derniers temps, présentent ces caractéristiques. Mais l’auteur a entrelacé sa soie lyrique de thèmes politiques et d’allusions aux conditions de l’après-guerre. Il apparaît maintenant à l’évidence que le titisme était l’une de ses cibles principales […]
Le dernier roman de Miroslav Josić Višić se consacre au titisme en tant que système sous lequel chacun pouvait être exposé à la violence, humilié, brisé. Pristup u kap i seme [Accès à la goutte et à la graine] s’inscrit dans les récits sur les camps qui, sans conteste, marquent toute la littérature de la seconde moitié du XXe siècle, principalement en Russie et dans les autres pays qui ont vu l’échec du socialisme. […] Le lecteur en quête seulement de scènes de cruauté à Goli otok sera, sans doute, déçu par le livre. En prenant ses distances avec la brutalité, l’auteur brosse le panorama d’une époque où la violence était pour ainsi dire un phénomène normal. Tout cela se colore d’une complainte douce, parfaitement mesurée, ni trop forte pour nous garder de l’accablement, ni tout à fait apaisée pour nous éviter au final de verser dans l’indifférence. […] >Texte intégral<
Goutte et graine
par Alain Cappon Surprenant livre que cet Accès à la goutte et à la graine de Miroslav Josić Višnjić. Surprenant, voire, dans un premier temps, … déroutant. Apparaît de prime abord un roman : sentant sa fin proche, un père confie à son fils deux cahiers qu’il tient d’une femme, Stojanka, dans lesquels celle-ci relate ses tristes et pénibles trois années passées à… Goli otok, une île de l’Adriatique de sinistre mémoire puisqu’elle a abrité ce qui fut le « goulag titiste » au tournant des années 1940-1950. Mais plus surprenante pour le lecteur est la manière choisie par l’écrivain dans sa relation des faits : si les chapitres toujours intitulés « Goutte et graine » sont numérotés de 1 à 66, le récit ignore toute linéarité, toute chronologie. […]
Du simple témoignage, Goutte et grain prend ainsi la dimension d’un récit polyphonique où les faits sont repris dans le désordre, juxtaposés, et, au bout du compte, brossent le tableau – noir – de ce que furent les premières années du communisme yougoslave. La manière dont le texte est présenté est elle aussi pour le moins surprenante : les paragraphes resserrés au maximum, réduits à une seule phrase, parfois légèrement plus longs, sont systématiquement suivis d’un rejet à la ligne, ce qui a amené le critique Ðorđije Vuković à établir – symboliquement – un parallèle formel avec la Bible. […] >Texte intégral<
Accès à la goute et à la graine : extraitstraduit par Alain Cappon Je n’ai rien
Je n’ai rien comme souvenir de Goli Otok.
Or j’avais ce peigne dont je t’ai parlé.
Ce peigne, qui était à moi.
Tu vois bien comment ils sont, ces vieux peignes en corne.
Avec un manche, long et large, de couleur sombre mais translucide.
J’avais gravé des choses dans le manche, toutes les dates.
D’un côté, les dents, et, de l’autre, ce manche, long et large. En plus des dates, j’y avais inscrit aussi gauchement, obstinément, tous les endroits.
En premier, la date de mon arrestation, puis Obilićev venac, Kovačica, ensuite une autre date, un peu plus loin Ramski rit, puis la date de Zabela, et enfin Goli…
J’avais tout inscrit avec diverses petites épingles, pinces à cheveux, agrafes.
Ce peigne, comme j’ai pu le garder jalousement !
Quasiment personne, je pense, ne l’a vu pendant un bon bout de temps ! Je ne le prêtais pas.
Car dans tous ces camps et prisons, tout ce qu’on était amené à toucher était crasseux, et aussi tout ce qu’on voyait, qu’on regardait… et ne parlons pas des poux, et des punaises, et des lentes.
Ne pas passer son peigne à quiconque pour se coiffer.
Surtout avec ces dates, endroits, chemins parcourus, lieux et temps de détention. Chacun de mes transfèrements. […] >Texte intégral<
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2. ♦ ARTICLES & ESSAIS ♦
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Le procédé de mythologisation chez Slobodan Džunić
par Ana Marković-Šargić Quand il s’agit de situer Slobodan Džunić parmi ses contemporains, on peut dire que son œuvre, excepté les deux premiers recueils de nouvelles, est restée à l’écart des courants littéraires dominants entre 1950 et 1990, période qui correspond à sa vie littéraire active. Dans la critique littéraire serbe il existait des tentatives pour rattacher l’œuvre de ce nouveliste et romancier à la création d’un certain nombre d’écrivains de la littérature « moderne », notamment à celle de Bora Stanković, Rastko Petrović et Momčilo Nastasijević, mais ces liens, ni l’impact desdits écrivains sur sa prose, ne furent examinés de manière approfondie. […]
Cet article visant à contextualiser l’œuvre de Džunić corrobore l’opinion de la critique qui le considère comme un auteur à part, singulier, et sans filiation. En effet, il apparaît que cet écrivain qui construit ses nouvelles et romans en se fondant sur le fantastique folklorique et le modèle narratif du conte de fées, qui recourt à la mythopoïétisation dans la transposition de la réalité, n’a dans la littérature serbe ni précurseur ni successeur. Sa singularité, sa marque distinctive par rapport à d’autres écrivains, se manifeste dans la façon dont il use de modèles folkloriques et fantastiques pour structurer son œuvre, mais aussi dans le procédé de mythologisation, dans la transposition et le remaniement des modèles et des figures mythiques. C’est ainsi que Slobodan Džunić crée un univers littéraire unique, un microcosme imaginaire situé au plan temporel hors de l’Histoire et, au plan spatial, « derrière le côté du Soleil ». […] >Texte intégral< Un roman « chaud » de Vladimir Kecmanović
par Alain Cappon Comme Le Journal de Zlata (dont je suis par ailleurs aussi le traducteur en français), Top je bio vreo / Le canon était chaud raconte un épisode du siège de Sarajevo mais, cette fois, vu par les yeux d’un petit Serbe contraint de vivre ce qui le dépasse. D’où le style dépouillé à l’extrême, d’où les phrases, réduites à quelques mots, qui rapportent davantage les impressions, les sensations d’un jeune enfant… témoin muet de l’inconcevable : sa famille tuée par « les siens » ; Hasan, son grand frère par adoption, abattu de même, mais par « les autres »… mais qui sont aussi « les siens » ; sa seconde famille d’accueil assassinée par… ses voisins ‒ les « siens » ou les « autres » ? C’est un voyage initiatique auquel est contraint de se livrer le jeune garçon, de l’insouciance et de l’innocence de l’enfance à la réalité de la vie… et de la mort, à la soif de vengeance, au désir de tuer à son tour, sans état d’âme aucun…
Top je bio vreo a été qualifié de livre « dérangeant » ‒ du fait de son héros, parce que l’auteur – Serbe ‒ était lui-même natif de Sarajevo? Peut-être… Mais, surtout, parce qu’il renvoie tout le monde dos à dos, assiégeants et assiégés, tous ceux qui assassinent sans discrimination… ou en pleine conscience, tous ceux pour qui la guerre ou le port de l’uniforme fut le meilleur des paravents pour se livrer aux pires exactions, meurtres, viols, prostitution, trafics en tous genres, contrebande, y compris avec… l’ « ennemi » ! […] >Texte intégral< |
3. ♦ UN ÉCRIVAIN - UNE ŒUVRE
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Miodrag Bulatović, l’enfant terrible de la littérature serbe d’après-guerre
par Milivoj Srebro
Prosateur hors norme au verbe expressif, exubérant, personnalité insolente prête à tout tourner en dérision, Miodrag Bulatović (1930-1991) – nouvelliste, romancier et auteur dramatique – s’est vite forgé la réputation de l’enfant terrible de la littérature serbe d’après-guerre. Apparu tel un météore sur la scène littéraire des années cinquante du XXe siècle, toujours étroitement surveillée par les « vigiles » du régime titiste, cet écrivain à l’esprit subversif s’est aussitôt attiré les foudres des idéologues du réalisme socialiste. […] Sans se laisser intimider par l’anathème jeté par la critique dogmatique, sans vouloir entrer dans les ordres, Bulatović restera fidèle à lui-même tout sa vie durant en se laissant guider uniquement par son talent, en poursuivant son chemin en dehors des sentiers battus. Objet de controverses, longtemps encore contesté par les idéologues titistes mais, en même temps, soutenu discrètement par la critique progressiste, l’écrivain finira, cependant, par être reconnu à Belgrade. Mais seulement après son fulgurant succès à l’étranger ! Comme le dit l’adage : « Nul n’est prophète en son pays ». […]>Texte intégral<
A mi-chemin du jeu humoristique et du cauchemar
Le Héros à dos d’âne de Miodrag Bulatović par Marija Džunić Drinjaković […] Qualifié par son auteur comme une « tentative pour écrire une histoire non officielle », Le Héros à dos d’âne – roman d’inspiration burlesque osant tourner en dérision, au-delà d’une image mensongère de la guerre et d’une vision manichéenne du monde, nombre de valeurs sacro-saintes de son époque – fut immédiatement taxé d’hérésie et interdit de publication. Au lieu de paraître à Belgrade en 1965, dans la maison d’édition « Kultura », il sort seulement deux ans plus tard, à Rijeka.
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4. ♦ ÉTUDES DE RÉCEPTION ♦
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Génie ou imposteur ?
Miodrag Bulatović vu par la critique française par Milivoj Srebro Résumé Aussi bien dans son pays qu’en France, Miodrag Bulatović suscitait sans cesse des réactions contradictoires et très animées. Comme jadis en ex-Yougoslavie, l’inclassable romancier du Monténégro avait également en France – pays où ses six livres ont été traduits – ses adeptes fervents mais aussi ses contradicteurs. D’abord accueilli avec l’enthousiasme dans l’Hexagone, Bulatović se heurtera par la suite aux réactions critiques exprimant l’incompréhension, voire l’animosité. Pourquoi ? Une analyse approfondie démontre que de telles réactions sont, du moins en partie, la conséquence directe de l'amalgame que l'on a fait entre, d'un côté, l’œuvre littéraire de Bulatović et, de l'autre côté, sa personnalité controversée et « politiquement incorrecte ». Cela dit, force est de constater, cependant, qu'au-delà de cet amalgame – qui relève, d'ailleurs, également de la responsabilité de l'auteur lui-même –, l'accueil de ses œuvres dans l’Hexagone soulève le problème fondamental de la réception de la littérature serbe en France en général, un problème qui révèle une certaine difficulté dans la compréhension entre deux modèles culturels, celui fondé, métaphoriquement, sur « l'esprit cartésien », et celui façonné par « le tempérament slave ». Ce problème majeur n'a pas, du reste, échappé à certains critiques français. La preuve en est ce commentaire pertinent de Luc Estang : « M. Miodrag Bulatovic est ce qu'on appelle un tempérament. Son art n'est peut-être pas très raffiné pour le goût occidental, mais il est de 'haut goût' justement, efficace à la mesure de la vitalité qui l'anime. »>Texte intégral< |
5. ♦ IN MEMORIAM ♦
Svetlana Velmar-Janković (1933-2014) ♦ Dobrica Ćosić (1921-2014) Miodrag Pavlović (1928-2014) |
La Dame au sourire : Svetlana Velmar-Janković
par Mihailo Pantić […] Svetlana Velmar-Janković n’était pas avare de belles paroles, mais jamais dispendieuse à propos de ce qui est vil. Toujours mesurée, maintenant une bonne distance, la voix ni trop haut perchée ni trop basse, sûre de ce qu’elle écrivait, capable de suggestion, développant un point de vue clair mais exempt de penchant pour le commandement, tous ces traits dévoilaient la maison dont elle était issue, tout ce qu’elle avait enduré, mais sans qu’elle fasse un « cas » de sa propre biographie et de son expérience traumatisante… – elle se consacrait à la littérature. Elle avait ses thèmes et n’en délaissait aucun sans l’avoir entièrement façonné. Quand, l’année dernière, comme antidote à l’oubli, j’ai écrit un texte sur nos octogénaires (Jovan Hristić, Slobodan Selenić, Aleksandar Ristović et Živojin Pavlović) dont plus personne ne se souvenait, à croire, mais à tort, qu’ils étaient passés en ce monde en pure perte, un dimanche matin, le lendemain de la publication de mon texte, Svetlana Velmar-Janković m’a téléphoné. […]
« Vous savez pourquoi je vous appelle ? » « Non. Dites-moi. » « J’ai lu votre texte. Ce sont des gens de ma génération, et je me sens comme avec eux, là-bas ; et ici, seulement pour un temps. J’y ai réfléchi toute la nuit. » « Mais enfin, Svetlana, que me chantez-vous là ?! » ai-je répondu dans l’espoir de la rasséréner, mais sans succès, sans succès aucun, tant sont stupides et superflus tous les efforts que l’on fait pour apporter le réconfort quand la courtoisie vous le commande. « Non, non, m’a-t-elle coupé, je sais qu’il en est ainsi. À dire vrai, je ne le sais pas, je le sens… » […]>Texte intégral<
Ce texte est extrait d’une interview que l’auteur du Temps de la mort et du Temps du mal a donné en avril 2014, peu avant sa disparition, à deux journalistes de l’hebdomadaire belgradois Nedeljnik, Veljko Lalić et Marko Prelević. Leçon 2 : Il n’y a plus de guerre à mener pour les Serbes
Mon message s’exprime comme suit : il n’y a plus de guerre à mener pour les Serbes. Nous ne devons surtout plus entrer en guerre. Nous n’en avons pas le potentiel biologique et, encore moins, patriotique. J’en suis convaincu, la paix est la seule et unique condition de notre survie. Il faut faire des compromis et, si besoin est, renoncer à nos principes afin de préserver la paix.
Leçon 10 : Je ne vois pas la Serbie dans l’U.E.
Je ne vois pas la Serbie dans l’U.E. J’attends de la part de l’U.E. plus de compréhension à l’égard de la Serbie, mais elle ne fait qu’envoyer ultimatum sur ultimatum. La diplomatie de l’U.E. envers la Serbie n’est qu’une diplomatie du chantage qui offense notre pays et montre combien les dirigeants de l’U.E. ont la mémoire courte. Car se pose là la question des Balkans, et la Serbie est la force centrale des Balkans. En décidant de créer une grande Albanie au cœur de l’Europe, l’Union Européenne joue contre elle-même. >Texte intégral<
Poète de la culture et peintre de la vie intérieure : Miodrag Pavlović
par Boris Lazić Miodrag Pavlović est, avec Vasko Popa, l'un des deux poètes qui, au début des années cinquante, affranchirent la poésie – et par-là même l'ensemble de la littérature contemporaine serbe – du poids de l'écriture officielle dite du „réalisme socialiste“ et permirent l’éclosion de la seconde vague du modernisme serbe. Son recueil 87 песaма / 87 poèmes (1952) est, à ce titre, révolutionnaire. S’inscrivant dans la tradition des avant-gardes de l’entre-deux-guerres, il en reprend les divers procédés techniques et rhétoriques notamment ceux du surréalisme, mais en les appliquant au moment présent, il élargit la perception du monde de l’après-guerre et offre au sujet lyrique une voix individuelle, moderne, urbaine qui tranche radicalement avec le folklorisme officiel du parti communiste et les ouvrages qui en découlent. […]
Excellent connaisseur de la poésie serbe et européenne, Pavlović incorpore dans ses vers mythes et histoire dans l'instant présent et instaure un nouveau type d'expression poétique, souvent allégorique. Il revalorise les voix dissidentes du passé, remet au goût du jour la poésie réflexive, notamment celle des classicistes, du slavon de l'office religieux (XVIIIe, XIXe siècle) pour en faire autant de jalons dans ses jeux intertextuels qui, de recueil en recueil, composent la vaste fresque des diverses couches culturelles, balkaniques de l'identité de l'individu moderne. […] >Texte intégral<
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6. ♦ ACTUALITÉS : PARUTIONS ♦ |
Jelena Novaković
Ivo Andrić - La littérature française au miroir d'une lecture serbe Ce livre se propose d'examiner la littérature française telle qu'elle se présente au miroir d'une lecture serbe, celle du prix Nobel de littérature, Ivo Andrić, qui en fut un grand amateur et un éminent connaisseur. Dans des cahiers où il a noté, à côté de ses propres réflexions, les pensées d'autres auteurs, les écrivains français occupent une place prépondérante : Montaigne, La Rochefoucauld, Pascal, Diderot, Chamfort, Joubert, Hugo, Nerval, Stendhal, Balzac, Flaubert, Maupassant, Léon Bloy, Barrès, Gide, Montherlant, Yourcenar, etc. […] >Texte intégral<
Mileta Prodanović :
Ça pourrait bien être votre jour de chance Traduit par Chloé Billon Belgrade, 1999, pendant les bombardements de l’OTAN …
Mileta Prodanović nous livre ici une vision originale et sans concession de la politique internationale du temps de la guerre en ex-Yougoslavie. Avec un cynisme qui dénonce aussi subtilement la dictature que les bombardements et un humour féroce qui ne rate jamais sa cible, loin de la complainte et de l’autovictimisation, Mileta Prodanović traite de l’histoire récente avec d’autant plus de brio que son ironie mordante n’épargne personne au passage. […] >Texte intégral<
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Revue éditée avec le soutien de : |
Je n’ai rien
Je n’ai rien comme souvenir de Goli Otok.
Or j’avais ce peigne dont je t’ai parlé.
Ce peigne, qui était à moi.
Tu vois bien comment ils sont, ces vieux peignes en corne.
Avec un manche, long et large, de couleur sombre mais translucide.
J’avais gravé des choses dans le manche, toutes les dates.
D’un côté, les dents, et, de l’autre, ce manche, long et large. En plus des dates, j’y avais inscrit aussi gauchement, obstinément, tous les endroits.
En premier, la date de mon arrestation, puis Obilićev venac, Kovačica, ensuite une autre date, un peu plus loin Ramski rit, puis la date de Zabela, et enfin Goli…
J’avais tout inscrit avec diverses petites épingles, pinces à cheveux, agrafes.
Ce peigne, comme j’ai pu le garder jalousement !
Quasiment personne, je pense, ne l’a vu pendant un bon bout de temps ! Je ne le prêtais pas.
Car dans tous ces camps et prisons, tout ce qu’on était amené à toucher était crasseux, et aussi tout ce qu’on voyait, qu’on regardait… et ne parlons pas des poux, et des punaises, et des lentes.
Ne pas passer son peigne à quiconque pour se coiffer.
Surtout avec ces dates, endroits, chemins parcourus, lieux et temps de détention. Chacun de mes transfèrements. […]