Selimović, Meša (1910-1982)

 

 

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Le Derviche et la mort
La Forteresse

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  L’Île

 

 

 

 

 

 

Comme Ivo Andrić, Meša Selimović est né en Bosnie et comme son illustre contemporain s’est déclaré appartenir à la littérature serbe à laquelle tous deux ont offert des œuvres de valeur pérenne inspirées par l’histoire de la Bosnie ou situées dans son cadre historique. Ce parallèle ne veut naturellement pas dire que le second a copié son aîné ou subi son influence. Depuis ses premiers pas Selimović a suivi le chemin qui était le sien, opéré ses propres choix, construit un authentique univers romanesque, ce pour quoi il est aujourd’hui rangé parmi les auteurs éminents de la seconde moitié du XXe siècle tant en Serbie que dans les Balkans.

Meša Selimović est né à Tuzla où, après des études de littérature à Belgrade, il revient comme enseignant dans un lycée. Il passe la Seconde Guerre mondiale avec les partisans et après la libération travaille d’abord quelques années à Belgrade avant de se fixer à Sarajevo. Il exercera différentes fonctions dans la capitale de la Bosnie-Herzégovine, professeur d’université, directeur artistique de Bosna Film, directeur de la maison d’éditions Svjetlost… En dépit des postes d’importance qui lui sont confiés, Selimović se sent mal à l’aise à Sarajevo où il se heurte à l’incompréhension et se voit même contester. Autant de raisons qui l’amèneront à s’installer en 1973 à Belgrade où il passera le reste de sa vie.

Du réalisme socialiste aux chefs-d’œuvre

Meša Selimović est entré assez tardivement en littérature et son cheminement fut long, alternant recherches, incertitudes, fréquentes interruptions, hauts et bas… et resta enfermé dans le champ des thèmes obsédants liés à la Seconde Guerre mondiale. Son premier ouvrage, le recueil de nouvelles La Première Compagnie [Прва чета, 1951], écrit sous l’influence du réalisme socialiste, n’était guère prometteur et les suivants, publiés quelque dix ans plus tard, furent accueillis avec une certaine réserve par la critique. Ses romans Les Silences [Тишине, 1961] et Brume et clair de lune [Магла и месечина, 1965] dont la guerre constitue aussi le cadre thématique laissaient toutefois clairement entrevoir, en dépit de certaines faiblesses, que Selimović était sur la bonne voie. Par certaines qualités telles la maîtrise des techniques modernes de narration, la subtilité de l’analyse psychologique, la complexité de l’homme être mystérieux et tissu de contradictions, ces livres annonçaient l’avènement d’un futur grand écrivain dont le talent devait rayonner de tout son éclat dans les deux romans qui marqueront son apogée littéraire : Le Derviche et la mort [Дервиш и смрт, 1966] et La Forteresse [Тврђава, 1970] dont l’action, loin du cadre temporel des œuvres précédentes, se situe dans la Bosnie de l’époque ottomane, respectivement aux XVIIIe et XVIIe siècles.

Le premier, annonciateur d’un tournant dans la poétique mais aussi dans la carrière littéraire de Meša Selimović, est à juste raison considéré comme un chef-d’œuvre. Combinant les éléments du roman philosophique, psychologique et de confession, Le Derviche et la mort dépeint de manière magistrale l’histoire dramatique d’Ahmed Nurudin, un cheik de l’ordre Mevlevi. Quoique ce roman soit en partie inspiré par des événements réels survenus dans la vie de l’écrivain, c’est une œuvre de signification universelle, une interrogation sur les questions substantielles des rapports entre la foi et le devoir, les convictions morales personnelles et la loi, le dogme et la liberté, la spiritualité et le pouvoir, le pouvoir et l’amitié… La Forteresse possède également cette dimension universelle et, selon Miroslav Egerić, « dans une certaine mesure corrige la pensée du Derviche et la mort où l’homme est un perpétuel perdant ». Le titre est bien entendu symbolique et le concept de forteresse est associé au renfermement de l’individu sur lui-même, aux barrières et aux murs qui se dressent entre les hommes et contre lesquels se bat justement le protagoniste Ahmed Šabo, un rescapé de la guerre. Il se bat – malgré tous les pièges que tend un monde où règnent la violence, les dogmes et les préjugés – et parvient à préserver sa pureté morale, ce qui le différencie grandement d’Ahmed Nurudin. D’après l’auteur lui-même, ces deux héros « incarnent en réalité deux principes [contraires], les deux possibilités qui s’offrent à l’homme dans son existence : la haine et l’amour ».

Les deux derniers romans de Selimović sont consacrés à des thèmes tirés de la vie contemporaine. De structure fragmentaire et dont le fil narratif est un couple âgé, L’Île [Острво, 1974] reflète les « questionnements de l’auteur sur le sens de la vie, sur la mort, sur le refus ou l’acceptation de l’injustice, sur la vieillesse qualifiée de… ‘spectacle déplaisant’ » (Alain Cappon). Meša Selimović a beaucoup travaillé sur son dernier roman mais, malade, n’a pu le terminer : Le Cercle [Круг] a fait l’objet d’une publication posthume en 1983. À travers le personnage principal, un intellectuel qui en vient à douter des idéaux auxquels il a cru jusqu’alors, un regard critique est porté sur la société de la Yougoslavie socialiste des années 1960 et 1970.

Des autres ouvrages de Selimović nous citerons Pour et contre Vuk [За и против Вука, 1967], un essai dans lequel il débat de la réforme linguistique fait par Vuk Karadžić, ainsi que le livre autobiographique Souvenirs [Сјећања, 1976] qui permet une meilleure compréhension des moments clés dans sa formation intellectuelle et spirituelle.

Origine et choix

Peu après le grand succès que connut Le Derviche et la mort Selimović accéda au statut d’écrivain yougoslave parmi les plus en vue et se posa alors la question de son appartenance sur les plans littéraire et national. En 1972 Selimović « entra » officiellement dans le corpus de la littérature serbe : avec son accord explicite, il fut inclus dans le livre de Predrag Palavestra La Littérature serbe de l’après-guerre 1945-1970 [Послератна српска књижевност 1945-1970] et dans la célèbre édition La Littérature serbe en 100 livres [Српска књижевност у 100 књига]. Dans la Yougoslavie communiste, où les tensions nationales étaient déjà perceptibles, considérer comme serbe un écrivain originaire de Bosnie suscita la suspicion, et le livre de Palavestra fut aussitôt la cible d’attaques politiques. D’emblée Selimović réagit et expliqua que sa présence dans cet ouvrage relevait d’un « choix personnel ». Instruit par cette affaire et résolu à prévenir toute future tentative de manipulation de son identité tant littéraire que nationale, en 1976 il déposa dans les archives de l’Académie serbe des sciences et des arts son testament où il se définissait sans ambiguïté comme écrivain serbe : « Je suis issu d’une famille musulmane de Bosnie, mais par mon appartenance nationale je suis Serbe. J’appartiens à la littérature serbe et je tiens la création littéraire en Bosnie-Herzégovine, à laquelle j’appartiens également, pour un centre littéraire régional et non pour une littérature particulière de langue serbo-croate. »

Les historiens de la littérature soulignent qu’une analyse approfondie des ouvrages de Selimović ainsi que ses prises de position sur la langue serbe montrent aisément qu’il « ressortait de la tradition littéraire serbe et que sa place était dans sa continuité » (Staniša Tutnjević). Cette conclusion est également étayée par certains éléments de la biographie de Selimović : ses années de formation intellectuelle lors de ses études à Belgrade l’ont attaché de bonne heure à l’espace culturel serbe, et son sentiment d’appartenance à cet espace a été renforcé plus tard par le soutien que lui apportèrent les cercles intellectuels serbes et sa totale affirmation littéraire à Belgrade. Mais peut-être qu’a influé de manière décisive sur le choix de son identité nationale la découverte de l’origine serbe de ses ancêtres, ce dont il témoigne dans Souvenirs.

Autre détail important s’agissant de cette question : s’il faut respecter le choix exprimé par Selimović dans son testament, il ne faut d’aucune façon l’interpréter comme un refus opposé au droit des musulmans bosniaques de le considérer comme l’un des leurs. Par son choix l’auteur n’a pas rompu tout lien avec son pays natal et avec la communauté musulmane dont il est originaire. Bien au contraire et Selimović s’est exprimé très clairement à ce sujet : « J’éprouve un égal respect pour mon origine et pour mon choix » a-t-il écrit dans son testament avant de faire cette mise en garde : « Toute tentative pour les dissocier, à quelque fin que ce soit », serait un abus, « un mauvais usage de mes droits ».

Meša Selimović, comme Ivo Andrić, était membre de l’Académie serbe des sciences et des arts (mais aussi de l’Académie des sciences et des arts de Bosnie-Herzégovine) ; et comme son célèbre aîné il a été inhumé à Belgrade dans l’Allée des citoyens méritants. 

Milivoj Srebro

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