SERBICA
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СЕРБИКА |
Revue électronique |
ISSN 2268-3445 |
N° 27 / juin 2020 |
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DOSSIER SPÉCIAL
PRÉCURSEURS ET FONDATEURS DE LA NOUVELLE LITÉRATURE SERBE
BAROQUE – LUMIÈRES – CLASSICISME
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Djordje Branković - Gavril Stefanović Venclović - Zaharija Orfelin Jovan Rajić - Dositej Obradović - Atanasije Stojković Milovan Vidaković - Simeon Piščević - Lukijan Mušicki
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1.
VUE D'ENSEMBLE
La littérature serbe du XVIIIe siècle et des premières décennies du XIXe siècle par Jovan Deretić
2.
ENTRE L’ANCIENNE ET LA NOUVELLE LITTÉRATURES
Un despote qui n’était pas destiné à le devenir Djordje Branković (1645-1711) par Milorad Pavić
Un précurseur du classicisme et du préromantisme Gavril Stefanović Venclović (vers 1680 - vers 1747) par Sava Damjanov
Le Buffle noir dans le cœur et autres poèmes / Crni bivo u srcu i druge pesme A lire : un choix de poème de G. S. Venclović présentation et traduction de Boris Lazić
Le premier poeta doctus dans l’histoire de la poésie serbe Zaharija Orfelin (1726-1785) par Sava Damjanov
L’une des figures de proue de la vie spirituelle et intellectuelle serbe du XVIIIe siècle : Jovan Rajić (1726-1801) par Sava Damjanov
La première histoire publiée des Serbes Histoire des différents peuples slaves… / Istorija raznih slovenskih narodov… par Milorad Pavić
« A la mort de l’immortel Joan Rajič » d’Atanasije Stojković A lire : un extrait du poème présentation et traduction de Boris Lazić
3.
DOSITEJ OBRADOVIĆ ET LA NAISSANCE DE LA NOUVELLE LITTÉRATURE SERBE
L’écrivain majeur du XVIIIe siècle et le promoteur de la littérature serbe moderne Dositej Obradović (1739-1811) par Jovan Deretić
Dositej Obradović et l’Europe des Lumières par Boris Lazić
4.
L’APPARITION DU ROMAN ET DE L’AUTOBIOGRAPHIE
Un intellectuel des Lumières Atanasije Stojković (1773 - 1832) par Boris Lazić
« Le père du roman serbe moderne » Milovan Vidaković (1780-1841) par Sava Damjanov
Les souvenirs d’un sabreur au cœur tendre Les Mémoires / Memoari de Simeon Piščević par Milorad Pavić
5.
CLASSICISME SERBE ET LUKIJAN MUŠICKI
Les cadres européens du classicisme serbe Sava Damjanov
Premier poète professionnel de la littérature serbe moderne Lukijan Mušicki (1777-1827) par Boris Lazić
Épîtres poétiques A lire : un choix d’épitres présentation et traduction de Boris Lazić
La Voix du patriote / Glas narodoljupca A lire : un extrait du poème présentation et traduction de Boris Lazić
6.
ARCHIVES
Un aventurier serbe au XVIIe siècle, le comte Georges Brankovitch par Louis Léger
Slavisme baroque et œuvre historique comme acte mémorial dans la littérature serbe des XVIIe et XVIIIe siècles par Milorad Pavić
La Renaissance intellectuelle de la nation serbe : Jean Raïtch et Dosithée Obradovitch par Louis Léger
Dositej Obradović Michel Aubin
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La littérature serbe du XVIIIe siècle et des premières décennies du XIXe siècle par Jovan Deretić traduit par Alain Cappon
1. Entre l’ancienne et la nouvelle littératures
Après la Grande Migration de 1690, le centre de gravité de la vie culturelle et littéraire du peuple serbe se déplace du sud vers le nord, des régions sous domination turque vers les provinces sur lesquelles règne la monarchie des Habsbourg. Pendant cent ans et plus, la quasi-totalité de la production littéraire serbe verra le jour dans ce nouvel environnement. Dans un premier temps, le travail littéraire se poursuit sur les anciennes bases. La poétique est traditionnelle, sur les modèles byzantin et slavon, mais de significatives innovations se font jour. Le nouveau siècle littéraire s’ouvre avec Djordje Branković (1645-1711) et sa volumineuse Chronique slavoserbe. Pour ce qui est de la littérature monastique se distinguent des très nombreux sermons de Gavril Stefanović Venclović (vers 1780 – vers 1747) qui écrivait tant en slavon serbe qu’en idiome populaire. Au cours des décennies suivantes s’imposent deux créateurs aux aptitudes multiples, Jovan Rajić (1726-1801) et Zaharija Orfelin (1726-1785) : le premier était théologien, historien, poète, le second peintre de talent, homme de science, et poète.
2. Européanisation et naissance de la nouvelle littérature
Au début des années 1780, sous le règne de l’empereur réformateur Joseph II, la littérature serbe entre dans une période de profonde mutation dont l’initiateur est l’éducateur et rationaliste Dositej Obradović (1739-1811). Dans la première partie de sa vie, ce moine apostat est un humaniste sur qui s’exerce une forte influence grecque. Dans la seconde partie de sa vie, Dositej Obradović se tourne pleinement vers l’Ouest : il découvre les pays de l’Europe centrale, suit des conférences dans les universités allemandes, séjourne à Paris et à Londres… Durant cette période, il s’est radicalement transformé : le moine apostat s’est mué en libre-penseur, en Européen, en philosophe dans l’esprit du XVIIIe siècle ; il prône l’acceptation des Lumières occidentales et la création d’une littérature écrite en langue populaire sur les modèles européens antiques et modernes.
3. Dans le sillage de Dositej Obradović
Les écrivains qui font leur apparition dans la dernière décennie du XVIIIe siècle et dans la première du XIXe siècle se rattacheront très directement à Dositej Obradović. Dans l’œuvre des promoteurs de la nouvelle littérature serbe s’expriment deux tendances spirituelles et littéraires majeures : l’éducation rationaliste et le sentimentalisme. Des genres littéraires modernes, le roman est apparu parmi les premiers, avec des œuvres d’abord traduites – Bélissaire de Marmontel en 1776, Robinson Crusoe de Daniel Defoe en 1799, et quelques autres –, puis, au début du XIXe siècle, avec des œuvres originales d’Atanasije Stojković (1773-1832) et de Milovan Vidaković (1780-1841). L’époque qui a débuté avec Vie et aventures de Dositej Obradović, est également importante du fait de la parution d’autres autobiographies. En Russie et en langue russe sont éditées les volumineuses Mémoires de Simeon Piščević (1731-1797), l’un des livres les plus émouvants sur la destinée du peuple serbe.
4. La poésie classique et sentimentale
Le premier courant expressément poétique de la littérature serbe fut le classicisme. Il apparaît dès les années 1780 et prend sa forme définitive dans la première décennie du XIXe siècle dans l’œuvre de Lukijan Mušicki (1777-1837) qui a introduit dans la poésie serbe la « métrique romaine » : la majorité de ses poèmes sont écrits en strophes alcaïques, héritage de son grand maître en matière de poésie, Horace. Mušicki est la première personnalité véritablement poétique de la littérature serbe. Il aura exercé une grand influence et crée une école ou passeront pratiquement tous les poètes serbes de la première moitié du XIXe siècle. […] > Texte intégral <
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2. ♦ ENTRE L’ANCIENNE ET LA NOUVELLE LITTÉRATURES ♦
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Un despote qui n’était pas destiné à le devenir Djordje Branković (1645-1711) par Milorad Pavić traduit par Alain Cappon
Né dans une famille riche et de renom, Djordje Branković a très vite occupé des positions politiques en vue après que presque tous ses frères eurent été emportés par une épidémie. […] Plus tard, par l’oukase de Léopold 1er de 1688, il est élevé à la dignité de comte et lui est reconnu le statut d’héritier des despotes serbes dont, selon sa propre conviction et celle de ses collaborateurs, il tire son origine. En 1689 à Orșova, il lance aux Serbes et aux autres peuples sous le joug turc un appel à prendre les armes. Mais au beau milieu de l’insurrection le commandant autrichien le convoque à Kladovo puis, se conformant à des instructions secrètes émanant de la cour d’Autriche, le fait conduire sous bonne escorte à Vienne où il sera incarcéré. […] Malgré de vaines interventions de Pierre le Grand demandant sa libération, Branković restera emprisonné puis, en 1703, transféré à Cheb, où il mourra en 1711.
Ses œuvres littéraires comportent ladite Chronique valaque écrite en roumain et les volumineuses Chroniques slavo-serbes en 5 tomes (près de 2700 pages) en langue slavo-serbe, aujourd’hui encore inédites (mais conservées au Patriarcat serbe de Belgrade). Leurs nombreuses transcriptions, réalisées sous la surveillance rigoureuse de l’Église, font des écrits de Branković l’œuvre historique la plus influente de la littérature serbe baroque. […] > Texte intégral <
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Un précurseur du classicisme et du préromantisme Gavril Stefanović Venclović (vers 1680 - vers 1747) par Sava Damjanov traduit par Alain Cappon
Homme de lettres, orateur, prédicateur, enlumineur, Gavril Stefanović Venclović était ecclésiastique ; moine, il était lié à la fraternité du monastère de Rača (proche de Bajina Bašta, en Serbie) qui, lors de la grande Migration des Serbes en 1690, s’installa en Hongrie méridionale (les actuelles Hongrie et Voïvodine serbe) et fonda dans ces contrées de nouveaux foyers spirituels. […]
La majeure partie, totalement individuelle, de l’œuvre littéraire de Venclović est écrite en langue populaire et, ce, entre 1732 et 1746. Dans les recueils manuscrits de ce cycle – quelque neuf mille pages – sont disséminés des sermons, prédictions, poèmes, textes en prose, drames et essais : tous ces écrits ont servi de base à l’édition classique réalisée par Milorad Pavić (Gavril Stefanović Venclović, Le buffle noir dans le cœur, 1966) qui a redonné à ce créateur de haut vol une actualité et une place dans la tradition littéraire serbe au terme de deux siècles d’oubli. […] > Texte intégral <
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Le Buffle noir dans le cœur et autres poèmes / Crni bivo u srcu i druge pesme présentation et traduction de Boris Lazić
La poésie de Gavril Stefanović Venclović se confond avec son office de prêtre dans les églises baroques nouvellement édifiées de Djer, Komoran et Sentandreja en Hongrie du nord. Elle pénètre sa prédication et souvent l’illustre d’une image rare et bienvenue. L’effet de ce changement de prosodie est de produire un choc chez l’auditeur qui redouble d’attention à l’écoute du poème. Telle est la position première de son texte. Le poète orateur compose, suivant le degré d’éducation de son auditoire, des textes en slavon ou en langue vernaculaire mais, quel que soit son vecteur, c’est là une poésie composée en vue d’être dite, introduite dans des passages en prose, dans les homélies, qui suivent les liturgies divines. […]
Peintre de la détresse humaine, moraliste, théologien de la lumière, poète de la brièveté de la vie, Venclović fait aussi partie de cette pléiade d’écrivains serbes de Voïvodine qui témoignent de la détresse d’une nation sous domination étrangère et œuvre au maintien de la conscience linguistique, culturelle et politique serbe. […] > Texte intégral <
A lire : > un choix de poème de G. S. Venclović <
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Le premier poeta doctus dans l’histoire de la poésie serbe Zaharija Orfelin (1726-1785) par Sava Damjanov traduit par Alain Cappon
Zaharija Orfelin représente indubitablement l’une des figures les plus authentiques des lettres serbes du XVIIIe siècle : outre la littérature, il s’est par ailleurs consacré aux beaux-arts, à la vulgarisation scientifique, à l’imprimerie. […] La création poétique demeurera toutefois sa préoccupation majeure : après le recueil multidisciplinaire, au demeurant manuscrit, Salutations à Mojsej Putnik, Zaharija Orfelin – le premier dans l’histoire de la littérature serbe – imprimera ses œuvres ultérieures sous forme d’éditions particulières, c’est-à-dire de livres. Pleurs attristés paraît dès 1761 en slavon russe, langue « noble » du baroque serbe, dans l’imprimerie vénitienne de Dimitrije Teodosije où, peu après, lui-même travaillera comme correcteur d’épreuves de 1764 à 1770. Sur la base de la variante slavo-serbe du même poème qui sera publiée l’année suivante sous le titre Pleurs de la Serbie, on peut conclure que Zaharija Orfelin était alors déjà un poète achevé, doté d’une connaissance hors du commun de la versification et de la stylistique, peut-être le premier poeta doctus clairement profilé dans l’histoire de la poésie serbe. […] > Texte intégral <
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L’une des figures de proue de la vie spirituelle et intellectuelle serbe du XVIIIe siècle : Jovan Rajić (1726-1801) par Sava Damjanov traduit par Alain Cappon
Érudit, poète baroque, théologien et traducteur de textes de caractère théologique, Jovan Rajić est l’une des figures de proue de la vie spirituelle et intellectuelle serbe du XVIIIe siècle. […] Poète, Rajić se fait connaître en 1790 avec le recueil Divers chants pour les fêtes du Seigneur mais son œuvre majeure, et la plus ambitieuse, reste néanmoins le volumineux poème épique Le combat du dragon et des aigles (1791). Écrite en vers polonais de treize syllabes – l’un des vers exclusifs du baroque slave – cette épopée présente nombre d’autres caractéristiques poétiques de l’époque baroque et, en particulier, de sa forme tardive (le rococo).
Par ailleurs, Jovan Rajić a acquis toute sa stature et exercé une influence de plusieurs siècles dans la culture serbe avec Histoire des peuples slaves, en particulier bulgare, croate, et serbe (1794-1795). Le slavisme baroque qui marquait cette œuvre sous-entendait pour les Slaves un passé préchrétien commun de sorte que sont ici intéressants les passages (surtout mi-factuels et davantage fantasmagoriques) se rapportant à l’ancienne mythologie et à la religion serbe qui – sous l’influence des idées de Rousseau – intéressera ô combien ! les générations littéraires suivantes. […] > Texte intégral <
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La première histoire publiée des Serbes Histoire des différents peuples slaves… / Istorija raznih slovenskih narodov… par Milorad Pavić traduit par Alain Cappon
[…] En s’appuyant sur un livre de Pavao Ritter Vitezović écrit en latin pour le palais métropolitain de Karlovac, sur un autre ouvrage rédigé pour les mêmes besoins (l’histoire de Jan Tomka Saski), sur Mavro Orbin et de nombreuses recherches archivistiques, mais en se fondant aussi sur les Chroniques de Djordje Branković et sur d’autres matériaux réunis des décennies durant, entre 1757 et 1768 Jovan Rajić rédige son Histoire des différents peuples slaves, en particulier bulgare, croate, et serbe dont le titre laisse déjà entrevoir une aspiration claire au slavisme baroque. Il la complétera en 1775 et par la suite, avant de la publier en quatre volumes en 1794-5. Il s’est efforcé de faire en sorte que « la gloire des Slaves s’accroisse » et a composé une œuvre qui, au dire de Nikola Radojčić « débute comme une histoire de tous les Slaves, en particulier des Slaves du Sud et des Russes, se poursuit comme l’histoire des régions serbes, surtout de la Raška, et s’achève comme l’histoire des Serbes en Voïvodine. ». […]
Inconsciemment, et en suivant Djordje Branković et ses autres sources, Jovan Rajić est devenu très moderne et s’est trouvé voisiner avec les tendances préromantiques qui allaient marquer de leur sceau une époque pour lui encore indistincte. […] > Texte intégral <
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« A la mort de l’immortel Joan Rajič » d’Atanasije Stojković présentation et traduction de Boris Lazić
Le poète classique aime rendre hommage : Brève relation de la vie sereine d’Aleksije Vezilić (1753 -1792), le premier recueil de poésie des lettres serbes modernes publié à Vienne en 1788, contient ainsi un long poème sous forme d’hommage aux figures publiques de son temps. Ce poème de circonstance, composé par Atanasije Stojković et intitulé A la mort de l’immortel Joan Rajič, représente pourtant l’un des sommets de la poésie réflexive, intellectuelle du classicisme. Œuvre littéraire de premier ordre, il est représentatif à plus d’un titre. Composé sous la forme de deux lamentos de longueurs égales, il reprend les valeurs formelles de l’hexamètre. Sur le plan formel la strophe se compose de dix vers rimés suivant le schéma : ababaccdeed, canonisés dès le XVIIe siècle par le poète français François Malherbe. […] > Texte intégral <
A lire : > un extrait du poème <
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3. ♦ DOSITEJ OBRADOVIĆ ET LA NAISSANCE DE LA NOUVELLE LITTÉRATURE SERBE ♦ |
L’écrivain majeur du XVIIIe siècle et le promoteur de la littérature serbe moderne Dositej Obradović (1739-1811) par Jovan Deretić traduit par Alain Cappon
Dositej (de son nom de baptême Dimitrije) Obradović est l’écrivain serbe majeur du XVIIIe siècle et le promoteur de la littérature serbe moderne. Tant par son œuvre littéraire que par son existence, il marque de manière caractéristique le grand changement qui s’est opéré pour le peuple serbe au cours des dernières décennies du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. […]
Son travail littéraire et éducatif sur un large plan national et sur de nouvelles bases débute en 1783 avec la publication de Lettre à Haralampije et Vie et aventures. Le premier ouvrage est le manifeste éducatif de Dositej Obradović : il y rejette l’ancien slavon d’Église comme étant incompréhensible pour le peuple et prend position pour l’introduction de la langue populaire dans la littérature. Dans le second il évoque son existence, fait part d’événements de son enfance et de sa jeunesse. Il apportera un complément cinq ans plus tard. […]
Quoique peu volumineuse, l’œuvre de Dositej Obradović a accompli en son temps la fonction, non d’un seul écrivain mais, peu s’en faut, de toute une littérature. Elle était tout à la fois science, philosophie et rhétorique, elle recelait didactique, critique, et amusement, elle allait dans toutes les directions principales de la littérature de son temps et embrassait tous les genres fondamentaux de la littérature scientifique mais aussi érudite et de vulgarisation, ainsi que les germes des formes littéraires plus complexes. Elle était simultanément une œuvre d’essayiste, de conteur en prose, et de poète.
Dositej Obradović a rompu avec la tradition multiséculaire du slavon d’église et marqué le début d’un temps nouveau, citoyen, de la littérature serbe qui devait ensuite se développer sous le signe de la mise en œuvre de son programme littéraire et culturel. […] > Texte intégral <
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Dositej Obradović et l’Europe des Lumières par Boris Lazić
Résumé
Cet article développe l'idée de la quête de connaissances de Dositej Obradović en tant que cheminement ludique dans l'espace physique et spirituel : de l'Orient slave et gréco-byzantin à l'Occident des Encyclopédistes, du Banat autrichien colonisé au Paris et Londres des philosophes rationalistes. Plus précisément, il tente d’éclairer l’idée du cheminement cyclique de cette figure tutélaire des lettres serbes vers le savoir du monde et de soi, tout en suivant son long parcours qui le mènera de l'individualisme rationaliste du XVIIIe siècle à la Révolution serbe de 1804, de l'enseignement des langues en Dalmatie, à Vienne, Venise et Trieste au poste de ministre de l'Education et à la fondation de la Grande école de Belgrade. > Texte intégral <
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4. ♦ L’APPARITION DU ROMAN ET DE L’AUTOBIOGRAPHIE ♦ |
Un intellectuel des Lumières Atanasije Stojković (1773 - 1832) par Boris Lazić
Atanasije Stojković représente l'intellectuel des Lumières : refusant la « spécialisation » dont Schiller percevait déjà les dangers, il se consacre avec une énergie et une égale originalité tant aux sciences exactes qu'aux études humanistes. En ce sens, il s'inscrit dans la tradition des scientifiques humanistes slaves du Sud qui va de Rudjer Bošković et Pavle Solarić à Nikola Tesla ou Milutin Milanković. Ecrivain, Stojković a écrit deux romans : Aristid et Natalija (1801) et Kandor ou la découverte des secrets égyptiens (1800), le second étant un roman à caractère philosophique, et a traduit le Nouveau testament en slavoserbe. […]
Bien que son œuvre littéraire au sens strict du terme ne couvre qu'une brève période de publications (de 1800 à 1803) comparée à l'ensemble de sa carrière littéraire et scientifique, la valeur de cette œuvre est – parallèlement à celle de Lukijan Mušicki – sans égale parmi les auteurs classicistes serbes. […] > Texte intégral <
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« Le père du roman serbe moderne » Milovan Vidaković (1780-1841) par Sava Damjanov traduit par Alain Cappon
Dans la culture serbe Milovan Vidaković est présenté officiellement, et principalement, comme romancier (médiocre) et comme l’un des meneurs du mouvement anti-Vuk Karadžić (desdits conservateurs) quoique le champ de son activité littéraire soit bien plus étendu : il est l’auteur de chants lyriques, de poèmes épiques de caractère religieux, de travaux linguistiques et historiques, de textes (auto)biographiques et d’essais critiques et polémiques. Néanmoins on souligne de plus en plus fréquemment aujourd’hui qu’il est « le père du roman serbe moderne » et l’écrivain serbe qui fut le plus en renom pendant les premières décennies du XIXe siècle. […]
L’œuvre phare de Vidaković est sans conteste le roman en trois tomes Ljubimir à Elysium (1814 ; 1817 ; 1823) : sur la base du titre et du sous-titre (Svetozar i Draginja) peuvent déjà se deviner les grands thèmes et sujets traités tels le culte de la nature cher à Rousseau, l’histoire d’amour, le monde de l’exotique… Si on ajoute que l’action de ses romans – celui-ci, mais également les autres – se situe au Moyen Âge serbe, que l’auteur en personne les a qualifiés dans ses préfaces d’« histoires romantiques mais aussi morales », on comprend aisément pourquoi ils correspondaient au goût du public d’alors et à ses attentes émotionnelles et intellectuelles. […] > Texte intégral <
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Les souvenirs d’un sabreur au cœur tendre Les Mémoires / Memoari de Simeon Piščević par Milorad Pavić traduit par Alain Cappon
[…] Simeon Piščević (1731-1797) fit une carrière d’officier mercenaire et de général dans deux armées parmi les plus puissantes de son temps : par le feu et par l’épée il dépeupla la Zaporoguie, il guerroya dans le sud de l’empire russe, il accomplit d’importantes missions lors du rattachement de la Pologne. Et ce sabreur craint tant par ses subordonnés que par ses supérieurs n’a jamais décrit dans ses Mémoires le moindre de ses violents faits d’armes ni aucune de ses victoires. Dans son récit, une narration dans un style du courant de conscience s’oppose quasiment aux événements de guerre extérieurs qui constituent le cadre de ses Mémoires. […]
Précédant Dositej Obradović dans le style préromantique, mais resté non édité et loin de ses contemporains, Simeon Piščević n’a pas influé sur le développement ultérieur de la littérature serbe autant qu’il aurait pu mais, dès qu’il fut publié, son reflet fut perçu dans la littérature moderne : Miloš Crnjanski dans Seobe [Migrations] s’est rattaché à la vision mémorielle de l’époque de Piščević. […] > Texte intégral <
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5. ♦ CLASSICISME SERBE ET LUKIJAN MUŠICKI ♦ |
Les cadres européens du classicisme serbe Sava Damjanov traduit par Alain Cappon
Résumé
Des premières odes composées en strophes saphiques des années 1730, en passant par son « âge d’or » au début du XIXe siècle, jusqu’à ses traces ultimes à la fin de ce même XIXe siècle, le classicisme serbe s’est manifesté de la manière la plus expressive dans la poésie qu’il aura marquée de ses grandes innovations en matière de thèmes, de versification et de genres. Par ailleurs, et par la modification des paradigmes classiques, la poésie serbe a parcouru un formidable chemin balisé, au début par le rococo, au milieu par son « âge d’or » et ses insolites points de contact avec le romantisme, et à la fin, dans la dernière décennie du XIXe siècle, par le symbolisme auquel Vojislav Ilić, parti du classicisme, est parvenu par des touches avec la littérature française.
Durant la période considérée ici, le classicisme se développait dans la plupart des littératures européennes, acquérant un caractère international dans la mesure où, à tout le moins, ses représentants tenaient l’Antiquité pour leur véritable patrie littéraire. Le classicisme serbe s’est forgé une identité en se rattachant à l’Antiquité, en premier lieu latine, et à la littérature de la Rome antique, ce qui le reliait en droite ligne aux mouvements classiques des autres cultures de l’époque (allemande, russe, etc.). Ainsi, pour la première fois de son histoire, la littérature serbe (surtout la poésie) a assimilé les influences marquantes de l’espace géo-poétique roman, des influences d’abord classiques (l’Antiquité latine), ensuite modernes et même, à cet instant, très modernes (le symbolisme français). > Texte intégral <
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Premier poète professionnel de la littérature serbe moderne Lukijan Mušicki (1777-1827) par Boris Lazić
Surnommé par ses confrères le « Horace serbe », Lukijan Mušicki, de son vrai nom Luka Jemušicki représente la seconde génération d'ecclésiastiques défenseurs des Lumières au sein de la culture serbe, à une époque où les idées progressistes ont été véhiculées par des ecclésiastes. Premier poète professionnel de la littérature serbe moderne, érudit et esprit cultivé, il est celui qui eut – parmi tous les auteurs de son époque – le plus d’influence sur ses contemporains. […]
C’est, selon M. D. Stefanović, « un organisateur, un créateur d’idée » qui correspond avec toutes les figures importantes de la scène culturelle slave. […] S’agissant de Mušicki homme des lettres, il faut souligner qu’il fut un poète raffiné et d’une grande sensibilité, marqué par l’influence de la diction latine : comme nombre de ses contemporains, il a en effet subit la profonde influence du poète latin Horace, auquel il restera fidèle sa vie durant et dont il donnera plusieurs traductions littéraires. Grand épistolier et classiciste, ses meilleures pièces littéraires (composée en latin, slavoserbe et serbe vernaculaire), se présentent sous formes d’épîtres versifiées où il confesse à ses amis ses blessures secrètes et revendique un héroïsme stoïque face aux détresses de la vie. […] > Texte intégral <
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Épîtres poétiques présentation et traduction de Boris Lazić
Les plus beaux textes de Lukijan Mušicki sont des confessions lyriques. Le sujet y expose ses malheurs et tente de déterminer une attitude morale face aux incertitudes de la vie. On a dit que ce poète a composé un journal intime sous forme de vers, de lettres. On peut lire Mušicki ainsi, c’est certain, car deux valeurs ressortent de son œuvre : l'éloge de l'amitié et l'éloge du courage. Il est indicatif, à ce titre, que la plupart de ses correspondants sont par ailleurs ceux auxquels Mušicki dédie ses poèmes les plus personnels, les plus intimes. Mušicki est poète de l'éloge, celui qui rend gloire et s'enivre de beauté parfaite, accomplie. Le mot beauté est compris comme expression de l'éthique stoïque, de l'attitude morale, de la beauté du caractère, il s’agit d’un concept susceptible d'être saisi de manière rationnelle. […] > Texte intégral <
A lire :
> un choix d’épitres <
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La Voix du patriote / Glas narodoljupca
présentation et traduction de Boris Lazić
Le poème « La voix du patriote » de Lukijan Mušicki présente, sous forme d'un texte didactique, un véritable programme national : les questions qui y sont posées vont occuper plusieurs générations d'intellectuels serbes et trouver des réponses dans le courant du siècle, entre autres la question de la langue littéraire en tant que véhicule de la pensée. Cette langue, puisque « archive de la pensée » selon l’auteur, est l’instrument d’une culture : elle est le reflet d'un espace culturel et d’un collectif qui en est le dépositaire. Mušicki prône la voie médiane et suggère l’usage en parallèle du slavoserbe, langue ecclésiastique et des intellectuels, et du serbe vernaculaire : « Le slave, le serbe – sont deux chemins / Ils mènent vers un seul but » […] > Texte intégral <
A lire : > un extrait du poème <
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Un aventurier serbe au XVIIe siècle, le comte Georges Brankovitch par Louis Léger > Texte intégral <
Slavisme baroque et œuvre historique comme acte mémorial dans la littérature serbe des XVIIe et XVIIIe siècles par Milorad Pavić > Texte intégral <
La Renaissance intellectuelle de la nation serbe : Jean Raïtch et Dosithée Obradovitch par Louis Léger > Texte intégral <
Dositej Obradović Michel Aubin > Texte intégral <
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