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 SERBICA   PJ-28-3-1915 
 СЕРБИКА
                       Revue électronique                
ISSN 2268-3445            N° 8-9 /  juillet  2014                    
 
Petit journal-28-3-1915 
A propos de La journée serbe,
Le Petit journal, le 28 mars 1915

Dossier spécial

LA SERBIE DANS
LA GRANDE GUERRE

1914-1918

Parmi toutes les guerres où la Serbie a été engagée au cours du XXe siècle, la Première Guerre mondiale fut pour elle la plus tragique, la plus déterminante aussi pour son futur destin historique. Même si elle appartenait, à la fin de la guerre, au camp des vainqueurs du fait de ses énormes sacrifices et de sa résistance audacieuse, même si elle put réaliser son principal but de guerre – la réunion dans un État commun de tous les peuples yougoslaves –, la Serbie est sortie de cette guerre meurtrie dans sa chair et dans son âme : pour sa liberté mais aussi pour celle de ses nouveaux compatriotes, elle aura sacrifié près d’un tiers de sa population totale !

Aujourd’hui, cent ans après, Serbica revient sur ce temps du Mal et de la Mort pour tenter d’éclairer les questions qui, encore et toujours, hantent les historiens et les écrivains serbes depuis un siècle : pourquoi la Serbie a-t-elle dû mener la guerre dans des conditions qui parfois dépassent l’entendement ? A-t-elle été obligée de faire autant de sacrifices et pour quels intérêts nationaux ?

Par ailleurs, nous avons choisi de mettre au centre de notre dossier deux thèmes qui nous paraissent particulièrement importants : l’exode serbe à travers l’Albanie en 1915, l’événement-clé de la Grande Guerre dans les Balkans, le terrible sacrifice aux accents bibliques resté gravé dans la mémoire collective sous le nom évocateur  de « Golgotha albanais » ; « la fraternité des armes » des Serbes et des Français, et, en particulier, le rôle essentiel que la France a joué dans le sauvetage des exilés et de la jeunesse serbes. 

Une partie importante de notre dossier est également réservée aux écrits, témoignages et documents de l’époque. Certains parmi eux apparaissent aujourd’hui politiquement incorrects et peuvent surprendre, voire choquer. Mais – faut-il le préciser ? – ils sont cités pour témoigner de l’esprit du temps, d’une époque tragique de l’histoire européenne où les belligérants se souciaient peu du respect de l’autre et du politiquement correct.

Milivoj Srebro et l’équipe de Serbica

♦ SOMMAIRE ♦

 *

1.

♦ CONTEXTE HISTORIQUE ♦

Les Serbes dans la Première Guerre mondiale
par Dušan T. Bataković

2.

♦ « FRATERNITÉ D’ARMES » 
LES RAPPORTS FRANCO-SERBES PENDANT LA GRANDE GUERRE

Alliance militaire franco-serbe
dans la Première Guerre mondiale 1914-1919

par Petar Opačić

La France et la Serbie (1915-1918)

Coopération militaire, implantation économique et échanges culturels

par Alexis Troude

La France et le programme yougoslave du gouvernement serbe
par Vojislav Pavlović

Les Serbes en France durant la Première Guerre mondiale

par Ljubinka Trgovčević

3.

♦ TÉMOIGNAGES, DOCUMENTS, SOUVENIRS – CÔTÉ FRANÇAIS 


La Marseillaise des Alli
és, 1914

par Ch. Tellial


La Grande Serbie, 
1915
par Ernest Denis

L’Epopée serbe. L’Agonie d’un peuple, 1916
par Henry Barby

Avec l’armée serbe en retraite.
A travers l’Albanie et le Monténégro, 
1916

par Raoul Labry

 

A la suite du Gouvernement serbe de Nich à Corfou, 1917
par Auguste Boppe

 

Les persécutions autrichiennes et bulgares
contre la littérature serbe
, 1917

par Guillaume Apollinaire

L'Université française et la jeunesse serbe, 1917
    par Amédée Moulins

4.

♦ TÉMOIGNAGES, DOCUMENTS, SOUVENIRS – CÔTÉ SERBE 

La Serbie à travers la guerre, 1921
par Milenko R. Vesnitch

Les élèves serbes en France
par Miodrag Ibrovac


Le sauvetage de la jeunesse serbe
par Svetislav Petrović

 

Souvenirs de Lyon
par Mihailo B. Milošević

La percée du front de Salonique
par  Stanislav Krakov

5.
♦ CÔTÉ SERBE – CÔTÉ FRANÇAIS 

Lucien, Milunka et Vasilija parlent de la Grande Guerre
Adaptation des livres d’Antonije Đurić
(Solunci govore, ovako je bilo  et Žene solunci govore)

faite par Sava Andjelković

6.

♦ LES ÉCRIVAINS DE LA GRANDE GUERRE

 par Boris Lazić

7.

♦ LA LITTÉRATURE SERBE EN EXIL ♦

Corfou, le centre littéraire serbe en exil
par Zoran D. Miladinović
traduit par Jelena Antić

Deux périodiques serbes dans la France de la Grande Guerre
par Tamara Valčić-Bulić

8.

♦ LES POÈTES ET LES POÈMES DE LA GRANDE GUERRE 

Poète de la geste héroïque
et de la grandeur tragique : Milutin Bojić
 
par Boris Lazić


Le Tombeau bleu et autres poèmes
traduit par Miodrag Ibrovac

Le « poète maudit », peintre de visions macabres, nihilistes :
Vladislav Petković Dis

par Boris Lazić

Extraits des Ames englouties
Traduits par Kolja Mićević et Boris Lazić

Poètes de la Grande Guerre
Traductions : M. Ibrovac, B. Lazić et K. Mićević ; choix : B. Lazić

9.

♦ HOMMAGE DE TROIS POÈTES FRANÇAIS À LA SERBIE ♦
En collaboration avec Sigolène Franchet d'Espèrey-Vujić

Edmond Rostand : Les quatre bœufs du roi Pierre, 1916
Jean Richepin : Salut à la Serbie, 1916
Paul Ferrier : Gloria victis !, 1915

10.

♦ L’ÉCHO DE LA GRANDE GUERRE DANS LE ROMAN SERBE 

Le roman du poète
Dnevnik o Čarnojeviću / Le Journal de Tcharnoïevitch - M. Crnjanski
par Nina Živančević

Un extrait du Journal de Tcharnoïevitch 

Traduit par Olga Markovic

Le sens du sacrifice

Crvene magle / Brouillards rouges – Dragiša Vasić

par Marija Džunić Drinjaković

Un extrait des Brouillards rouges

Traduit par Alain Cappon

Un livre du peuple

Srpska trilogija / Trilogie serbe -  Stevan Jakovljević

par Milivoj Srebro

Un extrait de la Trilogie serbe 

Traduit par Alain Cappon

Le Sixième jour ou le voyage au bout des forces humaines 

Dan šesti / Le Sixième jour - Rastko Petrović

par Milivoj Srebro

Un extrait du Sixième jour

Traduit par Alain Cappon

L’âme des bœufs serbes
Vreme smrti / Le Temps de la mort – Dobrica Ćosićpar 
Gorges Nivat


Un extrait du Temps de la mort

Traduit par Dejan M. Babić

11.

♦ LA MÉMOIRE DE LA GRANDE GUERRE EN SERBIE ♦

La mémoire et l’identité nationale.
La mémoire de la Grande Guerre en Serbie

par Vojislav Pavlović

12.

♦  LA GRANDE GUERRE EN IMAGES  

Cartes postales : 1914-1918
Collection de Sigolène Franchet d'Espèrey-Vujić

13.

♦ LE  LIVRE DU MOIS / LE POÈME DU MOIS ♦

Le Temps de la mort – Dobrica Ćosić
A la mémoire de Gavrilo Princip – Miloš Crnjanski
Commentaire du poème à Princip – Miloš Crnjanski

  *

1.   CONTEXTE  HISTORIQUE ♦ 

Les Serbes dans la Première Guerre mondiale
par Dušan T. Bataković

Bien plus qu’une simple chronologie de la Première Guerre mondiale dans les Balkans, cet article – tiré de l’Histoire du peuple serbe – retrace, d’une manière claire, concise et synthétique, les événements majeurs qui ont marqué l’histoire serbe durant la Grande Guerre (1914-1918). Sans entrer dans les détails mais allant à l’essentiel, l’auteur décrit avec précisions, entre autres, l’attentat de Sarajevo, les causes de la déclaration de guerre à la Serbie, la résistance serbe en 1914 (batailles de Cer et de Kolubara), la défaite de l’armée serbe en 1915 et sa retraite à travers l’Albanie (le « Golgotha albanais »), l’exil de l’armée, des refugiés, du Parlement et du gouvernement serbes à Corfou et, enfin, la percée du front de Salonique et la libération de la Serbie à l’automne 1918. […]  >Texte intégral<

2. ♦ « FRATERNITÉ  D’ARMES »  
LES RAPPORTS  FRANCO-SERBES  PENDANT  LA  GRANDE  GUERRE
Le temps vole. Les événements se succèdent et se précipitent. L'oubli engloutit les hommes et les peuples. L'unique salut, l'unique abri dans ce naufrage général, c'est le souvenir. Qui n'en a pas, son âme est plate ; il est mort avant d'avoir expiré. Malheur aux oublieux car ils seront eux-mêmes oubliés. Heureux ceux qui se souviennent : leur vie est un poème harmonieux liant le passé à l'avenir. C'est ce que pensent et ressentent ces milliers de Serbes chez lesquels le souvenir du passé est toujours vivant, car le peuple dont nous avons décrit le Golgotha, c'est nous, et le pays ami qui nous a obligés à tout jamais, c'est la France ...

Miodrag Ibrovac


Alliance militaire franco-serbe dans la Première Guerre mondiale 1914-1919

par Petar Opačić
Résumé

Dans le présent article est examiné de manière claire et systématique le rôle militaire de la Serbie et sa contribution à la victoire finale des Alliés dans la Première Guerre mondiale. L’agression de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie déclenche la Grande Guerrequi élèverala Serbie au rang des pays alliés de l’Entente. L’aide militaire, financière et politique attribuée par la France au cours de la guerre a fortement contribué aux buts nationaux et stratégiques serbes. Pour sa part, la Serbie a subi de graves pertes et a gagné un grand succès grâce à son engagement militaire courageux tout en entrant sur la scène européenne comme l'un des vainqueurs de la guerre. >Texte intégral<

 

La France et la Serbie (1915-1918)

Coopération militaire, implantation économique et échanges culturels

par Alexis Troude
Résumé

L’époque de la Première Guerre mondiale porte les relations franco-serbes non seulement vers une alliance militaire forte et résolue mais aussi vers un rapprochement stratégique durable. On suit dans cet article les phases décisives dans la lutte commune franco-serbe de la Grande Guerre en les situant dans un vaste panorama des rapports politiques, économiques et culturels qui précédaient à la guerre mais aussi dans une optique des relations interétatiques après 1918. Les relations franco-serbes se veulent ainsi l’histoire des découvertes réciproques entre les Français et les Serbes unis politiquement et culturellement autour de valeurs communes.   >Texte intégral<

 

La France et le programme yougoslave du gouvernement serbe
par Vojislav Pavlović

En novembre 1914, Auguste Boppe, envoyé français en Serbie, prend connaissance du programme yougoslave du gouvernement serbe, plus précisément de son volet territorial (qui prévoit l’incorporation des régions occidentales et septentrionales de l’espace yougoslave allant du Banat à l’Est jusqu’à la Carinthie à l’Ouest dans le futur État des Slaves du Sud). Il juge les revendications territoriales serbes surprenantes vu qu'à l’époque, la Serbie est en train de lutter pour sa survie. Il reste néanmoins persuadé qu’en cas d’une éventuelle victoire de l’Entente, les Serbes n’hésiteraient pas à présenter sous cette forme leurs exigences territoriales lors du futur congrès de la paix. La création possible d’un État des Slaves de Sud devient ainsi l’élément clé des relations franco-serbes lors de toute la durée de la guerre. En conséquence il est d’une importance primordiale de connaître et préciser l’attitude française envers le projet yougoslave du gouvernement serbe : autrement dit, peut-on voir en la France la véritable créatrice et protectrice de l’État yougoslave ? [...]  >Texte intégral<

Les Serbes en France durant la Première Guerre mondiale

par Ljubinka Trgovčević
Résumé

La Première Guerre mondiale fut non seulement l’époque de l’alliance de  guerre franco-serbe mais aussi le temps d’une véritable rencontre entre les deux peuples. L’épopée tragique du peuple serbe dès la fin de 1915 a été suivie par l’action menée par la France en vue du sauvetage, de l’hospitalisation et de l’éducation de nombreux Serbes sur son territoire. En retraçant le cadre officiel de l’arrivée des Serbes et leur itinéraire en France, les traits sociaux et leur vie quotidienne, l’auteur étudie les images réciproques entre les Serbes et les Français qui expriment un rapprochement spontané et profond nourri de l’amitié franco-serbe forgée pendant la Grande Guerre. >Texte intégral<

3. ♦ TÉMOIGNAGES, DOCUMENTS, SOUVENIRS – CÔTÉ FRANÇAIS  ♦

La Marseillaise des Alliés, 1914
Air: “La Marseillaise”
par 
Ch. Tellial

1er Couplet :
SERBIE

La gloire pure qui rayonne
Sur vos héros divinisés
Nobles Serbes ! C’est la couronne
De vos combats éternisés [bis
Les Autrichiens dans la déroute
Fuyant vos vaillants bataillons
Traînent la honte sur la route
Mourant et couverts de... haillons.
[...]

La Grande Serbie, 1915
par Ernest Denis

Le 28 juin, dans la matinée, Cabrinovitch lança sur la voiture de l'Archiduc deux bombes qui ne l'atteignirent pas. Quelques personnes pressèrent alors François-Ferdinand de renoncer à la promenade qu'il devait faire l'après-midi dans la ville. Il hésita. Le général Potiorek intervint. « Je connais mes Bosniaques, il n'y a jamais deux attentats dans la même journée. Vous manqueriez une ovation splendide. » Excellent général ! – On aurait résolu d'envoyer à la mort l'héritier du trône, qu'on ne s'y prendrait pas autrement. – Quelques heures après, Prinzip, de deux coups de revolver, tuait l'Archiduc et sa femme. […]  >Texte intégral<


L’Epopée serbe. L’Agonie d’un peuple, 
1916

par Henry Barby

De Spach à Fléti, 28 novembre [1915] Déjà, hier après-midi, nous avions rencontré des cadavres raidis par le froid et drapés de neige ; mais dans ce ravin, quels spectacles d'épouvante !... Sur les deux rives, des cadavres, encore des cadavres et, chose plus affreuse, des moribonds ! Les cadavres ! Nous en avons tant vu depuis tant de jours, que notre pitié, peu à peu, s'est émoussée, mais ces agonisants ! En voici un : ses pieds sont gelés dans ses « opantsi » qui ne sont plus qu'un bloc de glace. Ses mains gonflées sont énormes. Résigné, il attend la fin... Seuls, ses yeux vivent dans sa face déjà morte, ses yeux qui nous regardent pendant que nous passons... Voici, plus loin, un pauvre vieux, une toile de tente sur les épaules. Il me montre ses pieds de glace. Il me parle. Je ne le comprends pas. Bien que je sache mon geste inutile, je lui tends un biscuit. Ce n'est pas cela qu'il veut. Sa main, avec une peine infinie, se lève lentement, son doigt tendu m'indique ce qu'il désire. Je regarde et comprends ! Il me demande de l'achever d'une balle de revolver ! Je passe en hâte. Voici d'autres morts, d'autres agonisants... […]  >Texte intégral<

 Avec l’armée serbe en retraite. A travers l’Albanie et le Monténégro, 1916
par Raoul Labry


Lundi 15 novembre 1915.
 Nous cheminons dans  l’immense plaine de Kosovo ou les Turcs, au quatorzième siècle, triomphèrent des Serbes. Nombreux furent ceux qui y tombèrent sous le cimeterre turc : aussi nombreux sont ceux qui y tombent les jours pendant cette retraite, crevant de misère. Un vent glacé balaie les landes incultes que nous traversons. Nous sommes gelés jusqu’aux moelles. La marche est lente. La route est semée de carcasses de chevaux morts : la chair en a été dévorée avidement par les passants. Une odeur épouvantable se dégage de deux cadavres de soldats que nul ne songe à ensevelir. Un cheval hennit dans le champ, raidi sur ses jambes. Il tombe. Un prisonnier autrichien se jette sur lui, lui coupe la langue et la dévore crue, la figure ensanglantée. [...]  >Texte intégral<

A la suite du Gouvernement serbe de Nich à Corfou, 1917
Auguste Boppe


Ipek (Peć).
 Les saintes reliques du roi Stéphane le « Premier Couronné » conduisent l’exode. Apportées du monastère de Stoudenitza par quelques popes serbes, elles sont depuis deux jours déposées dans l’église patriarcale à côté des châsses où sont conservés les restes des titulaires du siège d’Ipek. […] Les reliques du « Premier Couronné » seront emportées par l’armée serbe en retraite et les sentiers neigeux du Tchakor verront les soldats porter à tour de rôle  sur leurs épaules la lourde châsse suivie par quelques popes, marchant péniblement, tenant d’une main un cierge allumé, se soutenant de l’autre sur un long bâton et chantant tristement les prières de l’Eglise serbe. Avec son armée, avec son peuple, avec son roi, le « Premier Couronné » marchera ainsi sur la route de l’exode où nous l’avons précédé de quelques jours[...] >Texte intégral< 

Les persécutions autrichiennes et bulgares contre la littérature serbe, 1917
par Guillaume Apollinaire


On sait que les Autrichiens se livrent en Serbie à une entreprise de dénationalisation qui est bien l'un des efforts les plus criminels et les plus singuliers de cette guerre. C’est ainsi que le culte orthodoxe est combattu de la façon la plus violente, la plus honteuse parfois et la moins dissimulée en faveur de la religion catholique, ce qui explique jusqu’à un certain point le silence prudent que le pape a cru devoir conserver à propos de la Serbie dans sa note aux chefs des États belligérants. […] Dans cette lutte contre la langue nationale [serbe], les Bulgares vont plus loin encore que les Autrichiens ; ils brûlent livres et manuscrits serbes, n’épargnent pas même les registres et les archives des églises et des tribunaux. […]  
>Texte intégral<

L'Université française et la jeunesse serbe, 1917
par Amédée Moulins


L'accueil fait aux jeunes Serbes, à Marseille et à Aix-les-Bains, était surtout celui de la France officielle ; en les répartissant entre un grand nombre d'établissements, en les hospitalisant dans des centres d'importance inégale, depuis la grande ville comme Lyon jusqu'à la bourgade comme Beaumont-de-Lomagne ou Chatillon-sur Chalaronne, on allait permettre à toute la France de témoigner sa sympathie à nos hôtes. Il n'était pas à craindre qu'ils fussent mal reçus ; le récit des exploits de leurs pères, de leur défaite imméritée et des effroyables souffrances de la retraite d'Albanie avait partout soulevé l'enthousiasme et fait naître la pitié. Partout on s'apprêtait à accueillir les enfants échappés à la tourmente non comme des étrangers mais comme des fils infortunés et à leur faire oublier, par une sympathie doucement agissante, la douleur de la patrie meurtrie et de la famille perdue. 
[...]  >Texte intégral< 

4.  TÉMOIGNAGES, DOCUMENTS, SOUVENIRS – CÔTÉ SERBE  ♦ 
La Serbie à travers la guerre, 1921
par Milenko R. Vesnitch

[...] Tout perclus de rhumatismes, accablé par la goutte, notre vieux roi, qui depuis des mois vivait retiré à Vranjska-Bagna, a pris une résolution subite, et, sans consulter qui que ce soit, il a quitté sa retraite à la nouvelle du recul de ses armées. Précipitamment, à neuf heures du soir, il a pris, suivi d'un seul aide de camp, un train ne comportant, en dehors de la locomotive, qu'un wagon, le sien. […] Tout son entourage était plein de souci pour sa santé, déjà si chancelante. Il a défendu de lui en parler. Là où il ne pourrait pas marcher, on le porterait. […] Et, sans repos aucun, le roi Pierre s'est dépensé jour et nuit, allant d'une tranchée à l'autre, pointant des canons, tirant des coups de fusil, encourageant par-ci, conseillant par-là. [...]  >Texte intégral<

Les élèves serbes en France
par Miodrag Ibrovac

[…] Sur la vie de nos élèves, lycéens et étudiants, en France, on pourrait écrire tout un grand livre d'histoire, un roman ou une épopée… Dès le début même de la Grande Guerre, la France avait eu l'intention d'accueillir un certain nombre de nos élèves dans ses écoles. Après notre débâcle, une résolution à cet effet fut votée par le Parlement français. Le Gouvernement français envoya alors en Albanie une mission au-devant de nos élèves. Le bateau à bord duquel elle se trouvait fut torpillé, plusieurs infirmières trouvèrent la mort dans les flots, le chef de la mission, le professeur Vittas, excellent nageur, réussit cependant à se sauver. Ce prologue tragique n'est pas suffisamment connu. Le transport de nos élèves commence à partir du mois de décembre 1915, transport du pays de la mort vers la terre du salut ; des sinistres côtes rocheuses albanaises vers les côtes fleuries de Provence. [...]  >Texte intégral<

 

Le sauvetage de la jeunesse serbe
par Svetislav Petrović
 

[…] Le 26 mars 1915, dans toutes les écoles de France, fut organisée la Journée scolaire serbe. Ce jour-là, qui restera profondément gravé dans notre mémoire reconnaissante, la noble France, par l'intermédiaire de son ministre de l'Instruction publique, M. Albert Sarraut, avait eu cette idée délicate de rendre un immense et unanime hommage dans plus de cent mille de ses écoles, à sa petite alliée lointaine et fidèle. Dans les cœurs de trois millions de jeunes Français, on insufflait ce jour-là la sympathie et l'admiration pour notre peuple, en leur faisant le récit de son infatigable courage, de son abnégation patriotique, de son amour de la liberté et de la justice, de ses souffrances, de ses triomphes, de ses espérances. C'était une touchante, une magnifique apothéose de notre nom national. […] Et l’illustre écrivain Maurice Barrès, dans son message adressé en cette journée à la jeunesse française, lui disait : « Ecoliers et écolières, apprenez bien ce que vous enseigne cette journée et cette année... Les peuples vivent de courage comme ils vivent de pain. Et c'est parce qu'au cours de ces huit mois elle a mangé de ce pain sanglant, que la Serbie a pris place parmi les premiers peuples du monde... » [...]  >Texte intégral<

Souvenirs de Lyon

par Mihailo B. Milošević

[…] II est difficile de décrire toute l'étendue de cette hospitalité cordiale que nous avons trouvée à Lyon et dans la région lyonnaise. Les souvenirs et les témoignages sur ce sujet sont innombrables et il faudrait évoquer des milliers de noms de nos amis et bienfaiteurs et des milliers de leurs beaux gestes à notre égard pour donner une idée, même incomplète, de cette grande amitié. […]

Nos relations épistolaires avec nos amis français de cette époque se sont maintenues jusqu'à ce jour. Le genre épistolaire a, sans doute, beaucoup changé tant par la forme que par le fond depuis Madame de Sévigné, mais il demeure l'un des beaux aspects de la culture française et la lecture de lettres d'un correspondant français, à quelque couche sociale qu'il appartienne, procure toujours bien du plaisir... >Texte intégral< 

La percée du front de Salonique
par  Stanislav Krakov


16h28. Il me semble que, sur ma montre, l'aiguille indiquant les secondes se déplace en sauts saccadés tout comme mon cœur agité. Nous sommes aujourd'hui le 2 (15) septembre 1918. Le grand jour est arrivé. Pour d'autres que nous, le jour J et l'heure H ont déjà commencé hier à l'aube.

Toute la nuit précédente, le feu avait embrasé le ciel et la terre sur la montagne voisine de Sokol, à l'assaut de laquelle nos soldats s'étaient élancés comme en direction d’un château fort médiéval, en portant des échelles improvisées afin de s'élever le long de la forteresse. Un ouragan grondait aussi plus loin, près de Dobro Polje, où deux divisions françaises attaquaient 
à nos côtés. Ce fut une nuit d'insomnie où le ciel était illuminé par éclairs de centaines de canons, les explosions qui se produisaient de tous côtés. Nous avons passé cette nuit à l'ombre de ce feu d'artifice mortel. [...]  >Texte intégral<

5.  CÔTÉ  SERBE – CÔTÉ  FRANÇAIS ♦ 

Lucien, Milunka et Vasilija parlent de la Grande Guerre dans les Balkans
Adaptation des livres d’Antonije Đurić (Solunci govore, ovako je bilo  et Žene solunci govore), 
faite par Sava Andjelković

Milunka :

Au début de chacun des combats elle ne songeait qu’à une chose.  « Il ne faut pas que je sois blessée. Bon, même si on me blessait, que ce soit ma jambe, ou mon bras. Même à la tête, ça ira. Mais pas à la poitrine. Ils vont découvrir que je suis une femme. »

Vasilija :

Je chuchote une prière au Tout-Puissant, pour qu’il nous protège de ses ailes, encore ce matin, le jour de la Noël, la grande fête des orthodoxes, pour qu’il stoppe l’invasion des inconnus et des intrus, de ceux qui sèment la mort de leurs canons brûlants… Car c’est juste et honnête et humain ce que nous accomplissons : nous défendons notre honneur et nos rochers dénudés. C’est tout ce que nos aïeux nous ont laissé en héritage : l’honneur et les rochers.

Lucien :

Mon nom est Lucien. Mes amis, les soldats serbes avec lesquels j’ai passé deux ans sur le front de Salonique, semblaient ne pas arriver à retenir mon prénom, alors ils m’ont rebaptisé Jelisije [Yélisiyé]. Je répondais à ce prénom car j’étais heureux qu’ils me considèrent comme un des leurs. Ce que j’étais. Lucien Reith, soldat français, cadet, au service du peuple serbe. […] Je faisais partie de ces troupes françaises qui étaient arrivées en 45 jours depuis le Kajmakčalan jusqu’à Smederevo et Belgrade. […]  >Texte intégral<

6 LES ÉCRIVAINS  DE  LA  GRANDE  GUERRE 

par Boris Lazić

La Grande Guerre marque un tournant majeur dans l’évolution des lettres serbes. Modernisme et symbolisme s’éteignent sur les champs dе batailles pour faire place à des mouvements directement issus de la guerre et qui représentent une réaction à l’ensemble de la civilisation contemporaine. L’ancien monde disparait dans l’abyssale épouvante de la guerre mondiale. Avec la disparition des écrivains, des écoles et mouvements littéraires, s’éteignent aussi des stratégies narratives, des approches d’écriture, tout un ensemble convenu de thèmes, motifs et formes littéraires (ou atteignent à leur apogée). Le sonnet, notamment, dont le grand âge dans les lettres serbes aura été la belle époque et sa diction élégante, son ouverture à l’introspection et à l’irrationnel, disparait ainsi pour faire place au vers libre des avant-gardes de l’après-guerre. [...] >Texte intégral<

7.  ♦ LA LITTÉRATURE SERBE EN EXIL

Corfou, le centre littéraire serbe en exil
par Zoran D. Miladinović
traduit par Jelena Antić

[...] La littérature serbe pendant la Grande Guerre ne peut être étudiée sans évoquer la littérature de Corfou faite par des écrivains exilés sur cette petite île de la mer Ionienne. […] Les activités littéraires renaissent à Corfou, à partir du 7 avril 1916. C'est le moment où, après une pause due à l'occupation de la Serbie, Le Journal serbe a été renouvelé et dont le rédacteur en chef fut Branko Lazarević. […] Mais qui dit Le Journal serbe dit aussiLe Magazine, son supplément, les mêmes personnes s'occupant de l'édition de ces deux revues. Branko Lazarević a très vite compris la nécessité de fonder une revue littéraire, qui aurait pour l'objectif d'unir la création littéraire chez les Serbes, dispersés dans tous les continents, et de permettre la continuité et le lien de la littérature pendant la guerre avec celle d'avant-guerre. […] « Nous sommes jetés dans l’abîme, écrit Lazarević, comme jamais personne encore : et nous revoilà debout avec la célérité de tigres. Éparpillés comme la paille par le vent, en Europe, en Amériques et en Afrique, nous osons exprimer notre pensée artistique. La bibliographie de ces travaux représente déjà un livre à part entière. Ceux-ci sont les excellents documents d’un peuple qui ne sait pas baisser les bras. »[…] Sans doute, Le Journal serbe et son supplément littéraire – Le Magazine représentent le spiritus movens des périodiques et du développement global de la littérature serbe de 1914 à 1918. [...] >Texte intégral<

Deux périodiques serbes dans la France de la Grande Guerre
par Tamara Valčić-Bulić

Au milieu des bouleversements apportés par la Première Guerre mondiale […] une activité intellectuelle importante des Serbes se développe en exil. Une des preuves de cette activité est indubitablement l’apparition de certains périodiques pratiquement partout où les Serbes se sont provisoirement installés : à Corfou, Salonique, Bizerte, Paris, Genève, Londres. Parmi ces périodiques il y en a qui sont naturellement en leur langue maternelle : à Corfou Srpske novine (Le Journal officiel), Zabavnik (L’Almanach), Pravda (La Vérité) à Salonique, Napred (En avant) à Bizerte. […]

Mais, il y en a également qui sont publiés en langues étrangères… La plupart ont un caractère national prononcé dès le titre : à Genève sortent La SerbieLa Nouvelle Serbie et Yougoslavie. À Paris, à côté de certains bulletins officiels dépourvus d’intérêt culturel, c’est La Patrie serbe, revue assez intéressante, qui marque pour les Serbes exilés ces deux années de guerre. Il s’agit d’une revue mensuelle paraissant d’abord à Vitré, petite ville de Bretagne, puis à Paris, entre octobre 1916 et décembre 1918. Quelques mois après l’armistice, alors que la plupart des réfugiés commencent à rentrer au pays, et en plein milieu des préparations pour le traité de paix, c’est au tour de La Revue yougoslave de faire son apparition, prouvant ainsi la poursuite d’une activité intellectuelle de l’émigration serbe et yougoslave.[…] >Texte intégral<

8.  LES POÈTES ET LES POÈMES DE LA GRANDE GUERRE ♦ 

Poète de la geste héroïque et de la grandeur tragique : Milutin Bojić 
par 
Boris Lazić

Milutin  Bojić est depuis un siècle déjà une des figures les plus attachantes des lettres serbes mais aussi une des plus tragiques. Sa mort prématurée, à 26 ans, en exil, à l'hôpital militaire de Thessalonique en 1917 – où il se trouvait après la retraite dramatique de l’armée serbe à travers l’Albanie – est à l’image de celles des soldats dont il a glorifié la geste dans ses poèmes les plus célèbres. […]

Milutin Bojić a publié de son vivant deux recueils de poésie (1914, 1917), un poème (Каин Cain, 1915) et le drame Краљева јесен L'Automne du roi (joué au Théâtre national en 1913). […] Son œuvre majeure est toutefois le recueil Песме бола и поноса / Poèmes de douleur et d'orgueil (1917) qu’il écrivit durant les trois premières années de guerre. […] Au sein du recueil, Плава гробница / Le tombeau bleu est une sorte d'apothéose de cette énumération épique. Le poème, écrit sous forme d’apostrophe, comporte quatorze strophes, chacune étant un quatrain. Le style est élevé et pathétique, à la fois sobre et élancé, d'une grande majesté.  […]
  >Texte intégral<

A lire
♦ 
Le Tombeau bleu et autres poèmes 
traduit par Miodrag Ibrovac

Le « poète maudit », peintre de visions macabres, nihilistes :
Vladislav Petković Dis

par Boris Lazić

Admirable figure que celle de Vladislav Petković-Dis, parnassien et symboliste, dont Les Ames englouties (1911) marquent, sous le sceau du scandale, l’avènement de la poésie décadente dans les lettres serbes. Compagnon de route de Sima Pandurović et de la bohème de Skadarlija, ennemi doux et placide de l’Université et de l’Académie, figure légendaire du Parnasse serbe, celui dont la poésie chantait les âmes englouties et l’ardent amour de la Patrie, il trouvera lui-même la mort dans les eaux troubles de l’Adriatique lors de la Grande Guerre, après que son bateau eut été torpillé par l’ennemi, au large de l’île grecque de Corfou. Mort stupéfiante, mort ô combien symbolique pour le « poète maudit », peintre de visions macabres, nihilistes. […]  >Texte intégral< 

A lire

Extraits des Ames englouties
Traduits par Kolja Mićević et Boris Lazić

A lire

Poètes de la Grande Guerre

Les poèmes de : Vladislav Petković Dis,  Milutin Jovanović, Todor Manojlović,  Stanislav Vinaver, Tin Ujević, Ivo Andrić, Milutin Bojić, Miloš Crnjanski, Momčilo Nastasijević, Rastko Petrović, Rade Drainac et Dušan Vasiljev. (Traductions : Miodrag Ibrovac, Boris Lazić et Kolja Mićević ; choix : Boris Lazić.)

9. ♦ HOMMAGE DE TROIS POÈTES FRANÇAIS À LA SERBIE 
En collaboration avec Sigolène Franchet d'Espèrey-Vujić

Edmond Rostand : Les quatre bœufs du roi Pierre, 1916

 

Le roi Pierre s’en va, puisqu’il faut qu’il s’en aille,

Par les vallons, par les forêts, par la broussaille,

Par de mystérieux chemins,

Vers la mer, vers l’exil, vers Dieu, vers la Légende,

N’ayant plus qu’un bâton et qu’une houppelande,

Croisant sur ce bâton ses mains !

Quatre bœufs dont le joug est d’un sombre archaïsme

L’arrachent à son sol comme un socle d’héroïsme.
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Jean Richepin : Salut à la Serbie, 1916

 

Salut, Serbie !… Hélas ! C’est d’une voix amère,

Le cœur gros des mots vains qui n’en peuvent sortir,

Que je viens à ta croix, pauvre peuple martyr,

T’apporter le salut de la France ma mère.

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Paul Ferrier : Gloria victis !, 1915

Gloire aux Serbes vaincus et gloire à leur roi, Pierre,
Impavide et stoïque au jour du désarroi !
Tout perdu fors l'honneur, il garde l'âme fière
Et d'un petit royaume il reste le grand roi.
>Texte intégral<

10. ♦ L’ÉCHO DE LA GRANDE GUERRE DANS LE ROMAN SERBE ♦   

Le roman du poète
Dnevnik o Čarnojeviću / Le Journal de Tcharnoïevitch - Miloš Crnjanski
par Nina Živančević

[...] Bien que le Journal ait été rédigé et finalement publié sous la forme d'un roman, jusqu'à ce jour, chez beaucoup d'interprètes contemporains de l'œuvre de Crnjanski, la question de la détermination de son genre et sa forme, dans un sens large, reste posée. Cette sorte de texte poétique nous ramène à Rilke et à ses Cahiers de Malte Laurids Brugge, au Portrait de l'artiste en jeune homme de Joyce, ou au Mrs Dalloway de Virginia Woolf, dans lesquels le courant de la conscience et le monologue interne sont plus importants que le genre : si nous pouvons affirmer avec certitude ce que cette création littéraire n'est pas, il est justement difficile de dire ce qu'elle est. Il est tout à fait certain que, dans ce type de roman poétique, ou roman écrit par un poète, nous ne trouvons pas d'histoire complète et cohérente, mais des fragments entrecoupés, souvent oniriques, incohérents, juxtaposés et qui, comme l'a remarqué Pierre BruneI, construisent un certain sens en fonction de cette position, une histoire même, ou plusieurs histoires parallèles, où domine non pas l'intrigue, mais une certaine atmosphère. [...] >Texte intégral<


A lire


Un extrait du Journal de Tcharnoïevitch

Traduit par Olga Markovic

 

Le sens du sacrifice

Crvene magle / Brouillards rouges – Dragiša Vasić

par Marija Džunić Drinjaković

 

[…] Si Vasić choisit de focaliser les tumultes d’une conscience déchirée, c’est qu’il se propose d’interroger, au-delà d’inquiétudes de l’âme, nombre de valeurs qui commencent à s’effondrer. En effet, alors que pour les générations précédentes le culte de l’héroïsme et du sacrifice entier étaient presque innés, indissociables de l’attachement à la terre natale, une acceptation inconditionnée du dévouement pour les valeurs collectives ne va plus de soi pour sa génération, qui ne voit plus seulement le patriotisme comme une affaire du cœur, mais aussi comme celle de la raison. Ne se limitant pas à l’amour pour la « terre sainte » et la fidélité au passé glorieux, le patriotisme devient en effet tributaire de valeurs qui ne sont pas le fait d’une seule nation, d’un seul peuple – justice, liberté, droit au bonheur, bonne gouvernance… Vasić s’emploie à enregistrer cette lente métamorphose des mentalités que ses compatriotes ne savent guère articuler, et la cristallise autour d’une douloureuse question qui l’obsède : le sacrifice a-t-il eu un sens ?  Face à la réalité d’après-guerre dont le visage n’est pas moins hideux que le spectacle de luttes sanglantes et de corps mutilés, la désillusion et l’écœurement de son héros Jurišić sont à l’évidence ceux de Vasić, qui fait le même parcours que son héros – d’un nationalisme fervent à un scepticisme désabusé. [...] >Texte intégral<

 
A lire

Un extrait des Brouillards rouges

Traduit par Alain Cappon

 

Un livre du peuple

Srpska trilogija /La Trilogie serbe -  Stevan Jakovljević

par Milivoj Srebro

 
À l’instar des Chants épiques serbes de Vuk Karadžić ou des Lauriers de la montagne de  P. P. Njegoš, La Trilogie serbe appartient au cercle restreint des œuvres littéraires serbes que l’on appelle communément narodne knjige, « les livres du peuple ». Ce sont des ouvrages à connotation nationale qui font partie des bibliothèques familiales et que l’on laisse en héritage aux générations suivantes. La Trilogie serbe – qui se présente, par ailleurs, sous la forme d’une chronique romancée de la Première Guerre mondiale dans les Balkans, événement qui a profondément marqué la conscience collective serbe – a acquis ce statut honorifique grâce, bien sûr, à sa popularité auprès du grand public. D’ailleurs, c’est ce dernier qui pourrait être considéré comme le véritable auteur du titre de ce roman : selon ses propres aveux, Jakovljević avait au départ l’intention de donner une autre dénomination à sa trilogie – Krvavi talasi [Les Vagues ensanglantées] – mais, sous l’influence des lecteurs, il a finalement opté pour ce titre hautement symbolique.[...] >Texte intégral<


A lire

Un extrait de la Trilogie serbe 

Traduit par Alain Cappon

 

Le Sixième jour ou le voyage au bout des forces humaines 

Dan šesti / Le Sixième jour - Rastko Petrović

par Milivoj Srebro

 
Expression d’une expérience singulière, extrême, le chant du cygne du grand écrivain moderniste Rastko Petrović, Le Sixième jour [Dan šesti], roman publié à titre posthume en 1961, occupe une place particulière parmi les œuvres serbes consacrées à la Grande Guerre. Loin d’une vision épique de l’histoire exprimée dans Le Temps de la mort par Dobrica Ćosić, loin aussi d’une représentation populaire de la guerre proposée par La Trilogie serbe de Stevan Jakovljević et de la structure narrative simple, traditionnelle de ce roman, Le Sixième jour offre, sous une forme romanesque résolument moderniste, une tout autre vision de la Grande Guerre et, en particulier, de l’apocalyptique traversée de l’Albanie. Une vision très personnelle, originale, qui repose évidemment sur le vécu et les souvenirs de l’auteur, par ailleurs l’un des jeunes rescapés de cette terrible épreuve – Petrović avait à l’époque à peine dix-sept ans ! – mais qui  dépasse, sur le plan sémantique, les limites d’une représentation « réaliste », mimétique, de cet événement singulier, unique dans l’histoire moderne serbe. 
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A lire

Un extrait du Sixième jour

Traduit par Alain Cappon

 

L’âme des bœufs serbes
Vreme smrti / Le Temps de la mort – Dobrica Ćosić

par Gorges Nivat

[...] Bien sûr, Tchossitch dialogue avec Tolstoï. De bout en bout, presque à bras-le-corps. Non qu’il ait fait un calque. Mais parce que le type de bataille qu’il empoigne et sculpte dans sa phrase gouailleuse, tendre et tendue, c’est le type de bataille qui a commencé avec Napoléon. Les stratégies à l’échelon de 10 000 hommes, le dialogue artillerie-infanterie, les assauts à main nue après la boucherie à cent mètres les uns des autres. Pas encore de blindés, pas encore d’aviation. La baïonnette achève l’ouvrage du canon et du fusil. La guerre sanglante, déjà sans héros, mais pas encore dépersonnalisée. Quiconque veut empoigner cette réalité humaine à dix mille têtes, dix mille corps, dix mille cœurs doit se mesurer à Tolstoï. Tchossitch se mesure à Tolstoï. Le grand-père Katitch connaît par cœur Guerre et Paix. Tous le connaissent. C’est le grand roman frère, et c’est le peuple grand frère. [...] >Texte intégral<

 

A lire

Un extrait du Temps de la mort

Traduit par Dejan M. Babić

11  LA MÉMOIRE DE LA GRANDE GUERRE EN SERBIE ♦ 

La mémoire et l’identité nationale. La mémoire de la Grande Guerre en Serbie
par Vojislav Pavlović

La Grande Guerre, dans la mémoire collective serbe, se trouve encadrée par deux événements chargés à la fois d’un fort potentiel émotionnel et d’une importance politique cruciale : les guerres balkaniques et la création du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Ces deux événements ont conditionné l’évolution de l’identité nationale serbe avant et après la Grande Guerre. […] L’idée de la libération des co-nationaux en Turquie animait principalement une génération de soldats et d’officiers restée sous les armes pratiquement sans interruption de 1912 à 1919. Or cette longue guerre, qui l’a conduite de Kumanovo à Ljubljana, aboutit à la création d’un nouvel État dépassant non seulement leurs espoirs les plus audacieux, mais encore leur étant parfaitement étranger. Cette création changea également le regard porté sur la Grande Guerre. Désormais il fallait résoudre le dilemme du choix de la guerre dont il fallait préserver la mémoire : celle de l’armée serbe qui souvent luttait contre ses futurs concitoyens, ou celle qui, par les efforts de toutes les nations yougoslaves, avait porté sur les fonts baptismaux l’État commun ? Autrement dit, la mémoire de la Grande Guerre devait-elle s’inscrire dans la continuité de la mémoire serbe, ou s’agissait-il d’un événement unique, fondateur d’une identité nouvelle, yougoslave ? [...] >Texte intégral< 

12.   LA GRANDE GUERRE EN IMAGES ♦ 

Cartes postales : 1914-1918
Collection de Sigolène Franchet d'Espèrey-Vujić

Pour notre album de "La Serbie dans la Grande Guerre", Sigolène Franchet d'Espèrey-Vujić a sélectionné une quinzaine de cartes postales faisant partie de sa riche collection. […] Ces petits cartons lisses, dont la force est restée intacte après un siècle, sont souvent la preuve tant attendue que le fils, le frère, le fiancé, le mari ou le père est encore en vie. Editées à des centaines de milliers d'exemplaires pendant la Première Guerre mondiale, ces cartes postales ont peu intéressé les historiens. Leur illustration constitue pourtant un formidable témoignage de l'imaginaire de guerre. […] 

  Voir l'album <

13  LE LIVRE  DU  MOIS / LE POÈME DU MOIS 

Le Temps de la mort – Dobrica Ćosić
>  présentation <

A la mémoire de Gavrilo Princip – Miloš Crnjanski
>Texte intégral<

Commentaire du poème à Princip – Miloš Crnjanski

L'Europe, encore aujourd'hui, célèbre dans ses manuels scolaires (ad usum delphini) les assassins du tyran athénien Pisistrate, Aristogiton et Harmodios. Elle célèbre aussi les sénateurs romains qui ont tué Jules César. Mais pour l'auteur de l'attentat de Sarajevo, elle n'eut pas une bonne parole, jamais. […] En outre, même chez nous, certains voulurent faire de Princip un Serbe provincial, fanatique et chauvin, qui n'avait été, disait-on, qu'un jouet entre les mains du chef de la Section des renseignements de l'Etat-major serbe, le colonel Dragutin Dimitrijević - Apis.

Et pourtant, l'auteur de l'attentat nous parlait, sans ambiguïté, au-delà même de la tombe. […] Vers la fin de la guerre, tout le monde ne parlait que de la nécessité d'ériger un temple grandiose au Kosovo, selon les esquisses de Meštrović. Notre grand poète Dučić saluait alors la Serbie comme un empereur. Il lui lançait : "Ave, Serbia !" (morituri te salutant). Moi, j'ai écrit ce poème à la gloire de Princip et de son acte meurtrier. […] >Texte intégral<

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