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Per Jacobsen 

 

À qui appartient quoi ?

Le contexte littéraire dans les Balkans


Obradović by Uroš Predic

 

1.

Aux guerres qui se déroulèrent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie dans les années 1990 s'enchaînèrent de formidables efforts nationalistes, voire xénophobes, pour construire une nation, efforts qu'alimentèrent les élites politiques et intellectuelles des nouveaux États indépendants. La langue commune, le serbo-croate, qui dans la Yougoslavie communiste avait représenté un puissant facteur d'unification, fut éclatée en serbe, croate, bosnien et, plus récemment, monténégrin ; à des niveaux différents, certes, mais avec une égale véhémence, chacune fut affirmée différente des autres. En Croatie, la première république (avec la Slovénie) à avoir fait sécession de la fédération yougoslave, des efforts immenses furent déployés dès le premier jour de l'indépendance et jusqu'à aujourd'hui pour singulariser le vocabulaire croate de l'ancienne communauté linguistique de ce pays, la "pureté" de la langue était sans relâche défendue par l'élite politique et linguistique de ce pays.[1] En Bosnie-Herzégovine la situation est dans ses grandes lignes identiques mais l'existence des deux parties constituantes de l'État, la Fédération croato-musulmane et la République serbe (Republika srpska, RS) brouille l'image d'une politique linguistique unie. Les Croates de Bosnie maintiennent l'unité de langue avec la Croatie, les Serbes de la RS celle avec la Serbie, et les Musulmans ou Bosniaques[2] créent quant à eux un purisme linguistique semblable à celui existant en Croatie mais selon des lignes différentes. Les puristes croates construisent le vocabulaire de leur nouveau parler à partir de vieux éléments croates et de mots composés, la finalité étant la différenciation d'avec le serbo-croate. Les Bosniaques pour leur part ressuscitent de vieux mots turcs, arabes, et perses. Mais ici encore le but ultime de ce purisme linguistique est le démarquage d'avec le serbe et le croate voisins. Au Monténégro, qui s'est séparé de la Serbie en 2006, l'élite politique et les linguistes ont initié une nouvelle forme d'indépendance linguistique. Elle ne visait pas, comme en Croatie ou en Bosnie-Herzégovine musulmane, à créer un vocabulaire, mais toute une série de traits morphologiques et phonémiques prétendument constitutifs de la langue monténégrine typique[3]. En Serbie aucun effort sérieux ou sur le plan officiel n'a été consenti dans la perspective de créer une nouvelle langue ou de différencier la variante serbe du serbo-croate standard des autres langues. Bien au contraire, de nouveaux volumes du grand dictionnaire de l'Académie serbe des Sciences et des Arts sont publiés sous le titre Dictionnaire de la langue serbo-croate[4] et, en règle générale, on admet et on maintient que les Serbes, les Croates, les Bosniens, et les Monténégrins parlent la même langue. Il faudrait toutefois souligner que l'existence d'une langue serbo-croate commune ne remet pas en question l'existence de quatre nations ou de quatre indépendances ni ne menace l'identité de ces quatre nations.

2.

S'agissant de la littérature, l'image est quelque peu différente quoique les thèmes généraux soient à bien des égards identiques. Quand le mouvement européen national s'étendit aux Balkans au début du XIXe siècle, les Serbes et les Croates adoptèrent le nationalisme dans leur combat pour l'indépendance politique et culturelle. Cela valut également pour les Serbes et les Croates de Bosnie-Herzégovine. Jusqu'à l'occupation autrichienne de 1878 la population musulmane de la région constituait une classe privilégiée et conservatrice qui tenaient les nouveaux sentiments nationaux non seulement pour étrangers mais encore pour méprisables. Après l'occupation puis l'annexion autrichienne, les Musulmans se trouvèrent à jouer un nouveau rôle social et, avec lenteur et réticence, adoptèrent le nationalisme comme moyen d'identification. Le ministre impérial des Finances austro-hongrois Béni (Benjamin) Kállay fut nommé administrateur de la Bosnie-Herzégovine en 1882 et promut l'idée d'une nation bosnienne unie composée de Serbes, de Croates, et de Musulmans. Cette idée fut férocement combattue par les Serbes et les Croates mais de manière uniquement sporadique par les Musulmans, ce qui nourrit plus encore l'animosité interethnique. Après le décès de Kállay en 1903, la politique officielle autrichienne évolua lentement vers l'acceptation d'une réalité tri-ethnique en Bosnie.

L'un des indices de l'émancipation littéraire des Musulmans est l'abandon de la littérature dite alhamiado qui, de nature religieuse et didactique, était écrite en langue serbo-croate mais transcrite en caractères arabes. En 1878 l'alphabet latin avait été imposé officiellement en Bosnie, mais la graphie arabe, arabica restait employée à des fins religieuses. Il fallut donc attendre le XXe siècle pour voir des œuvres littéraires modernes d'auteurs musulmans faire leur apparition mais de manière si éparse que parler d'une littérature cohérente et indépendante était impossible[5]. Pendant la période titiste deux littératures seulement écrites en serbo-croate, celles respectivement serbe et croate, furent acceptées comme des catégories complètes. Chacune jouissait d'une longue tradition et s'était développée dans des conditions culturelles et historiques différentes. Du fait de l'absence d'une tradition littéraire bosniaque continue, les écrivains d'origine musulmane se déclaraient appartenir à la littérature soit serbe soit croate, de manière explicite ou en participant à la vie littéraire serbe ou croate[6]. Les manuels de l'époque cataloguaient des auteurs originaires de Serbie ou de Croatie mais aussi d'autres natifs de Bosnie-Herzégovine écrivains serbes ou croates. Les livres de référence et manuels insistaient sur l'histoire yougoslave commune de la littérature et minimisaient l'esprit national[7]. Cette idéologie yougoslave a joué périodiquement un rôle important sinon décisif dans l'histoire culturelle des Balkans. Le mouvement illyrien croate des années 1830 et 1840 ainsi que l’œuvre littéraire et linguistique de l'érudit serbe Vuk Stefanović Karadžić (1787-1864) étaient yougoslaves dans leur optique fondamentale. Au XXe siècle deux éminents critiques littéraires et érudits, le Serbe Jovan Skerlić (1877-1914) et le Croate Antun Barac (1894-1955) avaient une orientation clairement yougoslave, et après la Première Guerre mondiale l'influent magazine littéraire Književni jug [Le Sud littéraire] mit l'accent sur les aspects littéraires communs serbo-croates. Après la Seconde Guerre mondiale l'idéologie yougoslave connut une nouvelle impulsion étant l'un des fondements de la Yougoslavie socialiste. Afin de promouvoir une littérature yougoslave commune, l'Encyclopédie des écrivains yougoslaves de 1971[8] présentait par exemple des écrivains de Yougoslavie sans souci aucun de leur nationalité. Il faudrait néanmoins souligner que les littératures serbe et croate continuaient d'exister en tant que catégories différentes. Au fil des années furent publiées des monographies d'auteurs serbes et croates ainsi que d'écrivains de Bosnie-Herzégovine, des manuels de littérature serbe et croate, mais aucune histoire de la littérature bosnienne[9].

3.

Après la désintégration de la Yougoslavie et la constitution de trois États indépendants sur le territoire linguistique serbo-croate, la littérature et la culture en général furent, à des degrés d'intensité différents, des points clés dans les efforts déployés par les bâtisseurs des nouvelles nations pour consolider et stabiliser l'intégrité de leur statut d'indépendance. Ce qui a conduit à une révision de l'histoire de la littérature écrite en serbo-croate.  

Considérer le domaine des différentes littératures nationales, donc décider de quelle littérature relève un écrivain, s'est dans certains cas traduit par des heurts et par de sévères batailles culturelles, les parties en conflit s'accusant mutuellement de svojatanje, d'appropriation, de litteris potiri. Devenu au fil des ans un moyen populaire et efficace d'autoaffirmation nationale, il consistait à revendiquer que certains auteurs considérés comme appartenant à une littérature devaient désormais être tenus, du moins partiellement, comme relevant d'une autre. C'est là une rupture avec des traditions bien ancrées qui a été ressentie comme une injustice, comme un acte proche du vol culturel, et qui fait l'objet de polémiques ardentes dans les médias mais aussi parmi les érudits et dans les institutions publiques[10].

Il ne faudrait naturellement pas confondre cette appropriation avec les contacts littéraires ou le fait que des auteurs écrivant (et s'exprimant) dans la même langue ont beaucoup voyagé et séjourné pendant des périodes plus ou moins longues hors de leur pays d'origine. Un fort sentiment yougoslave presque deux cent ans durant et la permanence d'un État commun pendant soixante-dix ans ont bâti l'histoire de la Serbie, de la Croatie, de la Bosnie, et ont créé un climat culturel où les frontières entre les littératures nationales sont restées jusqu'à un certain point imprécises. La littérature a établi ici une sorte de marché commun où les auteurs étaient présents dans d'autres parties du pays et influencées par d'autres milieux littéraires et artistiques que le leur. Comme l'écrivaine Dubravka Ugrešić l'a fait observer, un gouffre béant sépare, d'un côté une banale appropriation et un contact littéraire de l'autre. Mais tant l'une que l'autre ont fait l'objet de vives polémiques, la tendance étant de considérer qu'affirmer la présence simultanée d'un auteur dans deux, voire trois littératures est une tentative des "autres" pour revendiquer des auteurs qui, par tradition, n'appartenaient qu'à une seule. Nous ne procéderons pas ici à une énumération exhaustive des multiples cas d'appropriation réelle ou supposée mais nous nous limiterons à fournir quelques exemples qui illustrent le propos.

L'écrivain le plus renommé de la littérature yougoslave, Ivo Andrić (1892-1975), prix Nobel de littérature 1961, aura été la cible la plus prestigieuse de svojatanje. Né en Bosnie dans une famille catholique, il fit ses débuts et appartint aux cercles culturels de Zagreb pendant la Première Guerre mondiale. Les premières années de l'après-guerre le virent déménager à Belgrade où il rejoignit la littérature serbe dans les années 1920. En conséquence, il est tenu aujourd'hui pour un écrivain tant bosniaque (puisqu'il naquit en Bosnie et écrivit principalement sur la Bosnie), que croate (puisque issu d'une famille catholique et ayant percé comme écrivain en Croatie), que serbe (puisqu'il passa la majeure partie de sa vie à Belgrade, y écrivit ses œuvres majeures dans la variante serbe dite ékavienne de la langue serbo-croate, et se déclara explicitement écrivain serbe). Autre écrivain prestigieux, Meša Selimović (1910-1982) qui, quoique né en Bosnie, se déclara écrivain serbe. Afin d'obtenir leur part du gâteau, les Bosniaques ont négligé l'affiliation nationale qu'il avait personnellement exprimée pour se focaliser sur son lieu de naissance et son patronyme musulman. Le cas fut identique pour Hasan Kikić (1905-1942) qui, né musulman, il fut toujours considéré écrivain croate, ou encore Skender Kulenović (1910-1978), lui aussi d'origine musulmane mais écrivain serbe assumé.

L'appropriation littéraire étant une révision de l'histoire, il serait utile de voir de quelle manière et dans quelles circonstances fonctionne le révisionnisme. Quand des données se font jour suite à l'émergence de nouveaux matériaux jusqu'alors inconnus ou à l'accès à des archives jusque-là inaccessibles, les historiens se voient parfois dans l'obligation d'amender l'histoire. Même chose pour les historiens de la littérature. Néanmoins une question se pose : la nouvelle interprétation de l'étendue des littératures nationales se fonde-t-elle ou non sur de nouvelles connaissances ? Aucune preuve sérieuse n'indique que tel soit le cas. Aucun fait digne de foi touchant à la vie des auteurs ou à leur œuvre n'est venu consolider la connaissance que nous avions d'eux. Le révisionnisme se base apparemment sur d'autres présomptions. La situation politique et la construction de la nation dans chaque pays décident du degré d'appropriation. En d'autres termes : le passé est bâti par le présent.

4.

En Croatie un vaste ouvrage de référence littéraire, Leksikon hrvatskih pisaca [Lexique des écrivains croates] a été publié en 2000[11]. Dans la préface sont clairement exprimés les délicats dilemmes auxquels les éditeurs ont été confrontés pour décider quels auteurs appartiennent à la littérature croate. Leurs critères sont à n'en pas douter suffisamment explicites :

Le concept "auteur croate" s'emploie ici  pour désigner tous ceux qui ont écrit en langue croate, qui relevaient de la tradition littéraire croate et qui ont exercé leur activité dans le cadre du cercle culturel croate. Le concept s'applique de même pour ceux qui ont clairement déclaré leur affiliation à la littérature croate (c'est-à-dire quelques écrivains d'origine serbe ou bosniaque. [...]. Certains auteurs cités dans notre ouvrage n'appartiennent pas uniquement à la littérature croate et, pour quelques-uns, leur double, voire triple affiliation est sous-entendue et nullement remise en question.[12]

Ces lignes directrices paraîtraient fort acceptables dans une étude raisonnée du champ de la littérature croate mais le premier et très général critère manque fondamentalement de pertinence du fait de l'assertion qui fait du croate une langue différente de ses voisines serbe et bosnienne. Ce postulat est en concordance avec la politique officielle croate sur le plan de la langue. Nous ne pouvons donc espérer de la part d'auteurs serbes ou bosniaques qui ont écrit dans leur langue maternelle qu'ils puissent être une partie constitutive de la littérature croate même s'ils "relevaient de la tradition littéraire croate et [qu'ils] ont déployé leur activité dans le cadre du cercle culturel croate".

Dans sa jeunesse Ivo Andrić était présent dans le cercle culturel croate et publia ses premiers poèmes en 1914 dans la célèbre anthologie Hrvatska mlada lirika [La jeune poésie lyrique croate], mais il quitta la Croatie en 1920 pour s'établir à Belgrade. Il est par conséquent injuste de soutenir que ses œuvres majeures Le Pont sur la Drina, La Chronique de Travnik, Demoiselle et La Cour maudite relèvent de la littérature croate ou bosniaque, ces œuvres ayant été publiées vingt-cinq ans après qu'Andrić se fut déclaré écrivain serbe, lui-même écrivant depuis des années dans la variante serbe de la langue serbo-croate[13].

Autre exemple de l'illogisme dans l'application de ce critère, le cas du dramaturge Josip Kulundžić (né à Zemun en 1899) dont il est dit : "Comme  il quitta la Croatie à la fin des années vingt et continua [les italiques sont de l'auteur, P. J.] à écrire en langue serbe, K. ne prit une part directe dans la vie théâtrale et littéraire croate que pendant seulement dix ans. C'est pourtant à cette courte période qu'appartiennent ses meilleurs œuvres [...]". Ce qui, ici encore, invalide le premier critère du Leksikon qui affirme qu'écrire en langue croate est une condition nécessaire pour appartenir à la littérature de ce pays.

Le dernier critère du Leksikon ("certains auteurs cités n'appartiennent pas uniquement à la littérature croate : pour quelques-uns leur double, voire triple affiliation est sous-entendue sans être mise en doute") peut éventuellement s'appliquer sans être remise en question, mais dans le cas du célèbre auteur Vladan Desnica (1905-1967), Serbe d’origine, il n'est pas mentionné qu'il puisse, pas plus que Simo Matavulj (1852-1908), appartenir de plein droit tant à la littérature serbe qu'à la littérature croate.

5.

En Serbie les critères sont quelque peu brouillés du fait que, depuis 1971 et l'Encyclopédie des écrivains yougoslaves ci-dessus mentionnée, aucun ouvrage de référence n’a été publié. Divers manuels et anthologies de la littérature serbe nous donnent cependant des indications. Dans un précis de littérature serbe[14], Zlata Bojović revendique que la littérature de la renaissance à Dubrovnik relève en fait de la littérature serbe[15]. L'un des arguments avancés est que nombre de Serbes d'Herzégovine et de Serbie immigrèrent à Dubrovnik au XVIe siècle, et un autre que l'histoire de la Serbie fut un thème que certains écrivains de Dubrovnik traitèrent. Un autre exemple où l'origine se révèle le seul et unique critère pour décréter une affiliation est l'allégation selon laquelle le célèbre dramaturge de Dubrovnik Ivo Vojnović était d'origine serbe et, par conséquent, de plein droit un écrivain serbe de Croatie[16].

6.

Au Monténégro la situation s'est encore plus compliquée. Depuis la sécession d'avec la Serbie en 2006, l'élite politique monténégrine s'est beaucoup démenée pour dissocier le pays le plus possible. Bien que deux tiers de la population aient déclaré dans un sondage avoir le serbe pour langue maternelle, la "langue monténégrine" a été déclarée langue officielle du pays[17]. Les écrivains monténégrins, du poète Petar II Petrović Njegoš (1813-1851) jusqu'à ce jour, sont considérés écrivains serbes. Dans le cadre des efforts pour créer une littérature monténégrine, tout écrivain né au Monténégro ou y ayant vécu plus ou moins longtemps est considéré écrivain monténégrin. Dans une édition de Savremeni crnogorski roman [Le Roman monténégrin contemporain] Danilo Kiš, Borislav Pekić, Miodrag Bulatović, et Branimir Šćepanović ont été rangés parmi les écrivains monténégrins alors qu'ils s'étaient déclarés écrivains serbes. Šćepanović a assigné les éditeurs en justice pour cette inconséquence. Pekić, Bulatović et Kiš  ce dernier n'était même pas né au Monténégro sont aujourd'hui décédés mais les détenteurs de leurs droits d'auteur se sont apparemment montrés à même de décider du jour au lendemain qu'ils devaient devenir écrivains monténégrins.

7.

La Bosnie Pomme de discorde. Deux visions opposées de la nation, française et allemande, ont au cours de l'histoire joué un rôle déterminant dans les Balkans. La conception française voit dans l’État la base de la nation là où celle, allemande, met l'accent sur la communauté linguistique et culturelle. À travers les âges les trois puissances dominantes en Europe orientale, l'Autriche, la Russie tsariste (et l'Union soviétique qui lui succéda) et la Turquie ottomane étaient toutes trois multiethniques et la loyauté à l’État l'emportait sur l'affirmation nationale. Le mouvement romantique allemand réveilla les sentiments nationaux séparatistes en Europe orientale dès la première moitié du XIXe siècle et pendant les années qui suivirent. Les Hongrois, les Croates et autres peuples se révoltèrent contre ce qu'ils percevaient comme une oppression nationale exercée par les Autrichiens. Après la Première Guerre mondiale les principes d'autodétermination nationale du président Woodrow Wilson furent supposés permettre le tracé d'une nouvelle carte de l'Europe ; néanmoins, et dans la majorité des cas, ces principes furent négligés et appliqués avec parcimonie dans le continent marqué par les stigmates de la guerre[18]. La création du Royaume des Serbes, Croates, et Slovènes, renommé Yougoslavie en 1929, illustre le manque d'intérêt des vainqueurs pour mettre en place le plan Wilson. Après la Seconde Guerre mondiale et l'émergence de la Yougoslavie socialiste, la question nationale fut résolue ou prétendue telle en calquant le point de vue stalinien qui soulignait la communauté territoriale, économique, politique, et la République fédérale socialiste de Yougoslavie (RFSY) puis la République fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY) virent le jour. Ainsi, quand le renouveau du sentiment national balaya l'Europe orientale au cours des années 1990 et qu'au terme d'un long déclin s'acheva l'effondrement tumultueux des États multinationaux, en Europe du moins, les deux manières d'envisager la question nationale se heurtèrent férocement en ex-Yougoslavie où les forces centrifuges et centripètes s'affrontèrent et, probablement, avec le plus de virulence en Bosnie-Herzégovine. Pour les créateurs d'une nation bosnienne la tâche incontournable s'avéra la création d'une littérature nationale bosnienne.  

Avec la montée d'un sentiment religieux et nationaliste pendant les dernières décennies du XXe siècle, les intellectuels musulmans rejetèrent la vision traditionnelle de la littérature qui n'avait pas jusqu'alors prêté une attention suffisante à la littérature musulmane. En 1972, un an après la reconnaissance des Musulmans en tant que nation, fut publiée la première anthologie de littérature musulmane[19]. Les trois groupes nationaux, serbe, bosniaque, et croate, s'opposaient férocement les uns aux autres[20]. La solution adoptée par la Communauté internationale, la création d'un État bosnien indépendant, composé de deux entités, la Fédération croato-musulmane et la République serbe, n'a pas apaisé les conflits d'intérêts nationaux et religieux. On a dit que la Bosnie-Herzégovine était de fait une petite Yougoslavie, ce qui jusqu'à un certain point est exact. C'est un État fédéral qui comprend deux entités, trois religions principales et trois nations constituantes, le facteur unificateur n'étant plus Tito mais ladite communauté mondiale. Tant les Serbes que les Croates de Bosnie-Herzégovine avaient une tradition littéraire et appartenaient respectivement aux littératures serbe ou croate. L'absence d'une littérature nationale bosnienne est assurément fortement ressentie chez les créateurs de la nation bosniaque. Aux fins de surmonter ce besoin d'une tradition qui se perpétue, on a créé une nouvelle catégorie, une littérature bosnienne [bosanska] constituée de littératures bosniaque [bošnjačka], serbe, et croate. Cette invention a fait naître un point de ressemblance supplémentaire avec l'ex-Yougoslavie et les efforts antérieurs visant à créer une littérature yougoslave. Le critère d'appartenance à la littérature bosnienne [bosanska] est évidemment le lieu de naissance, et non la nationalité.

Conséquence de l'établissement des deux entités, la République serbe, à l'évidence et comme son nom l'indique, est à tout point de vue serbe. Les relations avec la Serbie proprement dite sont étroites et la culture serbe dominante. Dans la Fédération croato-musulmane la lutte que se livrent les deux nationalités se perçoit aussi fortement en littérature. La branche bosnienne de la vieille fondation culturelle Matica hrvatska, avec le soutien du ministre croate de la Culture, a initié un vaste projet en 2001 : Hrvatska književnost Bosne i Hercegovine u 100 knjiga [La littérature croate de Bosnie-et-Herzégovine en 100 livres]. À ce jour 21 volumes ont été publiés, les quatre derniers étant "une sélection des œuvres du prix Nobel bosno-herzégovinien Ivo Andrić, La Cour maudite, Le Pont sur la Drina, La Chronique de Travnik et un recueil de ses nouvelles". Si l'idée de la double ou de la triple affiliation d'un écrivain ou d'une écrivaine doit faire sens ou avoir une certaine résonance, il faut qu'elle s'applique à leur œuvre. Nous pouvons admettre que la toute première partie de l’œuvre d'Andrić appartient à la littérature croate, mais que son œuvre dans son entièreté soit étiquetée croate, bosnienne ou bosno-herzégovienne dépasse la mesure. Outre qu'il s'agit là d'un exemple flagrant de svojatanje, on s'interroge sur la possibilité d'établir une liste de cent ouvrages écrits par des écrivains croates de Bosnie-Herzégovine. Mais comme expliqué dans l’avant-propos du projet : "Cette édition rassemble des écrivains natifs de Bosnie et d'Herzégovine ainsi que d'autres qui, nés hors du pays, y ont vécu et créé [...] et ceux qui ont publié leurs œuvres sous forme de livres, mais aussi ceux qui n'y sont pas parvenus de leur vivant [...][21]. Le principe brouiller les lignes semble être la ligne directrice aux fins de constituer un tout contextuel. De leur côté les Bosniaques ont publié des éditions analogues, Muslimanska književnost XX vijeka [La littérature musulmane du XXe siècle, Sarajevo, 1991] ou Bošnjačka  književnost u 100 knjiga [La littérature bosniaque en 100 livres, Sarajevo, 1999].

Les études de littérature aux universités des deux entités, Fédération croato-musulmane et de République serbe renseignent le mieux sur le différend que suscite cette importante question culturelle et nationale. Plutôt que la conception traditionnelle de la littérature en Bosnie-Herzégovine, le programme d'études de la littérature à l'université de Sarajevo illustre au mieux le nouveau concept "fédéraliste" de la littérature bosnienne [bosanska]. Les frontières entre les trois littératures restent maintenues. Les écrivains bosniens apparaissent dans leurs trois littératures nationales. La double "nationalité littéraire" semble en principe admise. Un changement radical est cependant intervenu en 2006 avec la mise en ligne par la Bibliothèque nationale et universitaire de Sarajevo d'un nouveau catalogue dans lequel tous les écrivains nés en Bosnie-Herzégovine étaient et sont des écrivains bosniens [bosanski], ce, quelle que soit leur affiliation nationale. En conséquence tous les écrivains bosniens écrivaient et écrivent aujourd'hui encore en langue bosnienne. Ce changement a engendré à de nouvelles polémiques.

En République serbe la littérature bosnienne en tant que telle n'a aucune existence. À côté de la littérature serbe, sujet d'études séparé et indépendant, les autres littératures sud-slaves relèvent d'un sujet spécifique appelé "Études comparatives des littératures sud-slaves" qui comprennent celles musulmane, croate, slovène, macédonienne et bulgare. Et donc pas exclusivement celles écrites en serbo-croate mais aussi en langues slovène, macédonienne, et bulgare.

8.

Du fait de la tradition et de la conscience profondément ancrée des lignes de fracture nationale et religieuse, le concept d'une littérature yougoslave n’a pu s’imposer malgré les pressions politiques. Le dictat d'Adolf Muschg[22] pouvait facilement s'appliquer aux conditions yougoslaves[23]. En Bosnie où la conscience religieuse et nationale est plus forte qu’en ex-Yougoslavie et où les frontières entre les littératures nationales persistent quoique sous des désignations différentes, la perspective d'une littérature bosnienne unie n'est pas prometteuse. La tentative effectuée par la Bibliothèque nationale et universitaire de Sarajevo pour imposer la catégorie "Littérature bosnienne" fut accueillie par de vives protestations de la part des Serbes et des Croates, et le nouveau système fut abandonné.

Dans les polémiques toujours en cours la langue est le problème clé parce que le serbo-croate, à l'image de l'anglais, de l'allemand, et de nombreuses autres langues, est une langue polycentrique[24]. Décréter qu'un auteur donné était anglais ou irlandais, allemand ou autrichien, ne pose aucun problème. Même s'ils écrivaient en danois, personne ne considéreraient les écrivains islandais Jóhann Sigurjónsson (1880-1919), Gudmundur Kamban (1888-1945) ou Gunnar Gunnarsson (1889-1975) comme appartenant à la littérature danoise. De manière identique nous, au Danemark, nous ne considérons pas Henrik Ibsen comme dramaturge de "chez nous" pour l'unique raison qu'il a écrit La Maison de poupée en danois.

Autre argument sujet à caution, à tout le moins dans les Balkans, celui de l'affiliation nationale ou de l'origine. Dans une région aussi ethniquement mélangée, mettre l'accent sur la nationalité est parfois vain. Du fait de la turbulente histoire et aussi des périodes de coexistence plus paisibles des Balkans, il est dans certains cas malaisé de décider si un auteur devrait appartenir à telle littérature ou à telle autre. Dans un essai l'intellectuel croate Predrag Matvejević établit une longue liste d'écrivains et d'artistes croates et serbes de premier plan qui étaient d'origines très "mélangées", et conclut en observant qu'il pourrait citer bien d'autres exemples mais sans certitude aucune que cela puisse aider ceux qui voient la culture en termes de "catégories ethniquement claires"[25]. Le célèbre écrivain serbe Milorad Pavić, nous dit Matvejević, était né d'un père serbe et d'une mère croate. Pavić a choisi (ses raisons pour expliquer ce choix sont sans importance) d'être un écrivain serbe, mais il aurait tout aussi bien pu choisir de se dire écrivain croate.

Nous ne considérons pas que le choix d'un thème par un écrivain soit déterminant quant à son affiliation littéraire. Karen Blixen, par exemple, a beaucoup écrit sur l'Afrique mais ne peut être dite écrivaine africaine. Pas plus que Ivo Andrić ou Meša Selimović qui, tous deux, avaient la Bosnie pour sujet, ou les écrivains de la Renaissance à Dubrovnik qui chroniquaient l'histoire serbe, peuvent être décrétés respectivement écrivains bosniens ou serbes.

Aucun des critères mentionnés ci-dessus n’est valable per se. La majeure partie des écrivains serbes ou croates peuvent naturellement et indubitablement, sans polémique aucune, être rangés dans leur paysage littéraire respectif. La chose peut s’avérer difficile s'agissant d'auteurs à l'arrière-plan plus mélangé. C'est donc le choix personnel qui doit primer. Interrogés, les auteurs vivants disent en règle générale appartenir à telle ou telle littérature ou, en réalité, que peu leur importe. Le svojatanje est donc au sens propre une chasse aux âmes mortes.

Il ne fait aucun doute que sur le vaste champ linguistique serbo-croate, la politique a outrepassé les principes de base en traitant des littératures nationales, principes que l'on connaît des autres langues polycentriques tels que l'anglais ou l'allemand. En conséquence, il peut s'avérer utile d'attirer l'attention sur des procédures logiques bien établies quant à la désignation de l'affiliation nationale des écrivains. Fondamentalement, c'est aux historiens indépendants de la littérature, et non aux hommes politiques ou aux bibliothécaires, de décider qui appartient à une ou, possiblement, à plusieurs littératures nationales. À l'évidence aucun critère ne pourra seul s'appliquer pour décider de l'affiliation d'un écrivain. Dans la réalité culturelle serbo-croate, la tradition devrait jouer un rôle plus important que la langue, et la décision personnelle un rôle plus déterminant que celui du lieu de naissance.

Si on s'en tient à la logique, toute confusion ultérieure peut être évitée.

POSTULAT N° 1 :

Prémisse : Tous les auteurs qui écrivent en anglais appartiennent à la littérature anglaise.

Prémisse : Karen Brixen écrit en anglais.

Conclusion : Karen Brixen est une écrivaine anglaise.

Argument non valide. Outre Karen Brixen (écrivaine danoise), des écrivains américains, australiens, irlandais, indiens ou pakistanais écrivent en anglais.

POSTULAT N° 2 :

Prémisse : Tous les écrivains nés dans un pays appartiennent à la littérature de ce  pays.

Prémisse : Eugène Ionesco était né en Roumanie.

Conclusion : Eugène Ionesco est un écrivain roumain.

Postulat également invalide parce que certains écrivains nés dans un pays  n'appartiennent pas à la littérature de ce pays. Ionesco est considéré écrivain français.

POSTULAT N° 3 :

Prémisse : Tous les écrivains nés au Canada et écrivant en anglais appartiennent à la littérature canadienne.

Prémisse : Saul Bellow est né au Canada.

Conclusion : Saul Bellow est un écrivain canadien.

Le postulat N° 3 est un autre exemple d'axiome invalide parce que Saul Bellow appartient, non à la littérature canadienne, mais, selon sa propre décision, à la littérature américaine

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NOTES

[1] Dans plusieurs cas ces efforts ont pris des proportions grotesques, par exemple la promulgation de lois sur la langue croate qui pénalisent l'usage de mots "non croates" dans le discours officiel. Les linguistes et ceux qui maintiennent la communauté linguistique avec les Serbes sont l'objet de virulentes attaques. La médiocrité du vocabulaire facteur discriminant entre les variantes du serbo-croate apparaît clairement dans le fait que les mots d'origine croate sont adoptés dans l'usage serbe. Là où les puristes croates bannissent les mots non croates, allant même jusqu'à en inventer de nouveaux, les Serbes ont adopté et continuent d'adopter un très grand nombre de termes croates. Des mots tels que prozor (la vitre), brojka (le nombre / le chiffre), ishod (l'issue), tečaj (le cours), najaviti (annoncer), navodno (soi-disant / prétendument), suglasnik (la consonne), ont totalement perdu leur connotation typiquement croate et s'utilisent de manière courante en Serbie. Des mots tels que sedmica (la semaine), konobar (le garçon de café), razina (le niveau), polaznik (le participant), nakon (après), poput (comme /tel) sont toujours "marqués" croates mais d'usage néanmoins courants en Serbie.

[2] Afin d'éviter la désignation religieuse au sens strict qui en ex-Yougoslavie s'utilisait pour désigner la "nation musulmane", le régime actuel a fait sien le terme Bosniaques [Bošnjaci]. Selon les données recueillies en 2000 dans le CIA World Fact Book, les groupes ethniques les plus nombreux sont les Bosniaques (48 %), les Serbes (37,1 %), et les Croates (14,3%). Le terme Bosnien [bosanski] s'applique à la désignation de la langue au quotidien, comme le serbe et le croate dans leurs pays respectifs. Ce qui ne contrarie pas l'unité de la langue serbo-croate.

[3] Concernant "la guerre" menée sur le sujet d'une langue monténégrine indépendante, voir Jezička situacija u Crnoj Gori norma i standardizacija [Situation linguistique au Monténégro norme et standardisation], B. Ostojić (dir.), Podgorica, 2008.

[4] M. S. Lalević, Sinonimi i srodne reči srpskohrvatskog jezika [Synonymes et mots apparentés de la langue / serbo-croate], Beograd 2004.

[5] Comme dans nombre d'autres pays, le point de départ de l'élaboration d'une littérature moderne fut la littérature populaire. Ainsi Kosta Hörmann publia un recueil de chants folkloriques  musulmans Narodne pjesme Muhamedanovaca u Bosni i Hercegovini I-II [Chants populaires mahométans en Bosnie-Herzégovine], Sarajevo, 1888-1889, et Mehmed-beg Kapetanović Ljubušak Narodno blago [Trésor populaire], Sarajevo, 1888.

[6] Ainsi Meša Selimović (1910-1982) qui, en dépit de son patronyme expressément musulman, se déclara écrivain serbe alors que Hasan Kikić (1905-1942) était considéré comme un écrivain croate de premier plan.

[7] Cf A. Barac, Jugoslovenska književnost [La littérature yougoslave], Zagreb, 1959, et D. A. Stefanović, V. Stanisavljević, Pregled jugoslovenske književnosti, I-IV [Aperçu de littérature yougoslave], Beograd, 1975, un manuel de littérature yougoslave utilisé dans les écoles secondaires de toute la Yougoslavie. (À noter dans les deux cas le singulier "Littérature yougoslave").

[8] Ž. Milisavac (ed.), Jugoslovenski književni leksikon, Novi Sad, 1971.

[9] Une étude fouillée réalisée par Muhsin Rizvić fut publiée sous le titre Knjiženi život Bosne i Hercegovine između dva rata I-III [La vie littéraire en Bosnie-Herzégovine entre les deux guerres I-III], Sarajevo, 1980, mais c'était là une image des courants culturels pendant une certaine période et non une histoire complète de la littérature bosnienne. Ce qui vaut également pour Knjževnost Mlade Bosne I-II [La littérature du mouvement Jeune Bosnie I-II] de Predrag Palavestra, Sarajevo, 1965.

[10] Ces polémiques apportent dans mon esprit la preuve de l'unicité de la langue serbo-croate. Des désaccords similaires n'existent pas, par exemple, entre la littérature slovène d'une part, et les littératures serbe et croate d'autre part.

[11] D. Fališevac, K. Nemec, D. Novaković (ed.), Leksikon hrvatskih pisaca, Zagreb 2000 ; cf. M. Solar, Književni leksikon. Pisci, djela, pojmovi [Dictionnaire littéraire. Ecrivains, œuvres, notions], Zagreb, 2007.

[12] Fališevac et al., op. cit., : p. VI-VII. (texte original) : "Pojam 'hrvatski pisac' odnosi se ovdje na sve one koji su pisali hrvatskim pismom, koji su dio hrvatske književne tradicije i koji su djelovali unutar hrvatskoga kulturnog kruga. Pojam se, isto tako, odnosi i na one koji su iskazivali svoju jasnu pripadnost hrvatske književnosti (npr. neki pisci srpskoga ili bošnjačkoga podrijetla) [...]. Neki uvršteni pisci nisi pripadnici samo hrvatske književenosti kod nekih se dvojna ili čak trojna pripadnost podrazumijeva i ne dovodi u pitanje."

[13] Pour tracer un parallèle, personne ne considérerait que les œuvres de l'écrivain Aksel Sandemose (1899-1965)  qui, né au Danemark, quitta ce pays en 1930 pour s'établir en Norvège, appartiennent à la littérature danoise.

[14] R. Marinković, N. Milošević-Đorđević, Z. Bojović, D. Ivanić, N. Petković, Kratak pregled srpske književnosti [Bref aperçu de la littérature serbe], Beograd, 2000.

[15] Ibid, p. 53-73.

[16] D. Ivanić (ed.), Pripovijetka srpskih pisaca iz Hrvatske [Nouvelles écrites par des auteurs serbes de Croatie], Zagreb, 2005.

[17] Cf. note 3.

[18] À l'issue d'un référendum organisé en 1920 le Danemark se vit restituer le nord du Schleswig septentrional que la Prusse avait conquis en 1864,

[19] A. Isaković (ed.), Biserje: izbor iz muslimanske književnosti [Des joyaux : textes choisis tirés de la littérature musulmane], Zagreb 1972.

[20] Cette opposition apparemment persistante est l'un des thèmes majeurs des ouvrages qu’Ivo Andrić a consacrés à la Bosnie.

[21] "Bosna franciscana" (texte original) : "U ediciju su uvršteni hrvatski književnici rodom iz Bosne i Hercegovine, kao i oni koji su rođeni izvan nje a u njoj su živjeli i stvarali (...) i to ne samo oni koji su svoja djela tiskali u knjigama već i oni koji to za života nisu uspjeli učiniti. (...)".

[22] À une question qu'on lui posait sur l'existence d'une littérature nationale suisse, Adolf Muschg répondit (F. Bondy, I. Frenzel, J. Kaiser, L. Kopelew, H. Spiel, Harenberg, Lexikon der Weltliteratur, V, Dortmund 1995, p. 2618) : "Es gibt keine Schweizer Literatur [...] es gibt Autoren aus der Schweiz." (Il n'y a pas de littérature suisse [...] il y a des écrivains de Suisse.)

[23] P. Jacobsen, "Dansko-norveške književne veze iz perspektive državne i jezičke zajednice" [Liens littéraires entre le Danemark et la Norvège vus de la perspective de la communauté d'Etat et de langue / communauté étatique et linguistique], in: Odnosi, susreti i komunikacije, južnoslavenskih književnosti u prvoj polovini 20. stoljeća [Rapport, rencontres et communications des littératures sud-slaves dans la première moitié du XXe siècle], Zbornik radova sa znanstvenog skupa, Zagreb 1983, p. 42-45.

[24] S. Kordić, "I dalje jedan jezik"  [Encore et toujours une seule langue], Sarajevske sveske, 2005, 10, p. 83-89; et S. Kordić,  Forum, Studi Slavistici, III, 2006, p. 323-331.

[25] P. Matvejević, "Prilozi za raspravu o pripadnosti i porijeklu" [Contributions à la discussion sur l'appartenance et l'origine], Zarez, 155, 19/05/2005.


Traduit de l'anglais par Alain Cappon

 

Abstract

Per Jacobsen

Who’s Whose? The Balkan Literary Context

After the dissolution of Yugoslavia and the independence of some states, a new historical and literary practice has been introduced. According to this practice, the traditional point of view about national literatures has been changed. Croats, Serbs, Montenegrins and Bosnians introduced new criteria of literary belonging, everyone with its weak points, since these criteria result not effective when an author belongs to two or more literatures (Ivo Andrić). This particular kind of literary revision, typical of the Balkans, is called svojatanie.

In this paper we present all these criteria, focusing our attention on the case of Bosnia and Herzegovina: Bosnia’s builders heavily perceived the lack of a national Bosnian literature, and now they are asking for Croatian and Serbian writers, born in Bosnia-Herzegovina, to be considered as belonging to Bosnian-Herzegovinian literature.

In the last pages of the paper the literary situation of Yugoslavia is compared with that of other countries, where literary belonging is not a problem and personal writers’ choices are respected.


Per Jacobsen, "Who’s Whose? The Balkan Literary Context", in Studi Slavistici V (2008), p. 267-279.


Date de publication : juin 2021


Date de publication : juillet 2014

 

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