SERBICA
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СЕРБИКА |
Revue électronique |
ISSN 2268-3445 |
N° 29 / octobre 2022 |
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Sous la loupe
UN MAITRE DU RIRЕ
BRANISLAV NUŠIĆ
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I. Sous la loupe
UN MAITRE DU RIRE : BRANISLAV NUŠIĆ
1.
PORTRAIT
Créateur du monde comique le plus étendu, le plus divers, le plus pittoresque de la littérature serbe par Jovan Deretić
L’art de la comédie de Branislav Nušić par Predrag Palavestra
2.
LE DÉPUTÉ
Une comédie satirique hors du commun par Vaso Milinčević
Extraits de la pièce traduits par Alain Cappon
3.
UN INDIVIDU SUSPECT
Humour et satire dans Un individu suspect par Vaso Milinčević
Extraits de la pièce traduits par Alain Cappon
4.
LE DEFUNT
Un monde où l’argent est le seul spiritus movens par Milan Đorđević
Texte intégral de la pièce traduit par Milan Đorđević
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II. L'ATELIER DE TRADUCTION Textes traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue, Alain Cappon
1.
DEUX GRANDES HAGIOGRAPHIES DU MOYEN AGE Extraits traduits par V. A. Cejovic et A. Renoue
Sava Nemanjic : La Vie de Siméon-Nemanja Teodosije de Chilandar : La Vie de Saint Sava
2.
DEUX GRANDS ROMANS DU XIXe SIECLE Extraits traduits par A. Cappon et par V. A. Cejovic et A. Renoue
Jakov Ignjatovic : L'éternel fiancé Simo Matavulj : Bakonja, en religion frère Brne
3.
DEUX GRANDS POÈTES DU XXe SIECLE Poèmes traduits par V. A. Cejovic et A. Renoue
Desanka Maksimović : Trois poèmes Miodrag Pavlović : Quatre poèmes **********************************************************************************
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I. UN MAITRE DU RIRE : BRANISLAV NUŠIĆ
Textes traduits par Alain Cappon, Milan Đorđević
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1. Portrait
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Créateur du monde comique le plus étendu, le plus divers, le plus pittoresque de la littérature serbe par Jovan Deretić
Branislav Nušić est le plus grand auteur dramatique du réalisme serbe et ses longues années de carrière littéraire qui couvrent plusieurs époques successives le rendent difficilement classable. Par ses inclinations littéraires les plus profondes, et surtout par son œuvre dans le domaine de la comédie, il est en premier lieu un écrivain des deux époques du réalisme – classique des années 1880, lorsqu’il s’est mis à l’écriture, et nouveau, celui socialement engagé des années 1930 qui le virent écrire la majorité des œuvres qui ont fait de lui un grand auteur. […]
Dans son travail sur la comédie Branislav Nušić se rattache aux auteurs du genre qui l’ont précédé, Sterija et Kosta Triković. Les liens qui l’unissent à eux sont multiples et se reflètent non seulement dans les thèmes qu’il leur empruntait pour ses comédies mais aussi à un niveau plus en profondeur qui révèle la continuité de développement de la comédie serbe. Dans ses meilleures œuvres Nušić aura uni la signification de la thématique de la comédie de Sterija à la virtuosité de la technique scénique de Trifković et, même s’il n’atteint pas le cœur des meilleures pièces de Sterija, il crée le monde comique le plus étendu, le plus divers, le plus pittoresque de la littérature serbe. […] [Texte intégral]
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L’art de la comédie de Branislav Nušić par Predrag Palavestra
Auteur de comédies doté d’un talent comme il en naît peu, Nušić était le meilleur dans la variation de l’humour et du rire explosifs ; il se montrait tantôt terre à terre, médiocre et lascif, tantôt amer, lourd et équivoque. Son rire n’a pas un sens et un contenu susceptibles de s’épuiser et de s’éteindre, il est authentique comme l’eau et l’air, sans cesse en renouvellement, étincelant, flamboyant, bouillonnant, écumant. Nušić incarne l’état d’esprit du peuple serbe au début du XXe siècle, l’essence de sa gaîté vitale et de sa persistance. Il est la meilleure expression de la culture du comique serbe moderne qui, par ses loufoqueries et circonvolutions, surmonte de manière critique les infortunes de l’Histoire et élève l’esprit humain jusqu’à la sérénité céleste. Écrivain et publiciste à l’énergie infinie, Nušić est dans le même temps un grand auteur réaliste, un chroniqueur de la société et un critique de la pauvreté d’esprit de la petite-bourgeoisie serbe. […]
À en juger par tout ce qu’il a écrit Nušić était un véritable écrivain de Belgrade, nullement un chroniqueur local ou un photographe de province, mais le créateur d’une vaste et prodigieuse galerie de portraits, l’administrateur d’une grande scène sur laquelle les représentations ne s’interrompent jamais et où seuls les acteurs changent tandis que les rôles et les masques restent les mêmes. Cette scène grandiose a parfois des airs de foire ou de chapiteau de cirque mais même alors le charme, l’esprit, l’humour et le rire tranchant ne lui font pas défaut. […]
Il riait de bon cœur, convaincu que le rire guérit et répare, atténue les douleurs et desserre l’étau des idées noires car il invite qui est dans l’infortune à considérer les choses également par leur côté amusant et ainsi, du moins en apparence, à alléger le fardeau qu’il lui faut porter. […] [Texte intégral]
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2. Le Député : extraits traduits par Alain Cappon
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Une comédie satirique hors du commun par Vaso Milinčević
Dans Le député (1883) s’expriment les qualités sur lesquelles reposent l’art de la comédie de Branislav Nušić, la manière dont se créent et s’obtiennent les effets comiques et satiriques. Le thème traité – la conception et la pratique du parlementarisme et du pouvoir dans la Serbie de la fin du XIXe siècle – offrait en vérité une profusion de possibilités pour l’écriture d’une comédie satirique hors du commun.
Le personnage principal, maître Jevrem Prokić, négociant de province et quelque peu simplet, se porte candidat à la députation sur la liste présentée par le pouvoir en place, ce pour défendre ses bas intérêts personnels. […] Nušić constitue un attelage qui unit à Jevrem des personnages moralement problématiques, revêtus aussi d’une coloration comique et satirique, comme, par exemple, le faussaire, dépravateur et ex-forçat Sreta qui appartient au monde dit parallèle, aux bas-fonds de la société…
Parmi les scènes les plus hilarantes de la comédie, figure la conversation entre justement maître Jevrem et Sreta qui porte sur l’Assemblée nationale et les discours des députés. Nous assistons à une série de situations absurdes. Par un « jeu dans le jeu » plein d’effets dans cette scène, Nušić crée un comique tonitruant et une satire aiguisée. À travers le personnage de Sreta il improvise une session parodique et caricaturale de l’Assemblée avec tous ses rituels… Analphabète en politique, Jevrem ne sait pas comment dire les choses et, qui plus est, quelles choses dire. L’absurde de la situation se reflète dans le fait que l’ex-forçat, qui appartient à la lie de la société, enseigne à un député le parlementarisme. […] [Texte intégral]
Extraits de la pièce traduits par Alain Cappon
Sreta, qui fait tinter la cloche. Messieurs, la parole est à Monsieur Jevrem Prokić !
(Jevrem, qui s’est pleinement transporté sur les bancs de l’Assemblée, prend la chose très au sérieux, désespérément. La parole lui étant donnée, il sent son cœur battre, s’en effraie, puis se reprend, se lève avec solennité, se râcle la gorge et se dresse dans la position de l’orateur.)
Jevrem : Mes honorables collègues, vénérables représentants de cette Assemblée, je… euh… je… Par exemple… (dans son emportement il ne peut poursuivre et réfléchit avec l’énergie du désespoir.)
Sreta, qui fait tinter sa cloche : S’il vous plaît, n’interrompez pas l’orateur ! […]
Jevrem, ragaillardi : Mes chers confrères, j’ai longuement réfléchi à comment nous dresser contre ce mal qui s’est enraciné dans notre peuple et je suis parvenu à la conclusion que le mieux est de laisser au gouvernement le soin d’y songer.
Sreta, d’une voix : Exactement ! D’une autre voix : Sûrement pas ! De la première : Si ! De l’autre : Non ! De la première : Tout le temps que vous avez été au pouvoir, vous avez ruiné notre peuple ! De la seconde : Taisez-vous, traître ! De la première : Traître… qui cela ? De la seconde : Toi ! De la première : Et toi, voleur, scélérat ! De sa propre voix : Paf ! Paf ! (Il distribue des coups dans l’air et finit par frapper Jevrem lui-même. Puis il fait violemment tinter sa cloche.) Du calme, messieurs, du calme ! je vous prie de respecter la dignité de cet endroit. Je prie monsieur le député qui a giflé l’autre monsieur le député de retirer sa gifle. L’Assemblée prend note de cette gifle, passe outre, et en vient à l’ordre du jour.
Jevrem, qui pendant ce temps l’a observé avec étonnement : Qu’as-tu donc ?
Sreta : Je veux, mon ami, te représenter pleinement l’Assemblée. Après tout discours important, il faut qu’il y ait du vacarme. Les uns crient : « Exactement ! », d’autres « Sûrement pas ! » Les uns crient alors : Traître ! », et les autres : « Et toi, voleur ! » Un député en gifle un autre, et on passe à l’ordre du jour.
Jevrem : À ton avis, je peux y arriver ?
Sreta : Tu y parviendras, et comment !
Jevrem : Alors, s’il te plaît, passe plus souvent, pour refaire ça encore une fois ou deux. [Texte intégral]
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3. Un individu suspect : extraits traduits par Alain Cappon
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Humour et satire dans Un individu suspect par Vaso Milinčević
Au dire même de Branislav Nušić la comédie Un individu suspect (1888) a été écrite sous l’influence directe du Revizor de Gogol. Le manuscrit original, affirme l’écrivain, ne comportait pas la mention usuelle « Comédie en deux actes » mais « Gogoliade en deux actes ». Quoique ayant emprunté à Gogol l’idée de base, Nušić a composé une œuvre artistique originale et forte, étroitement liée à la Serbie et aux conditions qui alors y prévalaient. […]
À travers un capitaine de district et d’autres représentants du pouvoir, gratte-papiers et autres petits fonctionnaires, à partir d’exemples vivants et marquants Nušić décrit l’atmosphère suffocante, insupportable, et la désuétude du milieu provincial de la Serbie de la fin du XIXe siècle. […]
Chacun est un vrai maître dans son « secteur » : le capitaine Jerotije se voit promouvoir pour avoir arrêté des innocents qu’il fait passer pour des insurgés et des révolutionnaires ; le greffier Vića s’accapare une plus grande part du gâteau par le chantage ; Žika est un parfait « technicien » du droit et de la législation, et son « petit doigt » est le symbole de la corruption du pouvoir et de l’iniquité en Serbie des Obrenović. […]
Mais restreindre la signification de cette comédie à une seule période donnée serait une erreur. Comme Nušić l’a lui-même souligné dans un avant-propos, Un individu suspect comporte des « allusions qui n’ont pas pris une ride… car dans la bureaucratie de l’humanité toute entière, de tous les peuples et de toutes les races, certains éléments sont généraux et éternels… » […] [Texte intégral]
Extrait de la pièce traduits par Alain Cappon
Jerotije : Je te le dis, Anđa, n’envoie pas notre enfant en visite chez la tante, mais vas-y toi : « c’est bon, qu’elle s’amuse un peu ». Là, tiens, elle s’est bien amusée, et toi, maintenant, tu peux « t’amuser » à ton tour.
Anđa réfléchit : Mais qui sait, Jerotije, c’est peut-être un bon parti.
Jerotije : Un bon parti, hem… Đoka, un bon parti. Mais enfin ! Monsieur Vića, voilà un bon parti. Pas Đoka ! Et toi, si tu es une bonne mère, tu devrais lui faire la leçon. Cet homme veut l’épouser, et pas un peu !
Anđa : Je lui ai parlé, pour sûr que je lui ai parlé, mais si notre enfant ne l’aime pas…
Jerotije : Pourquoi faut-il qu’elle l’aime ? Tu m’aimais, toi, quand tu t’es mariée, que te faut-il de plus ? Dis, avoue : tu ne l’as pas non plus beaucoup pressée ?
Anđa : A vrai dire, non. J’ai hésité à cause de la faute qu’il a commise. Je me suis dit, que tout cela prenne fin, et alors qu’il demande sa main.
Jerotije : Mais seigneur Dieu, quelle faute ?! Où as-tu vu chez nous un fonctionnaire avoir mal à la tête à cause d’une faute ? Et puis c’est quelqu’un d’intelligent ; il sait ce qu’il fait, celui-là. Les documents, il les a dérobés. Pas de documents, pas de faute. Le ministre ne peut rien contre lui, hormis le chasser du service. Et quand bien même, tu crois vraiment qu’il s’en retournerait ? Il a amassé pas mal d’argent…
Anđa : En vérité, cet homme a donc tant d’argent ?
Jerotije : Mais oui ! Et pas qu’un peu, ma foi ! Il est greffier de deuxième classe, dans le district depuis pas plus de quatorze mois, et il était arrivé nu comme un ver. Mais il sait y faire, le gars ! Quant à l’autre, monsieur Žika, il restera pauvre toute sa vie. On lui propose un litre ou deux de vin, et il s’en satisfait. Vića pas ! Il ne se salira pas pour deux fois rien… Lui ne prend que du lourd. Sa spécialité, c’est la politique. Tiens, vois donc ! Il fait arrêter un patron, dit : « Il aboyait contre la dynastie ! ». Il lui met sur le dos un tas de documents accablants… fait citer sept, huit, douze témoins… Cinq ans de détention. Et dès le lendemain, plus de documents compromettants. Et pour l’aboyeur, vois-tu, la liberté ! Pour ce genre de travail, franchement, il a la main. Tu vois, c’est un monsieur, un vrai, qu’il faut prendre comme gendre. Pas Đoka. […] [Texte intégral]
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4. Le défunt : texte intégral traduit par Milan Đorđević
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Un monde où l’argent est le seul spiritus movens par Milan Đorđević
Le Défunt (1937), la dernière pièce de Branislav Nušić (la comédie Le Pouvoir est restée inachevée) est aux antipodes de toutes ses autres œuvres : la comédie s’imprègne de la satire et l’humour se fait amertume. […] Brillant portraitiste, Nušić a habilement dressé le profil de quelques représentants de la société belgradoise d’avant-guerre, des petits profiteurs tel Anta Milosavljević au personnage du parvenu primitif et sans scrupules, Spasoje Blagojević, qui s’enrichit illégalement et ne recule devant rien pour sauvegarder ses biens matériels. Le sort peu enviable du prétendu « défunt » Pavle Marić – un homme honnête victime de toutes sortes de machinations – semble être le dénouement le plus satirique chez Nušić, et c’est précisément son malheureux destin qui transforme cette pièce en satire. […]
Dans Le Défunt, les masques tombent. Nušić avait toujours témoigné de la clémence envers ses personnages négatifs, aucune animosité n’était sensible, et les pièces se terminaient avec une légère « punition » infligée à ceux qui l’avaient méritée. Ici cet esprit de bienveillance disparaît et avec effet. Spasoje Blagojević semble la personnification maléfique du pouvoir et de l’argent, thèmes chers à Nušić. […] [Texte intégral]
Texte intégral de la pièce traduit par Milan Đorđević
Spasoje : Mais, messieurs, cela voudrait dire que l’on ne peut même plus croire en la mort ? Elle aussi s’est mise à mentir. (Sort un papier de sa poche.) Je vous prie de me dire si ceci est bien un acte de décès, oui ou non ?
Anta : Parcelle 17, tombeau 39.
Spasoje : Il l’a bel et bien occupé pendant trois ans, n’est-ce pas ? Comment peut-il être tout à coup vivant maintenant ? Cela ne se fait pas par la simple volonté de quelqu’un, n’est-ce pas ? Je pense qu’il doit exister, dans les États de droit occidentaux, une loi selon laquelle celui qui est mort, est mort définitivement, mais chez nous…
Anta : Un État ne peut pas forcer quelqu’un à être mort.
Spasoje : Cela veut donc dire que je ne peux être certain que ma femme, décédée il y a onze ans, ne va pas réapparaître un jour. Elle arrive un beau jour n’est-ce pas, et me dit : « Bonjour » ! Et je lui réponds : « Bonjour, entrez je vous prie » !
Novaković : Le problème de ce qui pourrait ou ne pourrait pas arriver ne se pose pas en l’occurrence. Il est là !
Spasoje : Comment cela peut-il être possible ? D’où peut-il venir ? Est-il sorti de sa tombe ? A-t-il ressuscité ? S’est-il enfui ? D’où est-il tombé ? D’un arbre, de la Lune ou de Mars ?
Novaković : On dit qu’il est juste rentré.
Spasoje : Du cimetière ? Avec quel train ? Mon Dieu, je n’arrive plus à réfléchir, c’est la première fois que cela m’arrive. (S’assoit.)
Rina (à Milan) : N’en as-tu pas entendu davantage ?
Novaković : Si, il paraît qu’il n’a jamais été mort.
Spasoje : Ce qu’il va nier, bien sûr.
Novaković : Il avait établi domicile à l’« Excelsior ».
Spasoje : Où se trouve cette parcelle ?
Novaković : A l’hôtel « Excelsior ». Voilà tout ce que je sais. […] [Texte intégral]
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II. L'ATELIER DE TRADUCTION
Textes traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue, Alain Cappon
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1. Deux grandes hagiographies du Moyen Age Extraits traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue
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Sava Nemanjic : La Vie de Siméon-Nemanja (1208) par Boško Bojović
La Vie de Siméon-Nemanja est la première hagiographie princière serbe qui nous soit parvenue dans sa forme originelle (dans le Typikon de Studenica, manuscrit de 1619). D’une belle composition, sobre et simple dans sa clarté, cet ouvrage du futur archevêque Sava Ier est également l’une des toutes premières œuvres littéraires vraiment originales du Moyen Âge serbe. D’ailleurs, c’est elle qui inaugure véritablement ce genre littéraire si spécifique à la Serbie, que sont les hagio-biographies de ses saints, rois et archevêques. […]
En écrivant la vita de son père, Sava a fait preuve d’un sens remarquable de la composition. La narration y est sobre, sans démesure, dépouillée. Son point culminant – présenté dans des extraits traduits – est la très suggestive description de la mort de Siméon, qui fait partie des plus remarquables pages de toute la littérature médiévale serbe. D’une gravité succincte, la narration du trépas, de l’issue ultime de la vie de l’ex souverain, allongé sur une paillasse de simple moine hagiorite, atteint ici une valeur au-delà du témoignage authentique d’un fils qui accompagne les derniers instants de son géniteur. Sentant sa fin proche, Siméon-Nemanja fait venir à son chevet les “vieillards honorables du Mont Athos” qui, venus en “très grand nombre”, durent attendre son trépas. Devenant l’un des points clefs de sa vita, la mort de l’ex-grand joupan serbe prend ainsi une importance fondamentale pour l’instauration et le développement de son culte. [Texte intégral]
Extraits traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue
Au septième jour du mois de février [1199], sa vénérable vieillesse commença à faiblir. Aussitôt, le bienheureux vieillard, seigneur Siméon, m'appela, moi l'indigne, insignifiant en toute chose, et se mit à me confier à voix basse de saintes, vénérables et douces paroles :
– Mon doux enfant, consolation de ma vieillesse, mon fils, écoute mes mots, penche ton oreille vers eux, et pour que ne tarissent les sources de ta vie, garde les dans ton cœur... Voici qu'est venu le temps de notre séparation ; voici que le Très-Haut me laisse partir en paix et que, selon son verbe, se réalise ce qui fut dit : « Tu es glaise et tu retourneras à la glaise. » Toi, enfant, ne t'afflige pas en me voyant partir car cette coupe à tous nous est commune. Si nous nous séparons ici, là-bas nous nous réunirons à nouveau, là où il n'est plus de séparation. [...]
Quand vint le douzième jour de ce mois, il dit :
– Mon enfant, apporte-moi l'icône de la très sainte Vierge, car mon dernier vœu est de rendre mon souffle devant elle.
Une fois son vœu fut accompli, alors que le soir était déjà tombé, il me dit :
– Mon enfant, fais-moi grâce, pose sur moi ma tunique de moine pour mon enterrement, et prépare-moi selon le saint rite, tel que je reposerai dans la tombe. Étends une natte de jonc sur le sol, allonge-moi sur elle, et pose une pierre sous ma tête, que j'y repose jusqu'à ce que le Seigneur vienne me chercher.
Et moi, m'acquittant de tout, j'accomplis ce qu'il m'avait ordonné. Tous, nous le regardions et pleurions amèrement, contemplant sur ce bienheureux vieillard une indicible providence divine… En vérité, mes frères et pères aimés, ce fut miracle que de le regarder : celui que tous craignaient et qui faisait trembler tous les pays, celui-là ressemblait à un homme ordinaire : indigent, enveloppé d'une simple tunique, couché à même le sol sur une natte, une pierre sous la tête, et tous s'inclinaient devant lui, tandis que lui, plein de repentir, demandait à tous pardon et bénédiction.
A la tombée de la nuit, après que tous eurent fait leurs adieux et eurent reçu sa bénédiction, ils partirent dans leurs cellules accomplir leurs offices et se reposer. Moi je restai, gardant un prêtre avec moi, et ainsi nous passâmes la nuit auprès de lui.
Quand minuit arriva, le bienheureux vieillard s'enveloppa de silence, et ne me parla plus. [...] [Texte intégral]
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Teodosije de Chilandar : La Vie de Saint Sava (fin XIIIe - début XIVe) par Boško Bojović
L’œuvre la plus lue et copiée au Moyen Âge et, sans conteste, l’un des meilleurs ouvrages de toute la littérature serbe médiévale, La Vie de Saint Sava du moine athonite Teodosije, pourrait être considérée comme une excellente biographie romancée. Par son style imagé et captivant, son étendue considérable, sa narration élaborée et riche en rebondissements, ainsi que par l'émergence des éléments de style profane en alternance avec des thèmes religieux, cet ouvrage tient lieu en effet d'un véritable roman médiéval. […]
Selon Teodosije, topos de la littérature hagiographique, la naissance de Sava est providentielle. En narrant sa vie exemplaire, il recourt fréquemment aux références bibliques, le plus souvent vétérotestamentaires, afin de conforter la signification sacramentelle de son récit. Une belle illustration en est l’épisode (présenté ci-après) qui raconte comment le jeune prince Rastko (Sava) a trompé la vigilance de ses poursuivants envoyés par son père pour le ramener du Mont Athos de gré ou de force : dans cet épisode à consonance initiatique, le geste du jeune Rastko est mis en parallèle avec celui de Jacob s’appropriant par la ruse la bénédiction d’Isac aux dépens de son frère aîné, Esaü. […] [Texte intégral]
Extraits traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue
Après que tous se furent longuement attardés au dîner, l'higoumène ordonna qu'on frappe le bilo, car c'était le jour du dimanche. L'higoumène se leva ainsi que le jeune Rastko, et ils se rendirent à l'église pour la prière. Le voïvode et ses compagnons en firent autant pour monter la garde dans l'église, car ils n'osaient le perdre de vue. Les chants se prolongèrent et on les récita de nombreuses fois sur ordonnance, jusqu'à ce que tous les convives, ainsi que les jeunes gardes qui le surveillaient avec le voïvode, tombent dans un lourd sommeil sous l'effet de la fatigue du voyage et des réjouissances du festin.
Dès que le divin jeune homme, l'œil éveillé, s'aperçut qu'ils dormaient, il se leva au milieu d'eux, et s'inclinant devant le saint autel, prononça ses vœux au Seigneur, puis, après avoir reçu la bénédiction de l'higoumène, il emmena avec lui un vieil homme, ordonné prêtre, et monta tout en haut de la tour du monastère. Puis, refermant la porte derrière lui, il remercia Dieu avec ces mots : « Je te glorifie, ô Seigneur, car Tu m'as reçu et relevé ! »
Le prêtre, une fois la prière terminée, lui rasa les cheveux, le revêtit de l'habit angélique, et changea son nom de Rastko pour celui de Sava. Le sol se couvrit de ses larmes tandis qu'il adressait à Dieu ces mots de reconnaissance : « Tu as exaucé ce que mon cœur désirait », au point que le vieillard fut confondu de tant de pleurs.
Dans l'église, après la fin de la lecture, tous les assistants se levèrent, et ceux qui devaient le garder se mirent à chercher leur seigneur, or voici qu'ils ne pouvaient le trouver nulle part. Ils le cherchèrent partout, dans l'église, dans tout le monastère, l'appelant en criant, puis ne le trouvant pas, ils se mirent à accuser l'higoumène et à battre les moines. Le voïvode arrêta le tumulte, et dit à l'higoumène et aux moines :
- Quelle est cette iniquité et cette disgrâce de votre part, honorables pères… Le voilà ce fabulateur, digne du trépas, - il désigna l'un d'eux - méprisant les offrandes, il arracha le fils à son père et s'enfuit, ce qui plongea son père et sa mère en de funestes larmes et nous dans un grand tourment. Et maintenant que nous sommes arrivés ici, vous cachez notre seigneur et agissez ainsi à votre guise… Ce sont vos têtes qui vont tomber maintenant ! Dites-nous, où avez-vous caché notre seigneur ?
Quand les compagnons du voïvode entendirent ces mots, pris de rage, ils se mirent à frapper plus violemment et impitoyablement les moines. Lorsque le fugitif qui était cause d'un tel tumulte entendit cela, il craignit que la dispute ne se terminât en carnage, alors il se pencha par-dessus le balustre et, de l'obscurité où il se trouvait, les appela…
Quand ils entendirent ces mots, la crainte et la honte les envahirent, ils ne surent quoi répondre, mais, en silence, ils encerclèrent la tour, montant la garde.
Au lever du jour, il se pencha à nouveau du haut de la tour, appela le voïvode et ses nobles compagnons et se montra à tous sous son aspect de moine angélique. Eux, l'apercevant ainsi, dans sa nouvelle apparence de moine, ne surent plus que faire, mais, pris de pleurs et de sanglots, se jetèrent à terre. [Texte intégral]
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2. Deux grands romans du XIXe siècle Extraits traduits par Alain Cappon et par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue
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Jakov Ignjatovic : L'éternel fiancé (1878) par Milivoj Srebro
De l’avis général l’un des meilleurs romans, peut-être même le meilleur de Jakov Ignjatović, L’éternel fiancé est conçu comme une sorte de chronique familiale qui dépeint la décadence de la bourgeoisie serbe en Hongrie. […] Sur le plan thématique, comme le suggère son titre, le roman se focalise sur « l’éternel fiancé », phénomène dont l’universalité dépasse le strict cadre de la chronique familiale. L’incarne Šamika Kirić, un dandy aux belles manières, un galant homme habitué des divertissements de salon, mais qui – au grand désespoir de son père qui place en lui tous ses espoirs pour lui donner un héritier – ne parvient pas (ne le peut-il ou ne le souhaite-t-il pas ?) – à prendre femme. […]
Porté aux conceptions conservatrices de la famille et de la société, la critique traditionnelle a vu en Šamika un « décadent » à la remorque des tendances à la mode… Une lecture plus récente à néanmoins montré que le personnage est plus complexe qu’il n’y paraît. Milorad Pavić, par exemple, a avancé entre autres raisons du rapport controversé de Šamika au mariage celui, ambigu, qu’il entretient avec sa mère, et a suggéré une interprétation fondée sur la psychanalyse et sur le complexe d’Œdipe. Certains critiques contemporains lisent quant à eux, ce roman d’Ignjatović à la lumière de la queer theory…
Quelque interprétation que l’on propose du personnage de Šamika, son comportement et son profil psychologique demeurent en partie recouverts du voile du secret. Se dissimule probablement là ce qui explique pourquoi L’éternel fiancé intrigue et suscite toujours autant l’intérêt des nouvelles générations de critiques. [Texte intégral]
Extraits traduits par Alain Cappon
– Monsieur Kirić, je vous en prie, asseyez-vous. Vous savez ce que je vais vous demander ?
– Non.
– Devinez.
– De vous rapporter quelque échantillon de Pest ?
– Non. Prendriez-vous ma Paulina pour épouse ?
– Vous plaisantez, sourit Šamika.
– Aucunement. Je répète, prendriez-vous ma Paulina pour épouse ?
– Vous ne voyez donc pas comme je suis tout dégarni, et chauve ?
– Quel âge avez-vous ?
– Cinquante ans.
– Sokolović avait cinquante-deux ans quand il m’a épousée, et moi deux de moins que Paulina aujourd’hui. Chez vous toute femme vivra bien…
– Je vois que vous parlez avec sérieux, et je vais vous répondre de même. Voir demoiselle Paulina faire un mariage heureux me ravirait, vraiment.
– Alors faites son bonheur.
– Voici le plan que je vous propose. Accordez-moi trois ans.
– Une longue échéance.
– D’ici trois ans, si un meilleur parti que moi ne s’est pas présenté, je la prendrai pour épouse…
La mère est satisfaite. Elle rapporte cette conversation à Paulina qui, satisfaite, l’est aussi. Le mariage lui est assuré. […]
Šamika donne de nombreux bals dans son salon, notamment lors de la réception d’hôtes de marque. Et il décide d’en organiser un… La jeunesse danse. Il veille au bon ordre des choses, ne danse pas, se dit trop âgé. On danse le cotillon, personne ne sait le mener, on s’embrouille. Tous sollicitent monsieur Šamika pour qu’il s’en charge et, vu le grand nombre de prières, il s’y plie… Malgré ses cinquante ans il ouvre la danse. Les étrangers le suivent avec joie. L’un d’eux ne veut plus se séparer de Paulina. Un jeune homme raffiné, riche…
Deux semaines plus tard les témoins sont là. Paulina est mariée. Sans avoir eu à attendre trois ans.
Šamika ne s’est cette fois encore pas marié. Il est « galant homme ». […] [Texte intégral]
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Simo Matavulj : Bakonja, en religion frère Brne (1892) par Milivoj Srebro
Ivo Andrić voyait d’abord en Simo Matavulj, et à juste titre, un conteur, l’un des meilleurs de toute la littérature serbe, et le qualifiait de « maître conteur ». Preuve en est aussi Bakonja, en religion frère Brne, le meilleur roman du réalisme serbe selon la critique […], dans lequel il a mis à nu le parasitisme de la caste alors privilégiée des « serviteurs de Dieu » et révélé à quel point leur mode de vie était en contradiction avec l’image que s’en faisaient les croyants pauvres et naïfs.
Cette contradiction apparaît notamment dans l’image toute en contraste de « la maison de Dieu » : comme le fait remarquer Jovan Deretić, « vu de l’extérieur », du point de vue des pauvres paysans dalmates, le monastère semble un « objet de rêves et de désirs », un « paradis où la paresse est reine et où on vit dans l’abondance sans fournir d’efforts ni de travail » ; vue de l’intérieur elle apparaît une prison où pourrissent ses « reclus volontaires », ce qu’est en vérité l’oncle de Bakonja (dont ce dernier prendra le nom après sa « tonsure »), l’hypocondriaque frère Brne [présenté dans les extraits traduits] qui s’est lui-même « emprisonné » dans sa cellule de crainte qu’il n’éclate « comme une bulle de savon » s’il s’avisait de mettre un pied dans l’espace ouvert !
Parmi les qualités singulières du roman de Simo Matavulj nous citerons encore sa langue au riche lexique, truculente, gaillarde, abondante en spécificités dialectales du littoral dalmate, et, surtout, son humour spontané, dévastateur qui apparaît sous diverses formes, moqueries, railleries, caricatures… [Texte intégral]
Extraits traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue
Pendant les quatre ou cinq semaines que durèrent les vendanges, le monastère fut une vraie tombe. Ive, dénommé Bakonja, se plongea dans la lecture et en ces quelques semaines lut plus que pendant les deux années précédentes.
Cependant, le bruit avait fini par courir, non seulement parmi le peuple de l'autre côté de la rivière, mais aussi dans Zvrljevo et plus loin encore, que l'abbé, Brne Jerković, était devenu fou. « Il s'est mis dans la tête – disait-on – qu'il est entièrement fait de verre, si bien qu'il a peur de sortir de sa cellule, car, pense-t-il, il se briserait aussitôt en mille morceaux » [...]
De retour des vendanges, les frères Tetka et Srdar trouvèrent Brne plus empâté et plus rembruni que lorsqu'ils l'avaient quitté. Sur le bord des fenêtres étaient entassés d'épais volumes, et près de lui, sur le canapé, un tas de pèlerines. A leurs remarques qu'on étouffait dans sa cellule, il jeta vers eux un regard craintif, comme pris de peur qu'ils n'ouvrent subitement les fenêtres. Bien vite, il entama la conversation sur la récolte, mentionna son neveu Bakonja et le recommanda à Tetka… Brne, alors, leur cita deux ou trois obscures sentences d'un saint père, et leur dit comment, lui, les interprétait. […]
Au moment de se séparer, Srdar dit à Brne :
- Écoute, frère Brne, tu pourrais être notre maître à tous et en tout mais tu t'es fourré dans la tête que tu éclaterais comme une bulle de savon dès que tu mettrais le pied dehors. Comment comprendre cela ?
Brne leur jeta un regard méfiant, puis les pria de le laisser.
- Il faut le sauver pendant qu'il est encore temps - dit Tetka, une fois dehors. Mais que peut-on faire ? Les médecins, il ne les croit pas, et il n'écoutera le conseil de personne, même pas celui du pape, s'il le lui donnait.
- Et si nous lui jouions un bon tour ? - dit Srdar – Par exemple, qu'il s'effraie de quelque chose qui le fasse bondir hors de sa cellule ?
- Moi aussi j'y ai pensé, mais je crains qu'il ne tombe raide mort. Tu sais combien il est craintif... Enfin, nous pourrons en discuter une autre fois. Nous verrons ça plus tard, nous avons le temps ! […] [Texte intégral]
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3. Deux grands poètes du XXe siècle Poèmes traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue
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Desanka Maksimović par Mihajlo Pantić
Parmi les poètes serbes Desanka Maksimović se distingue par son style d’une grande simplicité, proche de tous et, par-là même, unanimement appréciée. […] Son art créatif atteint son apogée dans le trio de recueils que constituent Je demande grâce [1964], Je n’ai plus de temps [1973] et Annales des descendants de Perun [1979]. En recueillant « les fruits tardifs » de l’imagination langagière, la poétesse a élargi l’échelle expressive et thématique de sa poésie et croisé son lyrisme descriptif avec l’évocation des moments clé de l’Histoire nationale : la mythologie slave et le Moyen Age, mais aussi la contemporanéité qui, progressivement, « se fait histoire ».
Je demande grâce est sans nul doute l’une des œuvres majeures de la poésie serbe du XXe siècle ; comme l’indique le sous-titre, c’est une discussion lyrique avec le Code de l’empereur Dušan mais qui, par son importance, ouvre un débat avec les contemporains. […] Je n’ai plus de temps renvoie la poétesse du tourbillon de l’Histoire à elle-même…. Le chemin parcouru n’engendre pas uniquement la mélancolie et la tristesse mais aussi une silencieuse résignation – les interrogations sur la fugacité des choses nous rappellent l’inexorabilité de la fin et nous invite à disposer du temps terrestre qui nous est consenti. Les Annales des descendants de Perun s’annonçaient dans certains poèmes que Desanka Maksimović composa à ses tout débuts. La recherche des racines des peuples slaves dans les Balkans l’avait entraînée dans la mythologie, puis dans l’Histoire. [Texte intégral]
Trois poèmes : À ceux qui trébuchent sur le seuil ; Gračanica ; Je n'ai plus le temps traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue
À ceux qui trébuchent sur le seuil
Je demande grâce pour les candides, pour leur infini étonnement, pour les gens qui resteront des enfants, pour les utopistes, pour les assoiffés à qui on fait passer la rivière sans les abreuver, pour les purs qu'on fait passer par les richesses sans pouvoir les souiller, pour celui qui toute la journée fabrique des rêves, pour les silencieux, pour les mélancoliques, pour ceux qui ne me ressemblent en rien et pour ceux qui sont semblables à moi. [...]
A lire : > Les trois poèmes
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Miodrag Pavlović par Marko Avramović
Miodrag Pavlović est l’un des auteurs majeurs et les plus féconds de la littérature serbe de la seconde moitié du XXe siècle. […] Son premier livre, par ailleurs l’un des plus célèbres recueils de la poésie serbe contemporaine, 87 poèmes, paraît en 1952 ; avec L’écorce de Vasko Popa publié l’année suivante, il marque un tournant dans la littérature serbe. Rompant avec la poétique du réalisme socialiste… et avec la poésie lyrique traditionnelle dite « doux et tendre stimmung », Pavlović se tourne vers un art poétique radicalement moderniste qui se caractérise par une expression fragmentaire, retenue, et qui chante le drame du citadin contemporain. L’anxiété, l’aliénation, la vie sous la menace d’une catastrophe nucléaire sont les marqueurs de cette existence. […]
Dans ses publications ultérieures, à commencer par Le lait des temps immémoriaux (1962), Pavlović se tourne vers des thèmes tirés de la culture et de l’Histoire et cherche des continuités civilisationnelles. Après l’inspiration que lui avaient insufflée le mythe antique et l’effondrement du monde hellénique, il se focalise dans La Grande Scythie (1969) sur l’installation des Slaves dans les Balkans et sur le Moyen Âge serbe. Dans cette vision historique le mythe du Kosovo occupe l’une des places centrales. [Texte intégral]
Quatre poèmes : [Je me réveille] ; Sur la mort d'une poule ; Le prince décapité se souvient ; Lamento pour Smederevo traduits par Vladimir André Cejovic et Anne Renoue
Lamento pour smederevo
Nous restâmes sans ville et sans loi, la ville est tombée.
Nous ne savons où commence notre pays, et partout sont ses limites.
Les murailles avec nos noms tombèrent, la rivière les a emportées.
Armés et voyageurs passent par-dessus nous, personne pour venir à nous.
Il n'y aura plus de belles villes sur notre terre.
De longues nuits nous désirons et des forêts profondes où l'on peut voir même sans yeux.
Que nous puissions chanter et de nous-mêmes nous souvenir, les autres nous ont oubliés...
A lire : > Quatre poèmes
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